Les îles du Pacifique face à l’inaction climatique
Les dirigeants des îles du Pacifique se réunissaient ce vendredi 11 décembre, lors d’une réunion virtuelle des 18 membres du Forum des îles du Pacifique (FIP). Ils ont appelé à prendre « au sérieux » les questions liées au changement climatique, à la veille du sommet qui s’est tenu sur le sujet, co-organisé par l’ONU, le Royaume-Uni et la France.
En amont du sommet de l’ONU du samedi 12 décembre pour le climat, qui célébrait le cinquième anniversaire de l’Accord de Paris, s’est tenue la réunion du Forum des îles du Pacifique (FIP). Elle visait à alerter la communauté internationale sur les effets dévastateurs du réchauffement planétaire. Le Premier ministre de l’archipel des Tuvalu, Kausea Natano, président du FIP, a expliqué que les nations insulaires du Pacifique étaient « en première ligne face au changement climatique » et les a exhortées à mettre la pression aux chefs d’États du monde entier pour lutter de manière concrète contre les effets des gaz à effet de serre.
Le premier ministre des îles Fidji, Frank Bainimarama a souligné, une nouvelle fois, l’immobilisme des politiques internationales en la matière. « Nous, les nations du Pacifique, devons pour notre peuple et l’humanité tout entière, élever davantage la voix pour exiger des grands émetteurs (de CO2) qu’ils intensifient leurs actions et leurs engagements en matière climatique », a-t-il déclaré. Il ajoute : « Sans cela, nous perdrons nos maisons, notre mode de vie, notre bien-être et nos moyens de subsistance – il est plus que temps d’être sérieux […] Nous ne devons pas rester les bras croisés et regarder les pays les plus vulnérables du monde subir (tout cela), juste afin de prévenir les nations les plus riches qu’elles vont bientôt subir le même destin »
Cinq ans après l’accord de Paris, le constat est amer : aucune action concrète n’a été menée
L’Accord de Paris, porté en 2015 par François Hollande semble être de plus en plus une belle coquille vide et un échec politique terrible. L’ancien président de la République se félicitait avec emphase et euphorie en affirmant que la signature des 195 pays membres de l’ONU était historique : « Il est rare dans une vie d’avoir l’occasion de changer le monde […] pour que vive la planète. » Cinq ans après, le constat est amer : aucune action concrète n’a été menée par les pays les plus pollueurs. Rappelons que les pays signataires s’étaient engagés à limiter le réchauffement à +2°C voire 1,5°C.
Lors du sommet de l’ONU du 12 décembre, le secrétaire général des Nations Unies a appelé les dirigeants du monde entier à déclarer l’état d’urgence, dénonçant un immobilisme général dramatique : « Cinq ans après Paris, nous n’allons toujours pas dans la bonne direction […] Si nous ne changeons pas de cap, nous pourrions nous diriger vers une augmentation catastrophique de la température […] au cours de ce siècle. » Cet appel semble encore une fois bien symbolique, et démontre toute l’impuissance des instances internationales à mettre au pas les pays les plus pollueurs, dont la Chine et les Etats-Unis.
Je refuse de laisser les Fidjiens et nos frères et sœurs des îles du Pacifique être les cobayes qui se sacrifient pour le compte des pays miniers et des entreprises à fortes émissions
Les conséquences de l’inaction s’annoncent catastrophiques. D’ici à 2100, Frank Bainimarama estime que la température moyenne du globe aura augmenté de 5°C, si les États ne prennent pas immédiatement des dispositions pour la lutte contre le réchauffement climatique : « Nous avons tous signé l’accord de Paris, maintenant, faisons tout pour le mettre en œuvre. » Appelant à la responsabilité générale et collective internationale, il lance un appel aux grandes puissances : « Je refuse de laisser les Fidjiens et nos frères et sœurs des îles du Pacifique être les cobayes qui se sacrifient pour le compte des pays miniers et des entreprises à fortes émissions. »
Renato Redentor Constantino, directeur de l’Institut pour le climat et les villes durables, dénonce les positions controversées des deux pays les plus développés dans la zone : la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Bien que les deux nations insulaires tiennent des discours de façade engagés, elles continuent d’augmenter inlassablement leurs émissions de CO2. «Tous deux aiment être considérés comme des bienfaiteurs dans le Pacifique mais en réalité, ils agissent comme des pyromanes », dénonce-t-il, alors que la première ministre néo-zélandaise, Jacinda Arden, vient de déclarer un « état d’urgence climatique » pour son pays.
Les enjeux climatiques fragiliseront la stabilité géopolitique de la région Pacifique
Les îles du Pacifique sont touchées très brutalement par les effets dévastateurs du changement climatique. Elles sont en proie aux cyclones, de plus en plus puissants et de plus en plus nombreux. Compte tenu de leur faible altitude, les pays du Pacifique vont subir de plein fouet l’élévation du niveau de la mer, réduisant à la fois leur surface terrestre, mais aussi leur espace maritime.
Vlad Sokhin, photographe qui récolte des données sur le changement climatique, explique au National Geographic les effets dévastateurs des émissions carbones. « Dans tous les pays, j’ai pu observer les effets du réchauffement planétaire et du changement climatique […] Les pays sont confrontés à différents effets. Par exemple, à Guam, le blanchiment des coraux constitue le plus grand défi, mais ces dernières années, les cyclones se sont intensifiés et sont devenus la menace la plus directe.» Si l’on se souvient du cyclone de catégorie 5 Pam de 2015 qui a touché le Vanuatu et Winston en 2016 qui a atteint de plein fouet les îles Fidji, les météorologues insistent largement sur l’augmentation de ces phénomènes, année après année. Ainsi, l’année 2020 a été l’une des plus prolifiques en matière de cyclones et de tempêtes tropicales.
L’archipel de Tuvalu, les îles Cook et les îles françaises de Wallis et Futuna verront à terme leurs frontières considérablement modifiées par la montée des eaux
Outre les enjeux écologiques, les effets du dérèglement vont fragiliser sensiblement la stabilité géopolitique actuelle. L’archipel de Tuvalu, les îles Cook et les îles françaises de Wallis et Futuna verront à terme leurs frontières considérablement modifiées par la montée des eaux. Les conséquences en matière de souveraineté nationale sont innombrables et menacent directement la définition même des zones économiques exclusives (ZEE), des eaux territoriales et des zones de pêche.
Le Premier ministre des îles Cook, Henri Puna, demande, à des fins de protection des zones maritimes « d’utiliser les nouvelles technologies pour cartographier par satellite notre territoire. Il faut que les coordonnées GPS fixent les limites pour toujours.» Car l’enjeu est de taille pour ces pays, dont les principales ressources économiques reposent essentiellement sur la mer : pêche, exploitation des sols marins notamment minérale et tourisme. Mais sera-t-il suivi d’effet ?
La France, deuxième zone économique exclusive mondiale voit sa souveraineté menacée par la montée des eaux
Les enjeux pour la France, deuxième ZEE mondiale, sont énormes. Le 3 décembre 2019, le président de la République Emmanuel Macron, avait rappelé lors de son discours sur la politique de la mer les enjeux financiers essentiels de la ZEE française. A elle seule, elle représente « un formidable écosystème d’entreprises à 91 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 355.000 emplois […] La France est la première puissance maritime d’Europe, ses façades maritimes sont majoritairement ultramarines […] c’est un atout unique sur le plan géopolitique. » Thierry Nevale, représentant de la Communauté du Pacifique, alerte : « On peut imaginer que si des atolls de Polynésie française disparaissent à cause du niveau de l’eau qui monte, les frontières maritimes seraient peut-être réduites et donc le droit aux ressources réduit. »
Avec la montée des eaux, c’est toute la présence française et sa place dans la géopolitique du régionale qui risquent d’être menacées. Car si le Pacifique semble bien loin de la métropole, la menace climatique sur les territoires ultramarins impactera irrémédiablement la souveraineté nationale dans la région. Elle déstabilisera considérablement la place de la France dans la zone Pacifique, qui, avec la montée en puissance de la Chine et de l’Inde, remplace l’Atlantique comme centre de gravité des échanges internationaux de toute nature.