Réduction de l’impact du numérique : les premières mesures se dessinent
Le débat sur la 5G le démontre. Les inquiétudes autour de l’impact environnemental du numérique se renforcent. Le Gouvernement promet une feuille de route interministérielle et lance les négociations avec les acteurs. Tandis que le Sénat veut légiférer.| 15 octobre 2020 | Florence Roussel | Actu-Environnement.com
© Proxima StudioLa consultation de video en ligne accroit l’empreinte environnementale du numérique
Pour la première fois en 2019, les montants investis en France par les opérateurs de communications électroniques pour déployer les réseaux fixes et mobiles ont dépassé les 10 milliards d’euros. Un signe que le secteur est en pleine croissance tirée par une augmentation des usages. Mais l’impact environnemental du numérique croît de la même manière notamment sur les besoins énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre, tout en provoquant l’obsolescence accélérée des équipements informatiques.
Face à ces craintes, une politique de maîtrise de ces impacts est en train de prendre forme. La loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire (loi Agec) a commencé à cadrer certains aspects comme la lutte contre l’obsolescence programmée des équipements et logiciels. La loi crée par exemple un indice de réparabilité pour certains équipements électriques et électroniques. Mais ce n’est qu’un début. D’autres mesures législatives, réglementaires et incitatives pourraient voir le jour rapidement.
Une feuille de route interministérielle
À l’occasion d’un colloque consacré à ce sujet et organisé jeudi 8 octobre, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili a annoncé plusieurs éléments dans l’optique de« dépasser la logique de silos face à ces deux mouvements indispensables et stratégiques : d’une part la lutte contre le réchauffement climatique, la défense de la biodiversité, la protection de l’environnement ; d’autre part la transformation numérique de notre économie, de notre vie quotidienne et de l’action publique ». Avec comme mantra : il n’y aura pas de transition écologique sans numérique, mais cette transition numérique doit être maîtrisée.
Le Gouvernement a ainsi posé les jalons d’une feuille de route interministérielle qui sera précisée d’ici la fin de l’année autour de trois axes : développer la connaissance de l’empreinte environnementale numérique, la réduire et faire du numérique un levier de la transition écologique. Elle s’appuie sur un travail initié en amont par le Conseil national du numérique (Cnnum) et le Haut conseil pour le climat à travers un livre blanc.
Premières mesures actées
Certaines mesures sont d’ores et déjà validées. Le Gouvernement a annoncé le lancement d’une enquête de la Direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF) sur le fonctionnement du marché de l’après-vente des terminaux numériques (prix des pièces détachées, conditions d’accès des réparateurs à celles-ci, etc.).
Par ailleurs, pour les data centers, le Gouvernement va mettre en place une éco-conditionnalité sur le tarif réduit de la taxe applicable à l’électricité consommée. Pour bénéficier de ce tarif réduit, les data centers installés en France devront mettre en place des « mesures ambitieuses de maîtrise de leur empreinte environnementale », en matière d’efficacité énergétique et de récupération de la chaleur fatale.
Des AMI et appels à projets
L’Agence de la transition écologique (Ademe) lancera cet automne deux appels à projets pour soutenir le développement de l’éco-conception des services numériques dans les entreprises. L’appel à projets recherche « PERFECTO 2021 » accompagnera les entreprises dans leurs démarches d’éco-conception. Cette nouvelle édition sera dotée de 1M€. L’appel à projets « ECONUM » – pour Éco-conception des services numériques – visera à faire émerger une offre de produits, biens et services numériques à haute performance environnementale, grâce à la mise en œuvre d’une démarche d’éco-conception sur toute la chaîne de valeur du numérique : terminaux et matériel, logiciels, infrastructures, réseaux, serveurs et data centers. ECONUM s’adresse aux entreprises et acteurs publics et privés, quelles que soient leurs tailles. L’appel à projets sera ouvert jusqu’en 2022, et sera doté d’un minimum de 1,5M€ par an.
En parallèle, un appel à manifestation d’intérêt (AMI) est lancé dans le cadre de la 7ème promotion de la Greentech Innovation pour identifier et accompagner les start-ups innovantes dans ce domaine. Ces dernières pourront également bénéficier d’un nouveau fonds de 300M€ pour se développer.
Ouverture d’une concertation avec les acteurs concernés
Pour préparer d’autres mesures, l’État va concerter les opérateurs telecom pour qu’ils s’engagent en faveur du réemploi et du reconditionneme d’équipements numériques usagés. Par ailleurs, ils sont invités à lancer une campagne de sensibilisation nationale pour inciter les Français à remettre leurs téléphones usagés. Orange a d’ailleurs annoncé le même jour le lancement de son programme « Re » pour encourager ses clients à rapporter leurs vieux téléphones. Le groupe va également se lancer dans la vente d’appareils reconditionnés.
Une concertation plus large sera engagée avec les parties prenantes du secteur sur la sobriété dans les usages. « Si besoin, des pistes de régulation sur ces questions seront explorées », précisent les ministères.
Une proposition de loi au SénatNous avons la conviction qu’il faut avancer vite Sénat Les ministères vont d’ailleurs s’appuyer sur les travaux parlementaires et notamment ceux du Sénat. Après avoir travaillé sur la question début 2020, les sénateurs de lacommission développement durable ont déposé une proposition de loi. « Nous avons la conviction qu’il faut avancer vite. Il faut une politique publique sur le sujet sachant que d’ici 2040, ce secteur représentera 7 % des émissions françaises de gaz à effet de serre, plus que l’aviation », estiment Patrick Chaize (LR – Ain), Guillaume Chevrollier (LR Mayenne) et Jean‑Michel Houllegatt (groupe Socialiste, Écologiste et Républicain – Manche).
La proposition de loi prévoit par exemple de créer un observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique auprès de l’Ademe pour mieux savoir quels sont les gains et impacts du secteur.
Le texte de loi propose aussi d’accroître la durée de la garantie légale de conformité des équipements numériques et d’introduire un taux de TVA réduit sur les objets reconditionnés. Pour l’instant, cette mesure est contraire à une directive européenne mais la ministre Barbara Pompili a promis de défendre l’idée au niveau européen.
En termes d’usages, les sénateurs veulent interdire les forfaits illimités de données et mettre fin au lancement automatique des vidéos. « Les opérateurs de réseaux devront également souscrire à des engagements de réduction des émissions et de la consommation d’énergie sous le contrôle de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Par ailleurs, la préservation de l’environnement doit être un critère de sélection lors de l’attribution des prochaines fréquences. C’est une réponse concrète et pragmatique aux craintes sur la 5G », estiment les trois sénateurs.
La proposition de loi doit désormais être inscrite et examinée dans le cadre d’une niche parlementaire. Mais les sénateurs sont confiants quant à la probabilité qu’elle aille au bout du processus. « Nous avons déjà des appuis à l’Assemblée nationale. C’est un sujet qui intéresse grandement de nombreux collègues car on est en phase avec les préoccupations du moment. Mais ce texte n’est pas une fin en soi. C’est un point de départ pour lancer le débat parlementaire, une base de travail, et certaines mesures pourront se retrouver dans un autre véhicule législatif », expliquent les sénateurs. Le projet de loi de la Convention citoyenne pour le climat pourrait être une opportunité.