« L’Arctique va mal, mais tout reste possible ! », affirme Mikaa Mered
Mikaa Mered est professeur de géopolitique des pôles Arctique et Antarctique. Cet expert en relations internationales appelle à construire des solutions entre les États pour protéger la région menacée par le réchauffement climatique et l’exploitation industrielle
Face au réchauffement climatique et aux appétits industriels, l’Arctique souffre. Cette région, Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles et de l’hydrogène à l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI), l’a bien étudiée. Selon lui, il n’y a pas de fatalité et une concertation internationale pourrait permettre de préserver la nature boréale et ses habitants. Entretien.
Comment avez-vous découvert l’Arctique ?
Originaire des Outre-mer, je n’ai découvert Saint-Pierre-et-Miquelon et les Terres Australes et Antarctiques françaises qu’en CM2. La Terre Adélie, tout est parti de là. Puis l’Arctique, en 2007 auprès de mon tout premier patron, un ancien ministre des Affaires étrangères français expert des enjeux de sécurité dans l’Arctique russo-européen. Puis, même quand je travaillais au Moyen-Orient, il était question d’Arctique : autour de projets d’importation d’icebergs, par exemple…
Après la COP21, on m’a proposé d’abandonner le conseil pour enseigner les marchés et la géopolitique des pôles en Laponie finlandaise, puis en France, et contribuer auprès de la Commission européenne comme expert-évaluateur. Depuis, dans mes cours et conférences, j’essaye de casser les idées reçues : montrer pourquoi le modèle actuel d’exploitation des pôles n’est ni nouveau ni durable ; comment il accroît les tensions ; comment se positionnent les différents acteurs et quelles alternatives sont crédibles.
Comment va l’Arctique, justement ?
Mal. Il se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. La fonte des glaces et les feux de forêts battent des records chaque année. Des villages menacés par l’érosion côtière, l’activité industrielle ou encore le dégel du pergélisol, sont en train d’être déplacés ou abandonnés. En parallèle, avec près de 4 % de croissance par an en moyenne depuis 2010, l’Arctique russe est une région très dynamique. Malheureusement, cette croissance profite peu aux autochtones : plus de 90 % des investissements, des travailleurs et des technologies viennent du Sud.
La fonte des glaces ne va-t-elle pas rendre la région encore plus accessible ?
C’est déjà le cas. On exploite l’Arctique depuis cinq cents ans mais, aujourd’hui, elle devient une région industrielle normalisée, voire « post-polaire », là où l’exploitation a lieu, été comme hiver, sans difficultés. Aujourd’hui, neuf nouveaux ports et aéroports sont en construction, le transport maritime a été multiplié par dix en sept ans et 80 % du gaz russe est produit en zone arctique. C’est un cercle vicieux : idéalement situé pour fournir l’Europe et l’Asie en ressources, plus l’Arctique change, moins il est cher à exploiter… et plus cela aggrave la situation en Arctique.
Quelles seraient vos principales recommandations ?
Les pays et les peuples locaux refusent toute entrave extérieure à leur développement. Alors, il y a urgence à co-construire, au sein d’institutions comme le Conseil économique de l’Arctique, le Forum économique mondial ou l’Organisation maritime internationale, des standards d’exploitation durables et partagés, des mécanismes d’audits transnationaux et des barèmes régionaux de peines plancher, en cas d’abus environnementaux et/ou sociaux. Cela dit, depuis trois ans, mes recherches m’ont amené à identifier l’hydrogène vert en Arctique comme l’alternative la plus efficace socialement, environnementalement et géopolitiquement au modèle dominant fossile. En 2020, la Russie, la Norvège et l’Islande ont annoncé miser beaucoup dessus. Donc, tout est encore possible !
Quel est votre plus beau souvenir en Arctique ?
Dormir à la belle étoile, au milieu de nulle part au nord de Rovaniemi [au nord de la Finlande], sous une pluie d’aurores boréales allant du vert fluo jusqu’au rose. La magie de l’Arctique !
Les Mondes polaires de Mikaa Mered, PuF, 528 pages, 25 €. Pour comprendre les relations internationales, le droit, l’économie, la géostratégie, l’environnement, l’histoire et l’avenir des pôles.
Retrouvez le supplément «La mer notre avenir», en kiosque le 30 septembre 2020.