La démocratie a t elle besoin de la science ? de Pierre Papon . Un livre a lire absolument (ou la fiche de synthèse qui en est faite ici bas)

https://www.cnrseditions.fr/catalogue/philosophie-et-histoire-des-idees/la-democratie-a-t-elle-besoin-de-la-science/
 Fin Décembre 2020 Pierre  Papon  publie aux éditions CNRS un livre très important « la démocratie a elle besoin de la science ? »
Bien sûr il est question de ce que nous vivons depuis un an maintenant avec la covid 19, mais pas que …
 
 Pierre Papon est professeur honoraire à l’ESPCI de Paris, conseiller scientifique de Futuribles international. Il a été directeur général du CNRS et PDG de l’Ifremer
 
Denis LACROIX prospectiviste à IFREMER propose sur ce livre  une fiche de synthèse d’étude prospective dont nous publions ici le contenu
 
3.1. A la recherche de la vérité : voies et moyens de la connaissance scientifique
3.1.1. La longue marche de la science vers la vérité
Il faut d’abord s’interroger sur la question de savoir si la science est pilotée par les idées (théories, hypothèses) ou par des outils (télescope, microscope, l’IRM…). Il s’agit en fait d’une interaction permanente entre les deux afin d’aboutir à « un savoir objectivement prouvé par des faits », ceux-ci étant vérifiables et répétables quel que soit l’expérimentateur. La connaissance théorique précède souvent la démonstration irréfutable comme le rôle des chromosomes dans le vivant, rôle démontré 20 ans après l’intuition d’E. Schrödinger (1944). « Tous les savoirs sont fondés sur des faits établis par l’observation ou l’expérience, ou déduits d’axiomes ou de théories » (p. 40)
Compte tenu de la complexité croissante des disciplines scientifiques, et de l’explosion des revues spécialisées, la marche de la science est presque toujours une longue marche…. Cette observation est encore plus vraie pour les sciences sociales qui ne peuvent pas expérimenter rigoureusement.
Le sociologue Robert Merton précise en 1942 la structure normative de la science, fondée sur 4 valeurs : l’universalisme, le communalisme (la science produit un savoir partagé comme la photo, le vaccin, le Web…), le désintéressement, le scepticisme organisé (= la réfutabilité de K. Popper).
Mais les scientifiques font partie de la société et ils sont co-responsables des applications de leurs recherches. Ils participent à des ruptures de paradigme, ou « révolutions scientifiques » rendues nécessaires par l’insuffisance des théories existantes (Kuhn, Bachelard, Koyré…)
 
3.1.2. La vérité scientifique a ses limites
La science démontre beaucoup de choses mais elle épuise rarement la compréhension complète d’un phénomène comme Feynman l’a montré à propos de l’énergie. Malgré le principe d’incertitude d’Heisenberg, il est raisonnable d’admettre que « le déterminisme classique est la conséquence directe des lois quantiques, et ce, en dépit du caractère probabiliste de ces lois » (R. Omnès).
En sciences sociales, peut-on rechercher légitimement des « vérités » ? De nombreux experts en doutent (Durkheim, Weber…) pour la raison majeure que « le comportement humain n’est pas rationnel et que l’on se heurte donc à une sorte de « principe d’incertitude » (p. 92). Doit-on pour autant considérer toute connaissance comme relative ?
Cette attitude, valable en théorie, est dangereuse en pratique car elle conduirait à instiller le doute dans toute démarche de connaissance et à fragiliser toute expertise. Or sans expertise, même imparfaite, comment prendre des décisions sensées ? L’exemple du climato-scepticisme montre bien l’impasse d’une position dogmatique de relativisme.
 
3.1.3. La science à l’ère du numérique : un nouveau discours de la méthode
Les applications du numérique ne font que commencer en matière de sciences et elles annoncent une révolution scientifique tant les puissances de calcul ouvrent de vastes perspectives comme en modélisation du climat. Mais, ni la science, ni la réalité ne sont « solubles «  dans le numérique. De fait, aucune rupture scientifique ne peut être attribuée à l’utilisation d’outils numériques.
Il reste donc à comprendre comment le savoir est « intriqué » dans la société.
 
3.2. La science dans la société
3.2.1. La production de savoir est-elle une activité comme les autres ?
La mathématisation de la science, notamment depuis Galilée, a permis la prédiction des phénomènes : « Science, d’où prévoyance, d’où action » (A. Comte). Par ailleurs, la science est institutionnalisée au 17e s lors de la création des académies scientifiques. Mais la « République des sciences » change car certaines découvertes (radar, bombe atomique…) ont de forts impacts politiques. Dès lors, en sus des universités, les Etats et les organisations internationales se dotent d’instituts spécialisés pour « piloter » la science au service d’objectifs politiques comme le CNRS pour la France, le CERN pour l’Europe, l’UICN pour la biodiversité dans le monde.
Cette évolution a fait porter le soupçon d’une science orientée par des intérêts politiques et industriels. Après 1960, les « sciences studies » ont montré qu’il n’y a pas de science « pure » détachée de son contexte socio-politique (Bourdieu, Latour, Callon…). Mais cette évolution a permis de reconnaître que « Ce n’est pas parce qu’il n’existe pas de critères généraux du vrai que celui-ci n’existe pas » (Kant). Finalement, « la production du savoir est une confrontation permanente d’hypothèses et de théories à la réalité par la mesure et l’observation » (p. 145).
L’intégrité du scientifique reste menacée par le glissement de la recherche vers l’innovation, puis vers la valorisation industrielle et économique. Un des signes de ce glissement est l’augmentation des fraudes scientifiques, liée aussi à la croissance du nombre des chercheurs publiants (1,4 millions d’articles en 2016 avec 1 à 2% d’erreur) et de la compétition entre chercheurs, revues et pays.
 
3.2.2. Science et décision politique
Le concept de progrès est le fruit des « Lumières » avec la conviction, explicite, que la science (fondé sur la raison et l’intelligence individuelles) se développe plus facilement dans un climat social de liberté (fondé sur des droits collectifs). Mais ce duo fécond fonctionne de moins en moins bien à partir de la fin du 20e siècle pour trois raisons : un sentiment de déclassement social des classes moyennes, la prise de conscience des dommages faits à la nature et au climat au nom d’une croissance incontrôlée et enfin, de la peur d’une science au service de l’efficacité militaire. La sacralisation de la technique a été critiquée dès les années 1960 (Heidegger, Marcuse, Ellul…) et a abouti à un doute général sur les finalités de la « technoscience », notamment quand elle se révèle instrumentalisée par l’industrie. Cependant, la science reste une boussole, même imparfaite, pour la décision politique dans des problématiques aussi complexes que le climat, la transition énergétique ou la politique sanitaire. Ainsi, l’expert scientifique émerge comme dans le difficile rôle du « 3e homme » entre le chercheur, qui n’a pas à justifier l’objet de ses travaux, et le politique, qui doit justifier ses choix. L’expertise doit alors s’ancrer au plan institutionnel au sein de diverses structures (Académies, agences de recherche, commissions ad hoc…). Diverses fondations ou Think tanks font alors le lien avec le monde politique.
 
 
3.3. La science, vigie de la démocratie
3.3.1. Science, enjeux de société et débat public
En démocratie, la science doit apprendre à « naviguer dans le triangle des Bermudes du souhaitable, du possible et de l’acceptable ». En effet, si le débat démocratique doit être éclairé par des faits établis et vérifiés, il est porteur de trop d’enjeux explicites ou masqués pour que les choix politiques finaux conservent leur logique initiale. Ainsi les choix technologiques d’un Etat sont le fruit de compromis complexes mêmes si les étapes classiques du processus décisionnels sont respectés (expertise scientifique, propositions de choix techniques, concertation citoyenne, décision finale).
Pour réduire les risques d’erreur, la décision politique démocratique s’appuie sur 3 cercles d’experts : corps de l’Etat, experts d’agences spécialisées, comités mixtes ad hoc. Le résultat est souvent contesté (ex ;: glyphosate ; enfouissement des déchets nucléaires). Cette évolution a entraîné un découplage entre la confiance globale en « la Science » et celle dans « les usages de la connaissance » dès que les enjeux sont liés à des intérêts économiques. Si les recherches sur la biodiversité ont la confiance du citoyen, celles sur le nucléaire et les OGM suscitent la méfiance.
On peut aller jusqu’à parler d’un déclin de la valeur de la vérité liée notamment au brouillage entre fait et opinion et à la perte de confiance dans les sources d’information, même reconnues. Cette évolution est grosse de danger pour la démocratie et pose la question de la responsabilité des chercheurs à l’heure de la « post-vérité ». Ainsi, des hommes politiques aussi différents que M. Rocard, B. Obama et E. Macron ont dû réaffirmer l’importance de la confiance en la science.
 
3.3.2. Science et débats démocratiques : surmonter la défiance
Avec l’accélération des technologies de robotique et d’intelligence artificielle, le politique tend à demander à la science de jouer le rôle de « vigie » pour contribuer à préparer l’avenir. Cela se traduit par des efforts croissants dans des domaines vitaux pour les sociétés : le climat, la transition carbone, la santé, l’emploi… L’UE propose l’objectif de 3% du PIB en R&D pour entretenir la compétitivité du continent et aider à la faire face à diverses formes de crises sur le moyen terme.
 
Outil récent mais en développement, la prospective est un des moyens d’attirer l’attention du public et des décideurs sur des enjeux des progrès du savoir. Les scientifiques doivent apprendre à dialoguer avec les élus comme les citoyens avec de nouveaux moyens comme l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et techniques, la Commission nationale du débat public ou des conférences de citoyens. Mais « les démocraties sont souvent myopes » car elles s’intéressent d’abord au court terme (Rosanvallon). Si algorithmes, AI et big data doivent rester sous contrôle pour « rendre des comptes », la science citoyenne pourrait s’appuyer plus sur les sciences participatives mélangeant amateurs et professionnels de la recherche dans des travaux d’envergure. Cette dynamique valorise d’expertise et élargit son champ. Elle pourrait aller jusqu’à confronter la science à toutes les autres disciplines, de l’art à la philosophie, ainsi qu’aux préoccupations socio-économiques des citoyens et aux valeurs éthiques qui sous-tendent toute société.
Dans cette approche multiforme, les scientifiques doivent éviter les pièges du prophétisme comme du catastrophisme en s’appuyant sur l’affirmation que, même à l’ère du numérique, « la désinformation rouille sur le métal de la vérité » (p. 294).
 
Conclusion
La science ne peut jouer pleinement son rôle qu’à 4 conditions :
(1) l’Etat assume ses responsabilités dans la préparation de l’avenir ;
(2) elle doit nourrir l’expertise de manière transparente et pluridisciplinaire ;
(3) elle doit mieux communiquer pour surmonter la défiance potentielle permanente ;
(4) elle peut lancer avec profit de nouveaux ponts vers les citoyens.
 
Dans une démocratie, la science doit apprendre à dialoguer avec la société pour entretenir en conforter la confiance dans le progrès du savoir, qu’il soit fondamental ou finalisé.
 

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