«Les Outre-mer sont un modèle de ce que peut être la société française de demain», Frédéric Potier, délégué interministériel contre le racisme
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Frédéric Potier, délégué interministériel contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DLICRAH), répond à nos questions en ce jour de manifestations et de commémoration relatives à Georges Floyd. L’occasion de recueillir ses réactions, mais aussi les nouvelles perspectives de son chantier en faveur de la formation continue des policiers.
Outremers360 : Lors de sa conférence de presse hier, Christophe Castaner a annoncé une série de mesures pour lutter contre le racisme au sein de la Police, notamment «l’accentuation et l’amélioration de la formation initiale continue» avec votre service. Que cela signifie-t-il concrétement ?
Frédéric Potier : D’abord il faut avoir en tête que la formation continue de la Police a beaucoup changé en une dizaine d’années. Les questions que nous abordons avec mon équipe lors de formations avec des gardiens de la paix ou des commissaires n’étaient absolument pas traitées il y a dix ou quinze ans. Donc on a accompli des choses assez innovantes en termes de formation, d’information, avec des partenaires comme le mémorial de la Shoah et aussi d’autres associations. Il faut aller plus loin et augmenter à la fois le nombre d’heures de ces formations, en renforcer sa qualité, en faire des formations obligatoires avec des sanctions et pas simplement des sensibilisations un peu théoriques, et faire en sorte que le travail de déconstruction des préjugés racistes, des stéréotypes racistes soient au cœur de ces formations.
Christophe Castaner a également évoqué le fait que « l’évaluation de la formation continue des policiers et des gendarmes intègrerait désormais la sensibilité aux non-discriminations». Ce n’était pas déjà le cas ?
Un fonctionnaire est d’abord évalué ou noté sur la base de savoirs fondamentaux. Pour les policiers, c’est un certain nombre de connaissances techniques, de points de droits, mais aussi des réflexes. Et ce sont ces questions là qu’il faut ouvrir aux enjeux de racisme et d’antisémitisme. On tiendra compte de l’implication, de la sensibilité exprimée par ces agents dans le cadre de leur notation.
Qu’attendez-vous de la loi contre les contenus haineux sur Internet, dite loi Avia, qui entrera en vigueur début juillet ?
On attend de ce projet de loi des effets importants. Il permettra d’avoir une modulation et une modération beaucoup plus efficace. Sous 24 heures, les opérateurs du numérique devront retirer de contenus manifestement illicites qui auront été signalés par les autorités publiques ou les associations. Ça va être un progrès important car on va pouvoir retirer des contenus de haine qui sont des incitations à la violence, à la discrimination. Et on parle pas de contenus qui seraient ambigus, on parle vraiment d’insultes caractérisées qu’on peut tous trouver sur les réseaux sociaux et dont on ne comprend pas pourquoi ils ne sont pas retirés plus vite par les opérateurs du numérique
Vous avez déclaré récemment être «révolté contre le raccourci qui dit que tous les policiers sont des racistes». Combien de sanctions ont été données envers les forces de l’ordre l’an dernier ?
Je m’élève contre les généralisations outrancières et les caricatures. Dire que les policiers sont des racistes en général, c’est aussi faux et scandaleux que de dire que les jeunes en général sont des voyous. Donc ce que j’ai voulu dire par là c’est que parler de racisme d’état ou de racisme systémique, c’est porter un soupçon d’entrer sur des personnes qui font un travail extraordinairement difficile et qu’il faut soutenir. Et donc il ne faut pas tirer de conclusions très hâtives sur des comportements d’une toute minorité de policiers et de gendarmes. C’est pour ça qu’il faut être extrêmement sévère, extrêmement exigeant en matière de déontologie et en matière de sanctions. Je crois que l’an dernier, il y a eu 868 saisines de l’inspection générale de la police nationale (IGPN, ndlr). Est-ce qu’on peut aller plus loin ? Oui, à l’évidence. Est-ce que les comportements sont en train de changer à la Police, et à la gendarmerie, moi j’en suis persuadé. Si on a autant d’affaires qui sortent dans la presse, c’est aussi parce-qu’on a des jeunes policiers et des jeunes gendarmes qui sont très sensibles sur ces questions là et qui sont à l’image de la société française d’aujourd’hui qui ne supporte pas un certain nombre de discours qui pouvaient être tolérés dans le passé. Donc je pense que cette situation que nous vivons est aussi révélatrice d’un certain nombre de transformations des mentalités en France comme aux Etats-Unis.
Quelles actions allez-vous mettre en place pour renforcer la lutte contre le racisme au sein de la Police ?
C’est un travail qu’on a commencé à faire avec la direction générale de la Police nationale. Moi-même je vais dans une dizaine de jours me rendre à l’école nationale supérieure de police, mes collaborateurs vont à l’école des gardiens de la paix. Donc la question maintenant c’est comment on reconstruit les formations pour l’année suivante, à quels moments on place nos formations, avec qui on les fait, qu’est-ce qu’on y dit précisément, est-ce qu’on prend des études de cas ? Donc c’est tout ce chantier de la formation qu’on va revoir, pas simplement pour que ce soit une matière un peu abstraite avec quelques vagues connaissances sur la racisme et l’antisémitisme mais que ce soit quelque chose qui interroge vraiment la pratique des policiers et des gendarmes.
Quelle est la situation des Outre-mer en terme de problématiques autour du racisme ?
Je pense qu’il y a des problèmes très spécifiques aux Outre-mer. Le rapport à l’histoire de l’esclavage, le rapport à la ségrégation raciale y est très différent. Je crois qu’il y a évidemment une expression très prudente et vigilante sur ces questions là. L’Outre-mer connaît des tensions sur ses différents territoires mais c’est aussi une forme de solution car je considère que l’Outre-mer, c’est l’autre visage de la France. C’est un visage ouvert, c’est un visage métissé, un visage où les identités sont multiples. Je n’oppose pas des valeurs républicaines aux identités qui peuvent être extrêmement fortes, qu’elles soient culturelles ou linguistiques. Je pense que c’est une extraordinaire richesse. Les Outre-mer sont quelque part une forme d’exemple, de modèle de ce que peut être la société française de demain.
Vous avez publié en mars dernier l’ouvrage «La matrice de la haine», un plaidoyer en faveur de l’universalisme des droits. Pourquoi cet ouvrage ?
Un ouvrage qui rappelle un certain nombre de combats que j’ai mené avec la DILCRAH mais aussi un certain nombre de réflexions très personnelles. Je considère que le programme républicain, universaliste, celui de l’universalisme des droits, des devoirs, des combats, il est plus que jamais d’actualité. Je suis contre des identités qui enferment, contre des replis sur une origine, une religion. Notre identité, c’est quelque chose que l’on construit. Notre identité est devant nous. C’est Jean-Marie Tjibaou, le grand leader kanak qui disait ça, et pourtant il était très attaché à ses racines et à l’histoire de son peuple. Ça montre bien que l’identité, c’est quelque chose que l’on façonne, qui relève aussi du choix. Et c’est là-dessus que j’ai voulu insister, pour bien marquer que nous n’étions pas condamnés à une France repliée sur elle-même mais qu’il nous appartenait de construire une France plus fraternelle, plus ouverte, plus métissée. Donc c’est ce combat là que j’essaie de mener au jour le jour et que j’ai voulu rappeler dans cet ouvrage.
Propos recueillis par Amélie Rigollet