Avis d’expert: code minier toujours en attente

Gabriel Ullmann
Docteur en droit. Docteur-ingénieur, ancien membre de l’Autorité environnementale durant six ans..
© David Ascher
   

Tel le monstre du Loch Ness, la réforme du code minier refait parler d’elle, à la suite de l’arrêt du projet Montagne d’Or en Guyane et de l’annonce du ministre François de Rugy de « conduire cette réforme en décembre ». Initié en 2011, le « projet de réforme du code minier a été enterré très profondément », selon Thierry Tuot, le conseiller d’Etat chargé d’animer le groupe de travail ad hoc (voir plus loin). Le code minier ne vise pas les seules mines, mais les activités d’extraction et d’utilisation des matériaux qui en sont issus (mines et carrières), ainsi que des stockages souterrains et des exploitations minières, pétrolières et gazières (qui ne seront pas abordés ici). Il s’agit d’un code aux dispositions très anciennes, toujours d’actualité. Les mines, les minières et les carrières devinrent régies par la loi du 21 avril 1810. Selon Arnaud Gossement, qui en a fait une fine analyse :« Aujourd’hui encore, les dispositions et principes de cette loi sont au fondement de notre droit minier« , en vertu de cette dernière ces établissements sont soumis à l’obligation d’uneautorisation préalable.

Une corporation qui a souvent été privilégiée

Si une corporation a toujours réussi à échapper à la législation des établissements classés, c’est bien celle des mines et carrières. L’année même de la publication du décret du 15 octobre 1810 (qui donnera naissance en 1976 à la loi relative aux installations classées), avait été préalablement promulguée la loi du 21 avril 1810 concernant les mines, les minières et les carrières, suivie notamment du décret du 18 novembre 1810 qui organisa le corps impérial des ingénieurs des mines. Et si les carrières ont fini par être soumises à une législation relative à la protection de l’environnement, il a fallu attendre pour cela l’édiction de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées. Les exploitations minières, pétrolières et gazières, quant à elles, échappent toujours à cette législation pour conserver leur autonomie au sein du code minier, qui leur est globalement très favorable.

Les débats parlementaires, lors de la discussion de la loi de 1976, sont riches d’enseignement sur la volonté initiale du Gouvernement de ne pas faire figurer ce type d’activités parmi les installations classées, au motif que le code minier traitait déjà de cette question et se suffisait à lui-même. Par la suite, sur l’insistance tant de députés que de sénateurs, le ministre André Fosset avait fini par reconnaître que « le Gouvernement n’avait pas, dans son texte initial, prévu le cas des carrières, celles-ci étant réglementées par des dispositions particulières. Mais il est vrai que le code minier ne prend pas en compte les exigences de l’environnement : (…) Si le Code minier prend en compte la sécurité dans l’exploitation des carrières, en revanche, il laisse de côté la protection nécessaire de l’environnement pour l’ouverture d’une carrière« . De ce fait, l’article 1er de la loi du 19 juillet 1976 vise explicitement « les usines, ateliers, dépôts, chantiers et carrières ». C’est même la seule activité en propre qui fait l’objet d’une telle mention dans la loi. Pour autant, malgré la loi, l’administration n’a rien cédé, puisqu’elle a œuvré en vue de l’exclusion des carrières du champ de la nomenclature avant d’y être contrainte.

Il a fallu le contentieux « Les Amis de la Terre », pour qu’une rubrique spécifique de la nomenclature soit créée, près de vingt ans plus tard, par le décret du 9 juin 1994 pris en application de la loi du 4 janvier 1993 relative aux carrières. Laquelle accorde, de surcroît, de grandes largesses aux exploitants de carrières, en matière de droits acquis et de délais de recours des tiers. En outre, les recours contre les autorisations accordées avant l’inscription des carrières dans la nomenclature, soit jusqu’au 9 juin 1994, ne pouvait que relever du contentieux de l’excès de pouvoir. Le juge ne pouvait donc qu’exercer un contrôle sur le fondement de l’erreur manifeste d’appréciation, et non pas, sur celui du plein contentieux avec toutes les prérogatives dévolues. C’était encore autant de temps de gagné pour les exploitants.

Les passe-droits pour les carrières et les mines ont été légion

Si les carrières ont fini par figurer dans la nomenclature près de vingt ans après avoir été visées par la loi, il a fallu à peine cinq années pour que les premières dérogations aient vu le jour, en faveur d’un déclassement de certaines activités extractives, à l’occasion de la loi du 9 juillet 1999 d’orientation agricole. Puis la loi du 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux, a introduit d’autres modifications dans la nomenclature relative à l’exploitation des carrières. Par la suite, les exceptions furent de plus en plus nombreuses, notamment pour les affranchir de l’obligation d’évaluation environnementale (voir 3/7).

Les carrières ont également bénéficié d’un régime dérogatoire en matière du bénéfice des droits acquis. Elles ont ainsi pu continuer à être exploitées selon les prescriptions qui leur étaient applicables, antérieurement à l’inscription des carrières à la nomenclature des installations classées. Cette dérogation, introduite par l’ordonnance du 20 janvier 2011, portant codification de la partie législative du code minier (art. 6), témoigne de la force du lobby des carriers, compte tenu que ces activités, bien que visées expressément à l’article 1er de la loi de 1976, n’avaient fait l’objet d’une inscription à la nomenclature qu’en juin 1994.

Si les carrières (mais toujours pas les mines) figurent désormais parmi les activités classées à la suite des usines, ateliers, dépôts ou chantiers, il a toutefois été ajouté que les dispositions relatives aux installations classées sont applicables aux exploitations de carrières, « au sens des articles L.100-2 et L.311-1 du code minier ». Cette disposition, limitative, qui a été introduite par l’ordonnance du 20 janvier 2011 portant codification de la partie législative du code minier, génère de nombreuses questions. Ainsi, toute substance minérale ou fossile qui n’est pas qualifiée par le livre Ier du Code minier de substance de mine est considérée comme une substance de carrière (art. L. 100-2). Le raisonnement doit se faire par défaut, ce qui ne clarifie guère la situation : les substances qui ne ressortissent pas aux mines relèvent des carrières. Ces dernières sont ainsi définies négativement, comme les gîtes de substances minérales ou fossiles n’entrant pas dans la catégorie des mines (art. L. 311-1). Par ailleurs, rappelons que les exploitations minières, pétrolières et gazières échappent toujours à la législation sur les installations classées pour conserver leur propre autonomie au sein du code minier.

La jurisprudence française n’est pas en reste

Les plus hautes juridictions ne se montrent pas enclines à améliorer cet état de fait. Soulignons par exemple la surprenante décision du Conseil constitutionnel qui a considéré que des autorisations de travaux de recherches minières, notamment en mer, en Nouvelle-Calédonie, n’avaient pas d’incidence significative sur l’environnement malgré les réels risques de pollution, tant par les particules que par les métaux lourds. Et cela d’autant plus que le code minier établit un lien direct entre le permis d’exploration (autorisation de travaux de recherches) et le permis d’exploiter, à savoir exploiter les ressources mises au jour par ces recherches : le bénéficiaire du permis d’exploration, qui a est à l’origine de cette découverte, dispose d’un droit de suite pour exploiter…

La jurisprudence administrative, le Conseil d’Etat portant l’étendard, n’est pas en reste puisqu’elle a institué à l’occasion d’un contentieux sur une activité minière le principe d’autorisation provisoire accordée par l’administration, à la suite de l’annulation de l’autorisation initiale (affaire La Province de la Hollande septentrionale et autres) : « L’annulation de l’arrêté du 18 mars 1981 par le tribunal administratif de Strasbourg a eu pour effet de faire disparaître l’autorisation de fonctionnement dont était titulaire la société « Les mines de potasse d’Alsace » (…) le commissaire de la République du département du Haut-Rhin n’était pas tenu de prescrire l’arrêt desdites installations, et pouvait légalement autoriser à titre provisoire les mines de potasse d’Alsace à poursuivre leur exploitation pour le motif d’intérêt général tiré des graves conséquences d’ordre économique ou social qui seraient résulté d’une interruption dans le fonctionnement d’installations en service« . Ces considérations ont ainsi contrebalancé non seulement le défaut de titre d’exploitation, à la suite de son annulation, mais aussi les conséquences écologiques significatives (pollution de nappes du Rhin). Le Conseil d’Etat avait alors assorti sa décision d’une forte condition, fondée sur des conséquences majeures d’ordre économique ou social. Toutefois, comme il en est devenu l’usage, petit à petit, fort de cet arrêt fondateur, la jurisprudence n’a pas cessé de valider, voire même d’accorder, des autorisations provisoires, sans évaluation environnementale préalable, pour des motifs aussi larges et dérogatoires que « des considérations d’ordre économique et social ou tout autre motif d’intérêt général pouvant justifier la poursuite de l’exploitation et l’atteinte éventuellement causée par l’exploitation aux intérêts visés par l’article L. 511-1 du Code l’environnement ou à d’autres intérêts publics et privés ».

Non seulement cette construction jurisprudentielle a une base légale incertaine, la loi de 1976 ne prévoyant nullement le recours à l’autorisation provisoire, mais elle apparaît contraire aux règles européennes qui exigent une évaluation environnementale préalable, conduite dans les formes, avant toute autorisation. Or, c’est justement la déficience de l’étude d’impact qui est souvent à l’origine de l’annulation ou d’une suspension d’une autorisation. Dès lors accorder une autorisation, même provisoire, en l’absence d’une évaluation environnementale en bonne et due forme, pose la question fondamentale de la conformité avec le droit de l’Union européenne. Selon la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne, « les Etats membres sont tenus de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations qui leur incombent en vertu du droit communautaire. Parmi ces obligations se trouve celle d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit communautaire ». L’obligation d’appliquer la législation européenne relative à l’évaluation des incidences sur l’environnement des projets publics ou privés, qui incombe aux Etats-membres, doit même conduire au « retrait ou à la suspension d’une autorisation déjà accordée afin d’effectuer une évaluation des incidences du projet en question sur l’environnement telle que prévue par la directive 85/337« .

Non seulement les évaluations environnementales prévues par le code minier ne sont pas en rapport avec l’ampleur des impacts et dangers potentiels de ces activités, mais les procédures de consultation et de participation du public confinent souvent à une simple formalité. L’affaire Toréador Energy France SCS devant la Cour administrative d’appel de Paris éclaire également ce contexte.

L’affaire Toréador Energy France SCS

Par un arrêté de 2009, le ministre chargé de l’écologie accorde à la société Toréador Energy France SCS un permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux, en application des articles 7 et 9 de l’ancien code minier, alors applicable. L’année suivante, la société dépose une déclaration pour un forage d’exploration. Le préfet de Seine-et-Marne donne acte à ladite société de sa déclaration et prend un arrêté prescriptif. L’association de défense de l’environnement et du patrimoine à Doué et aux communes environnantes, le département de Seine-et-Marne, la région Île-de-France, ainsi que des particuliers saisissent le juge administratif. La Cour administrative d’appel de Paris rejette à son tour, après le tribunal administratif de Melun, tous les moyens invoqués. Parmi ceux-ci, la Cour rappelle qu’il résulte des dispositions de l’article 7 de la Charte de l’environnement que lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en œuvre des droits en matière d’information et de participation du public, la légalité des décisions administratives s’apprécie au regard de la loi, sous réserve, s’agissant de dispositions législatives antérieures à l’entrée en vigueur de la Charte de l’environnement, qu’elles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui découlent de cette Charte.

Pour autant, la Cour considère que « les requérants ne sauraient donc utilement invoquer les dispositions de l’article 7 de la Charte de l’environnement dès lors que, d’une part, l’article 83 de l’ancien code minier, alors en vigueur, doit être regardé comme mettant en œuvre le principe d’information et de participation du public garanti par l’article 7 de la Charte de l’environnement et que, d’autre part, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n’est nullement établi que cette disposition législative méconnaîtrait les exigences découlant de ladite Charte et par suite, aurait été implicitement abrogée par celle-ci ». Le principal point d’achoppement en l’espèce est que les dispositions du code minier n’assurent pas une véritable information, et encore moins une véritable participation du public au processus décisionnel.

Le serpent de mer de la réforme du code minier

La réforme du code minier a finalement été initiée par l’ordonnance n°2011-91 du 20 janvier 2011, qui modifie la partie législative du code minier, dans un contexte de forte opposition aux permis d’exploration visant des zones propices aux hydrocarbures non conventionnels. Ainsi, l’article 92 de la loi de 2009, relative à la simplification, à la clarification du droit et à l’allègement des procédures, avait autorisé le Gouvernement à codifier la partie législative du code minier. L’Etat disposait de deux ans pour publier l’ordonnance, puis de trois mois pour déposer un projet de loi de ratification. L’ordonnance a été publiée le 25 janvier 2011 et un texte de ratification a été déposé à l’Assemblée nationale le 13 avril 2011. Mais le projet de loi de ratification n’a jamais été débattu au Parlement et l’ordonnance n’a toujours pas été ratifiée, de nombreuses années après sa publication. Elle devait l’être dans le cadre de la loi « Macron », mais ne le fut finalement pas.

La députée Sabine Buis avait présenté un amendement tendant à engager la réforme du code minier attendue depuis 2011. En contrepartie du retrait de l’amendement, le ministre de l’Economie s’était engagé à saisir avant l’été 2015 le Conseil d’Etat de cette réforme et à la présenter en Conseil des ministres à l’automne. Aucun engagement ultérieur n’avait été cependant pris, d’autant plus que le projet de loi devait renvoyer, pour l’essentiel, à des ordonnances… Parmi ces dernières, figuraient les procédures d’instruction des demandes relatives aux titres et aux travaux miniers, ainsi que les dispositions relatives à la participation et à l’information du public tout au long de la vie des titres d’exploitation et d’exploration. Il aurait été toutefois retenu le « principe de la commission de suivi de site prévue au chapitre 5 du titre II du livre I du Code de l’environnement », à savoir le principe des commissions locales d’information (CLI), mises en place pour les sites nucléaires. C’est-à-dire une procédure restreinte à une simple information, de surcroît a posteriori, des seuls membres de ces commissions plutôt qu’une large participation du public au processus décisionnel.

Alors qu’un certain consensus s’était finalement fait jour, non sans mal, entre les différentes parties prenantes, le Gouvernement a fini par renoncer. Selon Thierry Tuot, le conseiller d’Etat chargé d’animer le groupe de travail ad hoc, « le projet de réforme du code minier a été enterré très profondément » a-t-il ainsi fait savoir, à l’occasion d’un débat sur le gaz de schiste le 9 janvier 2015 dans le cadre des premières assises du droit et de la compétitivité organisées par le Club des juristes et l’Institut Montaigne. De son côté, le député Jean-Paul Chanteguet, rapporteur du groupe de travail sur « la réforme du Code minier«  avait rappelé cette situation préjudiciable, lors de la présentation du rapport à l’Assemblée, le 20 mai 2015 : « La réforme ne peut plus attendre (…) Deux préfigurateurs de grande qualité, Arnaud Gossement et Thierry Tuot, ont remis des conclusions propres à éclairer la décision publique. Le Gouvernement a accumulé les concertations ; le Parlement a multiplié les auditions d’information. Rarement projet de loi aura bénéficié d’un temps de préparation aussi étendu, d’études d’impact aussi fouillées, de documents préparatoires aussi nombreux ».

C’est dans ce contexte que le Gouvernement, qui entend verdir son affichage politique, remet sur le chantier la réforme du code minier…

Avis d’expert proposé par Gabriel Ullmann, docteur en droit, docteur-ingénieur, membre de l’Autorité environnementale durant six années, ainsi que de la CNDP

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