Justice sociale et expérimentation au cœur de l’adaptation du littoral au changement climatique
En Metamorphose a repris son travail sur l’adaptation après un arrêt du à la cOVID. Un groupe d’experts est en constitution. Il devra superviser un travail d’écriture du manuel « l’adaptation pour les nuls » déstiné aux habitants de la bande littorale allant du Grau du Roi à Perpignan.
Dès aujourd’hui nous mettons en ligne des avis sur cette question de l’adaptation pour vous aider à comprendre les enjeux de cette action qui ne peut fonctionner qu’en lien avec l’atténuation pour faire face au réchauffement climatique
Publié dans Actu environnement le 9 Octobre 2020: La Fabrique Ecologique publie une note sur l’adaptation du littoral au changement climatique. Elle propose de prendre en compte les inégalités sociales dans l’élaboration des politiques publiques et d’expérimenter. Détails avec Jill Madelenat, co-auteure.
Jill Madelenat
co-auteure de la note.
Il va falloir reculer. L’élévation du niveau de la mer, conjuguée à l’urbanisation du littoral à un rythme effréné durant la seconde moitié du XXè siècle, rendent aujourd’hui vulnérables un nombre considérable d’habitations et de constructions publiques et privées. D’ici 2100, plusieurs milliers de bâtiments seront menacés par le recul du trait de côte.
Les pouvoirs publics anticipent depuis plusieurs années les difficultés posées par ce recul. Mais les réflexions menées ne se concrétisent pas, car les conséquences de certaines mesures pourraient être explosives. Dans certains endroits, la seule réponse possible sera la « relocalisation des activités et des biens », c’est-à-dire la destruction et la réimplantation des constructions menacées par la mer. Or, cette relocalisation soulève de nombreuses questions, en premier lieu celle de l’indemnisation des habitants de ces lieux.
Introduire des critères de justice sociale dans l’indemnisation des victimes
Depuis 1982, il existe un régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, telles que les submersions ou les inondations : le système CatNat associé au fonds Barnier, qui se fonde sur la solidarité nationale. Chaque contrat permettant d’assurer une habitation ou un véhicule comporte une contribution au fonds Barnier (la prime CatNat), ce qui permet de répartir le financement de la prévention des risques naturels sur l’ensemble de la population, et pas seulement sur les personnes concernées par ces risques. Mais le fonctionnement actuel du fonds Barnier n’est plus adapté aux nouvelles situations générées par le changement climatique. Sur le littoral, il ne prend pas en compte le risque d’érosion.
De plus, le montant de l’indemnisation des victimes est fondé sur la valeur vénale du bien, sans prendre en compte l’exposition au risque. Avec l’aggravation des nombreux risques naturels liée au changement climatique (érosion, inondation, sécheresse, etc.), dans un contexte où la valeur de certains biens situés sur le littoral peut atteindre des montants très élevés, le fonds risque de s’épuiser, sauf à augmenter les cotisations, ce qui ne serait pas juste socialement. On estime en effet que la valeur des biens menacés par l’érosion côtière à horizon 2100 est comprise entre 1 et 8 milliards d’euros. Enfin, la prise en compte de la situation économique et sociale, et notamment de la vulnérabilité des personnes, est inexistante. Cela peut conduire à des situations complexes, par exemple sur les littoraux ultra-marins, ou certaines situations de précarité découlent directement du passé colonial.
Le groupe de travail de La Fabrique Ecologique propose donc, à la suite de nombreux travaux cités dans la note, de revoir le fonctionnement de l’indemnisation des victimes de l’élévation du niveau de la mer, en inscrivant l’érosion côtière dans la liste des risques couverts par le fonds Barnier. Plus largement, il est impératif de considérer le recul du trait de côte comme un risque naturel, afin qu’il puisse rentrer dans les dispositifs de gestion du risque existants, tels que les Plans de prévention des risques. Le groupe de travail propose également de prendre en comptea minima le statut d’occupation dans les critères pouvant moduler les indemnités perçues par les habitants délocalisés, – dans un contexte où de nombreuses communes littorales concentrent les résidences secondaires – et de considérer les situations particulières des littoraux ultramarins, où certaines personnes ne disposent pas de titre de propriété et ne peuvent donc prétendre à une indemnisation.
Expérimenter un nouvel urbanisme littoral
En dehors des enjeux d’indemnisation des victimes, la relocalisation des activités et des biens soulèvent des questions d’urbanisme. A l’heure actuelle, trois outils majeurs encadrent l’urbanisme sur le littoral : le PLU, à disposition des communes, la loi Littoral – qui réglemente les constructions sur le rivage et qui a souffert depuis sa création de nombreuses exonérations et souffre aujourd’hui d’attaques en règle dans le cadre de nouvelles lois (par exemple la loi Elan) – et le Plan de prévention des risques littoraux (PPRL), à disposition des préfets. Or, de nombreuses tensions entre les collectivités locales, les habitants et l’État empêchent régulièrement de faire émerger une réglementation intelligente de l’urbanisme qui prendrait en compte la montée progressive du niveau de la mer. Le groupe de travail de La Fabrique Ecologique propose à ce titre d’élaborer des chartes co-construites par les collectivités et l’État, qui permettraient de partager une vision commune d’un nouvel urbanisme prenant en compte l’adaptation au changement climatique. Là encore, le recul du trait de côte doit être inclus, au même titre que la submersion marine, dans les dispositifs tels que les PPRL ou ces nouvelles chartes.
La segmentation traditionnelle portée par les outils de planification de l’urbanisme ne permet pas une gestion adaptative du trait de côte. En effet, le PPR ne considère que des zones « à urbaniser » ou des zones « vulnérables », au sein desquelles les constructions sont interdites sur la base d’un aléa parfois lointain. Pourtant, l’élévation du niveau de la mer se fera progressivement. Il est donc nécessaire de prendre en compte cette progressivité dans les outils de planification pour ne pas déboucher sur une situation binaire qui engendre dores et déjà des conflits et de la vulnérabilité juridique. En effet, ces dernières années, de nombreux PPRL ont été attaqués en justice par les habitants ou les collectivités.
Quant au zonage classique des PLU (zone urbanisée, à urbaniser, agricole ou naturelle), il n’offre pas non plus la possibilité d’expérimenter de nouvelles formes d’occupation du littoral. Les usages des différentes parcelles des communes littorales seront pourtant amenés à évoluer avec l’élévation du niveau de la mer : certaines zones artificialisées seront dépoldérisées et redeviendront naturelles, des parcelles agricoles seront salinisées, ce qui nécessitera leur reconversion vers des usages récréatifs ou d’élevage des prés salés, etc.
Cette situation nécessite de repenser les modes d’occupation du littoral. Les auteurs de la Note proposent de s’appuyer sur les dispositifs d’expérimentation pour tester de nouvelles pratiques (habitations légères, temporaires et démontables, agriculture de pré-salés) et de nouveaux outils dores et déjà mis en avant par des travaux précédents (proposition de loi portée par les députées Got et Berthelot) et permettant d’accompagner le recul du trait de côte (Zone d’Activité Résiliente et Temporaire, Bail Réel Immobilier Littoral, etc.).
Dans les années à venir, l’attractivité du littoral continuera de croître. L’expérience de confinement pourrait accentuer cette tendance. Mais le littoral ne peut plus être artificialisé et occupé comme il l’a été durant les dernières décennies. La modification de la manière d’habiter ces territoires est un enjeu crucial, renforcé par l’élévation du niveau de la mer et par la nécessaire préservation des écosystèmes littoraux.
Avis d’expert proposé par Jill Madelenat au nom du think tank La Fabrique Ecologique