Biodiversité : un sommet de l’ONU comme premier pas vers un accord en 2021, mais un sommet pour rien , uniquement des déclarations d’intentions et beaucoup d’absents majeurs
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© stveakIl est nécessaire d’orienter les investissements agroalimentaires vers des modèles compatibles avec la nature. article de Laurent Radisson dans acti environnement
« L’humanité fait la guerre à la nature. Nous devons reconstruire notre relation avec elle », a déclaré António Guterres, secrétaire général de l’ONU lors de l’ouverture du sommet des Nations unies sur la biodiversité. Cette rencontre s’est tenue mercredi 30 septembre à New-York, mais de façon virtuelle pour la plupart des participants, crise sanitaire oblige.
L’enjeu de ce sommet réunissant chefs d’États et de gouvernements était de créer « une dynamique politique » en vue de mettre en place un cadre ambitieux pour la biodiversité mondiale pour l’après-2020. Ce cadre doit être adopté lors de 15e conférence des parties (COP 15) à la Convention sur la diversité biologique qui doit se tenir en mai 2021 à Kunming en Chine.
Cette dynamique est-elle au rendez-vous ? Pour Sébastien Treyer, directeur général de l’Iddri, ce sommet s’inscrit dans un moment de frémissement de la coopération internationale en matière d’environnement après une période de report de plusieurs grands rendez-vous internationaux du fait de la crise de la Covid-19.
Inverser la tendance d’ici 2030
Un signe positif est intervenu deux jours avant le sommet. Les dirigeants de 75 pays ont signé unengagement pour la nature avec pour objectif d’ « inverser la tendance à la perte de biodiversité » d’ici 2030. Parmi les signataires figurent l’Union européenne, le Canada ou la Nouvelle-Zélande. « Le moment est venu pour les dirigeants mondiaux d’agir ensemble et l’UE est prête à montrer la voie. Le pacte vert pour l’Europe est notre vision d’avenir et notre feuille de route. Nous invitons toutes les parties à s’associer à cet effort collectif pour le changement, afin d’assurer une relance verte, et de protéger et de restaurer notre planète, qui est notre seule patrie », a déclaré Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, en amont du sommet.L’absence d’aujourd’hui envoie un signal fort aux dirigeants du monde que les États-Unis n’ont pas l’intention de changer de cap de sitôt. Greenpeace International Mais on note de grands absents parmi les signataires de cette déclaration, ouverte par ailleurs aux acteurs non étatiques : la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie et surtout les États-Unis. Ces derniers n’étaient même pas représentés au sommet. « L’absence de Trump à ce sommet marquant fait suite à une longue histoire de mépris de son administration pour la biodiversité (…). L’absence d’aujourd’hui envoie un signal fort aux dirigeants du monde que les États-Unis n’ont pas l’intention de changer de cap de sitôt », s’indigne Greenpeace International, qui a manifesté son mécontentement devant les Nations unies.
Cet appel et ce sommet interviennent dans un cadre préoccupant puisque tous les clignotants de la biodiversité mondiale sont au rouge. Le 15 septembre dernier, le cinquième rapport sur les Perspectives mondiales de la diversité biologique (GBO-5) a montré qu’aucun des vingt objectifs d’Aichi, fixés en 2010, n’avait été atteint à l’échéance de 2020. Quelques jours avant, le WWF avait montré que les populations de vertébrés avaient chuté de 68 % entre 1970 et 2016. « Il y a dix ans, nous avons obtenu des engagements qui auraient dû protéger notre planète. Nous avons largement échoué », a reconnu le secrétaire général de l’ONU. « Mais, là où des efforts ont été faits, les avantages pour nos économies, la santé humaine et planétaire sont irréfutables », a-t-il ajouté.
Intégrer les solutions fondées sur la nature
Trois priorités ont été mises en avant par António Guterres lors du sommet. La première vise à intégrer les solutions fondées sur la nature dans les plans de l’après Covid-19. Le secrétaire général de l’ONU avait pointé peu avant l’émergence des maladies mortelles (VIH, Ebola, Covid-19) comme l’une des conséquences des atteintes à la biodiversité. « Les forêts, les océans et les écosystèmes intacts sont des puits de carbone efficaces. Les zones humides saines atténuent les inondations. L’humanité dispose de solutions naturelles à portée de main pour se protéger des catastrophes naturelles, des pertes d’emplois et des retombées économiques, et doit les utiliser », rappellent les Nations unies.
Les systèmes économiques et les marchés financiers doivent prendre en compte la biodiversité et investir dans la nature, estime ensuite M. Guterres. Un appel entendu par certains. Quelque 25 institutions financières, regroupées dans la Finance and Biodiversity Community, ont signé le 25 septembre un appel de la finance pour la biodiversité. Pour Sébastien Treyer, « il s’agit non seulement de financer les aires protégées, mais aussi d’orienter les investissements sectoriels, et notamment agroalimentaires, vers des modèles compatibles avec la biodiversité ». Le président du Conseil économique et social de l’ONU fait toutefois entendre un son de cloche différent. La clé pour « contenir l’avidité économique et la négligence politique » n’est pas une question de financement mais de volonté politique, estime Munir Akram.
António Guterres appelle aussi à ne laisser personne de côté. Pour le dirigeant onusien, la dégradation de la nature n’est pas qu’une question environnementale, car elle a des conséquences en matière d’économie, de santé, de justice sociale et de droits de l’homme. « Quatre milliards de personnes dépendent des médicaments naturels pour leur santé et 70 % des médicaments utilisés pour les traitements contre le cancer sont issus de la nature », illustre Volkan Bozkir, président de l’Assemblée générale des Nations unies. Selon la Convention sur la diversité biologique, les services fournis par les écosystèmes représentent entre 50 et 90 % des moyens de subsistance des ménages ruraux et forestiers pauvres.
La Chine prête à prendre des responsabilités internationales
Du côté des chefs d’États, la prise de position de la Chine était très attendue en tant qu’hôte de la COP 15. « La Chine est prête à prendre des responsabilités internationales en proportion de son niveau de développement et à contribuer à la gouvernance environnementale mondiale », a déclaré Xi Jinping. Mais le dirigeant chinois n’a pas fait d’annonce aussi forte sur la biodiversité que celle délivrée quelques jours auparavant en matière de climat. Le 22 septembre, le président chinois avait annoncé que son pays poursuivait l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060.
Le lien biodiversité et climat se révèle pourtant primordial. « Comme l’illustre (…) l’exemple du système alimentaire, climat et biodiversité ne peuvent plus être traités séparément, car les dynamiques économiques et sociales qu’il faut transformer pour protéger à la fois la biodiversité et le climat sont en fait les mêmes », explique Sébastien Treyer de l’Iddri.
Et, plus largement, les questions de biodiversité se doivent d’être appréhendées dans un cadre beaucoup plus large. « Ce serait un scénario très sombre si, dans l’année à venir, seules les négociations multilatérales sur l’environnement restaient ouvertes quand toutes les autres questions – politiques, militaires et économiques – seraient au point mort : si elles ne sont que prétexte à maintenir le contact, ces négociations pourraient conduire à construire un nouvel édifice d’engagements environnementaux, mais avec peu de chance de les voir devenir réalité car peu en prise avec tous ces autres rapports de force majeurs », analyse le directeur du think-tank.