Les espèces exotiques envahissantes ont coûté 1 300 milliards de dollars de dommages dans le monde
Des chercheurs du CNRS livrent la première synthèse des coûts économiques engendrés par les espèces exotiques envahissantes dans le monde. Soit près de 1 300 milliards de dollars depuis 1970. Ce coût pourrait être quatre fois plus important.
Biodiversité | 31 mars 2021 | Rachida Boughriet | Actu-Environnement.com
© Marion JavalLe longicorne asiatique envahissant, présent aux États-Unis et plus récemment en Europe, a un impact économique élevé sur les foresteries.
Les scientifiques français du laboratoire Écologie, systématique et évolution (CNRS/Université Paris-Saclay/AgroParisTech) ont estimé les coûts économiques engendrés par les espèces exotiques envahissantes dans le monde. Les résultats de leurs travaux ont été publiés ce mercredi 31 mars dans la revue scientifique Nature. Leur étude constitue la première synthèse de tous les coûts rapportés pour les invasions biologiques, dans le monde entier, toutes espèces confondues. Après cinq ans de travaux, l’équipe de recherche internationale, dirigée par les chercheurs français, a estimé que les espèces envahissantes ont coûté au moins 1 288 milliards de dollars US entre 1970 et 2017.
Une espèce exotique envahissante est une espèce introduite par l’humain dans un nouveau milieu, volontairement ou non, qui devient nuisible et menace son nouvel habitat. « En plus des impacts écologiques comme la perte de biodiversité, elle peut engendrer d’importantes pertes économiques dans certains domaines d’activités tels que l’agriculture et le tourisme, mais aussi en termes de santé publique », soulignent les chercheurs.
La base de données « InvaCost »
Ces résultats ont été obtenus grâce à la base de données « InvaCost » qui est financée par la Fondation BNP Paribas et par la chaire AXA Biologie des invasions, portée par la Fondation Paris-Saclay Université. InvaCost est la « première compilation mondiale des coûts économiques des espèces exotiques envahissantes », explique Franck Courchamp, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Écologie, systématique et évolution, auteur de l’étude. Les travaux des chercheurs sont basés sur 850 études disponibles, soit 2 419 données recensées dans la version originale d’InvaCost. Les chercheurs ont standardisé ces données pour pouvoir les comparer et les classer selon une quarantaine de variables (espèces, régions, type de milieu, secteur économique…).
Dans la base InvaCost, les espèces qui sont répertoriées, pour lesquelles les coûts ont été monétisés, « représentent moins de 10 % des espèces exotiques envahissantes qui sont connues à l’heure actuelle », précise Christophe Diagne, auteur de l’étude, qui est post-doctorant au laboratoire Écologie, systématique et évolution. Les scientifiques se sont focalisés dans leur étude sur les données les « plus robustes ». Soit un peu plus de la moitié des données utilisées au sein d’InvaCost.
Des coûts « ahurissants » en croissance constanteCes coûts sont, au cours du temps, en croissance constante depuis 1970, avec un coût annuel moyen qui double tous les six ans et un coût qui triple quasiment toutes les décennies. Christophe Diagne, auteur de l’étude Les coûts économiques estimés par les scientifiques sont essentiellement représentés par les pertes et les dégâts associés aux espèces exotiques envahissantes. Ceux-ci ont coûté près de 1 300 milliards de dollars en l’espace de 40 ans dans le monde. Soit un coût annuel moyen de 26,8 milliards de dollars. Une somme « ahurissante », déclarent Franck Courchamp et Christophe Diagne. D’autant que, « lorsqu’on utilise des approches par modélisations », ce coût atteint pour la seule année 2017 jusqu’à 162,7 milliards de dollars. Cette somme pour l’année 2017 « dépasse largement leproduit intérieur brut (PIB)de 50 des 54 pays africains par exemple », indique M. Diagne. Cette somme est aussi vingt fois supérieure aux budgets combinés de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Secrétariat de l’ONU la même année.
Or, « ces coûts sont, au cours du temps, en croissance constante depuis 1970, avec un coût annuel moyen qui double tous les six ans et un coût qui triple quasiment toutes les décennies », prévient M. Diagne.
Les coûts ont été monétisés par les chercheurs sur la base des impacts multisectoriels générés par ces espèces. Les coûts de santé ont été pris en compte mais aussi les impacts sur les pertes agricoles (apiculture, horticulture, viticulture, pêcheries, aquaculture…), le bien-être humain et social, les services en foresterie, ou encore les pertes en immobilier et sur les infrastructures (équipements de canalisations, équipements électriques, bâtiments) et les pertes en tourisme.
Les dommages causés par de nombreuses espèces
Les organismes aussi divers que le moustique tigre, la fourmi de feu, la jussie rampante, la moule zébrée ou encore le rat noir « cumulent chacun des dizaines de milliards de dollars dus aux ravages engendrés dans les pays qu’ils envahissent », précisent les chercheurs.
Les types de coûts (dégâts et gestion) observés dans différents pays.© CNRS
Par exemple, l’étude met en avant les impacts économiques de la moule zébrée en Amérique du Nord « qui a causé plus de neuf milliards de dollars de dommages dans des grands lacs » ou« le lapin qui a été envahissant en Australie avec un coût de plusieurs milliards de dollars en pertes agricoles », détaille Franck Courchamp. Le longicorne asiatique envahissant, présent aux États-Unis et plus récemment en Europe, a aussi un impact économique élevé sur les foresteries. Soit « 40 milliards de coûts engendrés ces vingt dernières années car ses larves détruisent les forêts et les arbres dans les villes », ajoute-t-il. Il y a aussi toutes ces espèces de plantes aquatiques « qui vont boucher les passages de navigation, comme la jacinthe d’eau qui cause aussi des coûts énormes comme en Afrique du Sud », indique M. Courchamp.
Sur le plan sanitaire : les piqûres des petites fourmis de feu aux États-Unis causent aussi des centaines de milliers d’hospitalisation par an et « des centaines de morts dans le monde ». De même, toutes les maladies dues aux espèces envahissantes confondues, et notamment les maladies létales portées par les insectes vecteurs comme les moustiques tigres, « peuvent apporter jusqu’à une trentaine de virus différents comme la dingue, la fièvre jaune, lechikungunya ou zika », ajoute le scientifique. Les insectes vecteurs ont entraîné des « dizaines de milliers de morts et des millions d’hospitalisations tous les ans ».
Des coûts fortement sous-estimés
« À chaque fois pour toutes ces espèces, il y a des impacts écologiques qui ne sont pas pris en compte mais qui sont importants », observe M. Courchamp. Les chercheurs citent l’exemple des rongeurs (rats, souris, castors, etc.) qui ne sont pas désignés comme des espèces envahissantes dans les études. Les rongeurs sont référencés comme des nuisibles agricoles mais ils ne sont pas identifiés comme des espèces exotiques envahissantes « responsables des dégâts dans les champs des cultures ». Pourtant, le castor en Argentine ou au Chili cause « plusieurs dizaines voire des centaines de millions de dollars de pertes pour l’agriculture » mais aussi des« écosystèmes très abimés », indique M. Courchamp. Les rongeurs sont aussi « le réservoir de plus d’une soixantaine de maladies connues : toxoplasmose, épidémie de peste, etc. », complète Christophe Diagne.
Les coûts engendrés par les espèces sont « très largement sous-estimés », ajoutent les chercheurs. Ce coût d’environ 1 300 milliards de dollars « aurait pu quadrupler, si on avait été moins conservateur », dans le choix des données retenues par les scientifiques, indique M. Diagne.
Un manque de prévention et de gestion
Par ailleurs, les chercheurs notent que les montants liés à la prévention, la surveillance et la lutte contre la propagation de ces espèces restent « marginaux » en comparaison des coûts des dégâts engendrés. « Les coûts d’investissement pour prévenir ou gérer ces espèces et leurs impacts sont dix à cent fois moins importants. L’investissement financier fait par les autorités, par les décideurs politiques est malheureusement trop faible pour parvenir à limiter au maximum tous les coûts des dégâts », déplore Christophe Diagne. « Si l’on arrive à prévenir efficacement ces invasions biologiques, c’est-à-dire à empêcher l’introduction et la prolifération de ces espèces exotiques envahissantes, on parviendra à réduire de manière substantielle tous ces coûts. Alors qu’une fois que ces espèces sont durablement installées, il est beaucoup plus compliqué de pouvoir agir de manière suffisamment efficace », souligne M. Diagne.
Aujourd’hui, soixante-six espèces exotiques envahissantes sont référencées dans la liste « noire » établie par l’Union européenne. Ces espèces figurant dans la liste ne peuvent pas être introduites sur le territoire de l’UE, ni être conservées, élevées, cultivées, transportées, mises sur le marché ou libérées dans l’environnement. En Europe, environ 5 000 espèces exotiques seraient envahissantes, selon les chercheurs.
Les scientifiques prévoient de publier un prochain article d’ici deux mois sur les coûts économiques engendrés par ces espèces en France.