ADAPTATION: la Grande motte a tout faux (voir ci dessous le papier du journaliste F. SOLER)
Avis de tempête à La-Grande-Motte
Publié le 11 mai 2021parFranck SOLER
Le Préfet de l’Hérault est sur le point de donner son feu vert au projet d’extension du port de La-Grande-Motte en modifiant – en catimini – le document de prévention des risques. De quoi s’affranchir d’un aléa « submersion marine » plus que jamais d’actualité avec les effets du réchauffement climatique.
Voilà le projet Ville-Port de La-Grande-Motte résolument engagé. Un projet phare, soutenu par l’État, la Région et les collectivités locales. Il s’inscrit dans le Plan Littoral 2021, plan régional doté d’un milliard d’euros destiné à soutenir la réalisation de projets d’aménagement durable. Et pour La-Grande-Motte, l’enjeu est de taille. 50 ans après la naissance des premières pyramides, il faut bien redonner un second souffle à la station touristique vieillissante.
La modification du PPRi – le fameux plan de prévention contre les risques d’inondation – n’est qu’une première étape dans la réalisation du projet Ville-Port. Mais c’est une étape fondamentale car elle doit permettre d’engager rapidement les travaux portuaires. Autant dire que cette modification ne passe pas inaperçue. Près de 200 observations ont été émises sur le projet lors de la récente consultation publique. La balle est maintenant dans le camp du Préfet qui doit prendre son arrêté en tenant compte – ou pas – de toutes ces observations.
Le modification du PPRi concerne la zone rouge de déferlement qui couvre la plage. Avec cette modification, la zone ne sera plus inconstructible. Les aménagements et les constructions liées au port pourront y être autorisés. En toute légalité.
Ainsi, derrière cette modification « anodine » du PPRi, se cache un projet ambitieux que l’État, la Région et la commune vont devoir soutenir contre vents et marées. À La-Grande-Motte, l’agitation ne fait que commencer.
La-Grande-Motte Ville-Port
Il est vrai que pour un coût global de 100 M€, le projet Ville-Port de La-Grande-Motte ne manque pas d’atouts. Il s’articule autour de trois grandes réalisations :
- l’extension du port avec le creusement d’un nouveau bassin à flots de 400 anneaux et l’aménagement d’une zone technique de 30 000 m2 destinée principalement aux chantiers navals de la filière catamarans de luxe,
- la requalification des espaces publics autour du port permettant notamment de relier les quartiers du Levant et du Couchant,
- la réalisation d’un programme immobilier de 580 logements à la place de l’actuelle zone artisanale.
Frédérique Saury, directrice de la SPL L’Or Aménagement mandatée pour la réalisation des travaux portuaires soutient la valeur du projet. « Il n’y a pas que l’extension du port. C’est un vrai projet de requalification urbaine. » Et elle affirme que le programme de logements comprend 30 % de logements locatifs sociaux et 15 % de logements « accessibles ». La mixité sociale dans le logement, c’est en effet le prix à payer pour que La-Grande-Motte devienne une vraie ville.
Jusqu’ici, tout va bien. Et d’ailleurs, le projet Ville-Port, le maire (LDVD) Stéphan Rossignol en a fait son cheval de bataille lors des dernières élections qu’il a largement remportées avec 69 % des suffrages.
Le syndrome de la marina
La-Grande-Motte rayonne à travers son port. Son « or bleu », c’est le nautisme qui est présenté comme « déclencheur d’une nouvelle économie » . Mais faut-il agrandir le port pour cela ? Avec le vieillissement des plaisanciers et l’évolution des pratiques, incontestablement, les bateaux sortent de moins en moins. Alors, même si le succès de la filière catamarans locale ne se dément pas, Stéphane Grimault du chantier Outremer Yachting voit le projet Ville-Port comme le fruit d’une ambition politique locale. « Nous, on a rien demandé. On veut juste de la visibilité pour savoir où et quand investir. On peut aller chercher des capacités ailleurs [NDLR : sur la commune de Mauguio] si c’est nécessaire » .
Le syndrome de la marina est donc encore bien là. En présentant le projet avec « un nouveau bassin au pied des logements« , les opposants ont de quoi s’exciter. Un expert environnementaliste, fin connaisseur des projets littoraux et portuaires, reconnaît que le projet semble d’ « un autre monde » .
« On est resté sur un modèle vieux de 40 ans où le port était payé par la construction des logements autour.
Une plage sous tension
L’opposition au projet s’organise autour de La Vigie citoyenne grand-mottoise qui dénonce, entre autres, l’absence d’étude d’impact. Michel Renard, Président de l’association, l’affirme : « La modification du PPRi va permettre l’implantation d’activités industrielles à proximité du rivage sans que ne soient pris en compte les risques de pollution. » Des risques aggravés par l’aléa de submersion marine.
Les 3,5 hectares de plage – la plage du Couchant – impactés par le projet ont du mal à passer. L’axe de bataille des opposants est on ne peut plus clair et ils promettent une contre-attaque juridique si leurs observations ne sont pas prises en compte par le Préfet.
On ne construit pas sur la plage.
Frédérique Saury de la SPL L’Or Aménagement tente de minimiser l’impact de l’extension du port sur le littoral : « À l’origine, l’extension du port était prévue plus en mer avec une capacité de 800 anneaux supplémentaires. Nous avons opté pour une solution moins impactante et réduit la capacité du projet à 400 anneaux. » Quant aux critiques émises sur la suppression de la plage, le maire de La-Grande-Motte, Stéphan Rossignol, se veut rassurant : « Le projet protègera mieux de la submersion marine et une partie de la plage sera reconstituée » . Dont acte.
Un déni du risque ?
Pourtant, de l’avis des experts, le PPRi modifié ne tient pas compte des derniers travaux – ceux du GIEC1 notamment – permettant, en lien avec le changement climatique, d’évaluer la montée du niveau de la mer. Le plan de prévention se base toujours sur une surcote de 0,60 mètre alors que les scénarios actuels2 prévoientune élévation moyenne du niveau de la mer comprise entre 0,5 et 1,9 mètre pour le même horizon – 2100 – pas si lointain. Bref, de quoi alimenter les opposants qui critiquent également un « saucissonnage » volontaire des procédures qui empêche la compréhension globale du projet et de ses effets sur l’environnement.
L’État « tout puissant »
C’est clair, au risque de remettre en question le projet portuaire, l’État préfère la modification d’un PPRi obsolète à la refonte globale du plan qui s’appuierait sur des données plus réalistes. La Préfecture l’écrit dans son rapport3 : « Une fois réalisé le projet portuaire, rendu possible par la modification du PPRI, une révision du PPRI devra être engagée pour ajuster la délimitation de la zone de déferlement. » À La-Grande-Motte, on marche vraiment sur la tête.
On modifie le PPRi pour permettre la réalisation d’un projet. Mais c’est au projet de s’adapter au PPRi et non l’inverse !
Au dire de l’expert environnementaliste, le dossier présenté par la Préfecture est suspect. « Curieusement, on modifie un plan qui est garant de la sécurité des personnes et des biens sans pour autant démontrer que cette modification n’entraîne pas une diminution de la dite sécurité et encore moins qu’elle permette son amélioration. » L’État se met dans une posture étonnamment indulgente vis à vis du projet portuaire grand-mottois en dérogeant aux principes de précaution les plus élémentaires qu’il impose fermement à d’autres projets.
Avec de solides appuis et une administration conciliante – à défaut d’être résiliente – le projet d’extension du port obtiendra sans doute son feu vert. Ensuite, les études démontreront l’utilité économique du nouveau port et l’absence d’impacts. Et La-Grande-Motte pourra accueillir les plus beaux catamarans du monde. Jusqu’en 2100, au moins.
1 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
2 selon un rapport du MedEC publié en 2019 « LES RISQUES LIÉS AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET ENVIRONNEMENTAUX DANS LA RÉGION MÉDITERRANÉE »
3 extrait du rapport de présentation de la modification du PPRi – Préfet de l’Hérault
Plan masse du projet Ville-Port – crédit : Leclercq