la centrale de Larivot en Guyane ne devrait pas fonctionner au fuel
Le dossier de la centrale du Larivot fait couler beaucoup d’encre et les nouvelles les plus contradictoires se croisent. D’où la nécessité d’une petite synthèse sur un dossier dont on n’a pas fini d’entendre parler d’ici 2024. Par Dominique Martin-Ferrarri.
La situation guyanaise aujourd’hui
Au départ, on trouve une vieille centrale thermique à Dégrad-des-Cannes en Guyane, exploitée par EDF, proche d’un vieux port qui nécessite toutes les semaines le dragage des sables pour que les mini pétroliers puissent accoster et décharger le fuel dont se nourrissent encore plus du tiers des installations électriques guyanaises. La centrale tombe régulièrement en panne. La pollution importante due au fuel lourd est devenue inacceptable
De la vieille centrale aux groupes diesels pudiquement appelés « solutions décentralisées », de Cayenne aux villages du sud du pays accessibles uniquement par le fleuve, le fuel reste à l’origine de l’électricité pour un tiers des besoins du pays.
Aux côtés de ce tiers, une moitié de la production est fournie par les turbines, soumises à l’eau retenue par le barrage de Petit-Saut et dont l’électricité est rapidement aspirée par l’enclave de Kourou et du CNES. Reste le centre urbain de Saint-Laurent, lieu en permanent bouleversement, peut-être demain site du prochain terminal en eau profonde pour la Guyane.
La réalisation de la centrale CEOG (20MW) sur la commune de Mana est en cours ; une importante centrale solaire avec un stockage hydrogène vert industrialisé. Sa technologie permet de lisser l’intermittence du solaire en stockant l’électricité sous forme d’hydrogène sous pression. Mais le projet initié par HDF Energy qui serait une première en France, souffre des limites imposées par la loi sur l’usage du foncier et rend l’installation de la centrale solaire difficile.
Initialement prévu en 2020, le projet financé grâce au fonds d’investissement Meridiam est retardé par le village kalina de Prospérité qui la juge trop proche – moins d’un km des habitations- se sent encerclé, et surtout non considéré, sur ces terres coutumières. Il demande une concession de 5000 ha, au moment où les amérindiens doivent se répartir les 400 000 ha rétrocédés par les accords de Guyane.
De Dégrad-des-Cannes à Prométhée
L’existant en Guyane est donc loin de satisfaire les besoins énergétiques d’un département qui prévoit une explosion démographique et cherche à développer ses emplois. C’est ainsi que s’est trouvé justifié le projet de la nouvelle centrale du nom symbolique de « Prométhée ». Premiers projets, premiers ennuis.
Alors que la Guyane dispose d’un immense territoire, que nombre de projets d’énergie renouvelable s’y précisent, du solaire à l’hydrogène, en passant bien sûr par la biomasse, on espérait voir s’élever auprès de Cayenne, un projet qui permettrait à la Guyane d’être première de la classe avec une PPE à 100% autonome en 2050, et voilà qu’ EDF sort de ses cartons une centrale thermique au fuel de 120MW pour 2024, faisant pour l’imposer toujours planer le risque du black out , son argument permanent…
La vieille centrale de Dégrad-des-Cannnes
Cerise sur le gâteau, le site choisi est sur le Larivot en bordure de la rivière de Cayenne, sur une zone de pripri et de mangrove, dite zone inondable d’intérêt écologique (ZNIEFF), fréquentée par deux espèces emblématiques et en danger : le toucan toco et le milan à long bec, et site de vie d’un palmier rare. Mais surtout nous sommes à 14km des débarquements de Dégrad-des-Cannes et un oléoduc devra être construit.
Tout va mal dans ce projet : non respect des règles élémentaires de la biodiversité, risques, projet inadapté et incompatible avec les ambitions affichées par la France en matière de lutte contre le changement climatique.
Il est cependant adopté sous le ministère de Nicolas Hulot, et derrière le projet est actée l’indispensable PPE. François de Rugy dès son arrivée, demande une révision de cette PPE et par là même du projet Larivot, en augmentant la capacité du site photovoltaïque adjoint pour un semblant de mix.
Le syndicat des énergies renouvelables, l’ADEME, l’AFD, les start-ups de la biomasse, l’INRA, le CNES…proposent une multitude de scénarios alternatifs – du solaire avec stockage hydrogène (pour dompter l’intermittence), à la biomasse – qui pourraient permettre de parvenir à une production équivalente sans recours au fuel.
La Guyane n’est-elle pas considérée par tous les acteurs du renouvelable comme le premier DROM à pouvoir répondre positivement à l’autonomie attendue ? Il est hors de question de saboter cette chance, car ce que craignent par dessus tous les nouveaux acteurs et en tête le Groupement des entreprises en énergies renouvelables de Guyane (Generg) c’est l’amortissement sur plusieurs années des 500 millions d’investissement qui risque de remettre en question tous les autres projets
Face à cette situation, le 17 Octobre, Barbara Pompili ministre de la Transition énergétique annonce qu’elle retoque le projet présenté par EDF PEI (production électrique insulaire), et va revoir la PPE Guyane. Elle propose « le remplacement du projet d’installation d’une centrale fonctionnant au fioul léger à Larivot, par une centrale qui fonctionnera aux biocarburants dès son entrée en service « en 2024, sans impact dans l’affectation des sols.
Cette réorientation du projet permettra de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre puisqu’elles seront au moins 3 fois inférieures au projet initial et 4 fois inférieures à celles de l’actuelle centrale de Degrad-des-Cannes. Ce projet réduira également fortement les émissions d’oxydes d’azote (-64%) et d’oxydes de soufre (-99,6%).
Un couac pour la préfecture, obligée le 27 octobre de publier un nouveau communiqué remettant en question son arrêté pris après l’enquête publique virtuelle menée d’Avril à Juin derniers, arrêté qui encadrait l’autorisation d’exploitation de la future centrale pour le compte d’EDF PEI.
Mais le débat est loin d’être clos pour deux raisons
La première, est qu’en prônant un fonctionnement à la biomasse liquide Barbara Pompili s’avance beaucoup et ne calme pas les craintes des environnementalistes « on nous propose de mettre de l’huile à la place du pétrole, sauf que l’huile est aussi polluante, et tous les problèmes restent intacts. »
D’autre part le process n’est pas au point. Certes EDF avait réfléchi à la solution biomasse à laquelle elle travaille avec les allemands. Mais pour l’instant elle ne dispose d’aucune expertise en France. La Direction d’EDF a cependant indiqué au Monde que « Si la société n’opère pas de centrale avec ce type de combustible, un essai concluant a été mené en juillet en Guadeloupe dans l’usine au fioul lourd de Jarry, avec une biomasse liquide produite par la société française Saipol, qui fabrique des coproduits à partir du colza ».
La seconde est que le communiqué de la préfecture est flou et peut conduire à de graves dérives : il ne revient pas sur le lieu de construction de la centrale qui soulevait nombre de questions ; il propose que la réflexion concernant le carburant choisi soit menée durant les travaux, ce qui sous entend que jusqu’à la date butoir de 2030 le fuel pourrait être utilisé ; il adopte la notion de biocarburant mais ne mentionne plus que l’huile de palme au titre des sources de carburant interdit, et ne nomme plus le soja « exclut selon les critères de durabilité » par le communiqué de la ministre.
L’affaire est donc à suivre
Pour la collectivité, répondre à la demande énergétique demandera des solutions plus complexes, plus territorialisées et reposant moins sur un seul gros acteur, en l’occurrence EDF. Mais « Les biocarburants sont une grosse avancée, se réjouit Rodolphe Alexandre. Parallèlement, on va accentuer le mix énergétique. »
Dominique Martin Ferrari – Outremers Metamophoses