Port la Nouvelle : un projet décrié, mais il faut bien un jour choisir
Le petit port de commerce de Port-la-Nouvelle (Aude) se trouve au cœur d’une polémique qui ne désenfle pas. Le Conseil régional d’Occitanie, qui en est le propriétaire, l’agrandit pour développer l’activité économique et insiste sur le rôle qu’il va désormais jouer dans la transition énergétique de la région.
C’est en effet à Port-la-Nouvelle (5 700 habitants), station balnéaire populaire et désuète, que seront assemblés les flotteurs géants de sept grandes éoliennes avant d’être installées d’ici 2023, dans deux fermes pilotes, à une vingtaine de kilomètres de là, au large de Gruissan et de Leucate. L’électricité servira notamment à produire de l’hydrogène vert par électrolyse de l’eau. Carole Delga, la présidente de Région rappelle régulièrement, qu’elle veut faire de l’Occitanie la première région d’Europe à énergie positive.
Pour le collectif de riverains « Balance ton port » les éoliennes « servent à faire avaler » une activité industrielle d’une tout autre nature. Avec Ecologie-Les Verts, La France insoumise, la Confédération paysanne, Extinction Rébellion, Les Amis de la Terre ils s’opposent à ce grand projet de 350 millions d’euros, qu’ils estiment démesuré et destructeur pour l’environnement. La première phase de 234 millions, financée à 70 % par la Région Occitanie, au côté du département de l’Aude et du Grand Narbonne a commencé en 2019. Le quai destiné à l’assemblage des flotteurs des éoliennes est terminé et les travaux se poursuivent pour construire un grand bassin, au grand désespoir des opposants qui demandent un moratoire.
« Le bassin fera la même surface que toute la ville ! »
« Le projet d’agrandissement du port dépasse la question des éoliennes qui n’en occuperont même pas la moitié », dénonce Albert Cormary (EELV) membre de « Balance ton port ». Pour accroître l’activité du port, dont le trafic se situait à 1,8 million de tonnes en 2020, il a fallu creuser un grand bassin capable d’accueillir des navires de 180 m et les pétroliers de 250 m qui déchargent actuellement au large avec une canalisation sous-marine. « Le bassin est disproportionné, il fera la même surface que toute la ville de Port-la-Nouvelle ! », ajoute-t-il Ces travaux colossaux ont nécessité le dragage de 10 millions de m3 de sédiments, l’acheminement de 4 millions de tonnes de matériaux et 1 km de plage de la Vieille nouvelle, une plage sauvage à proximité d’une réserve naturelle, est en cours de bétonnage. Pour délimiter le bassin, 3 km de digues doivent être construites.
« L’allongement de ces digues et la destruction des fonds marins auront un impact sur les échanges entre la mer et le complexe lagunaire de Sigean », alerte Albert Cormary. Situés derrière le port, les étangs de Bages-Sigean, d’une superficie de 5 500 hectares, célèbres pour leurs marais salants, pourraient s’asphyxier. « C’est un projet du monde d’avant », résume Justine Torrecilla (EELV).
Déjà cinq sites Seveso à Port-la-Nouvelle
Les opposants alertent l’opinion sur la nature des activités qui seront développées dans le port. Il est d’ores et déjà prévu d’importer 600 000 tonnes de bioéthanol par an d’ici à 2030, de l’hydrogène produit au Maghreb et à Oman, 200 000 tonnes de céréales d’Amérique du Nord, des engrais chimiques… « Un hangar d’un hectare va être construit pour importer de l’engrais manufacturé, dont on se doute qu’il s’agit en partie de nitrate d’ammonium. Ce sera encore un nouveau site Seveso, Port-la-Nouvelle en compte déjà 5 ! », déplore Pascal Pavie de la Confédération paysanne. D’autant plus inquiet que toutes ces installations sont proches des habitations. « Le Conseil régional ne tire pas les leçons de ce qu’il s’est passé à Toulouse avec l’usine AZF », complète-t-il. En septembre 2001, un stock de 400 tonnes d’ammonium destiné à la production d’engrais avait explosé, faisant 31 morts et 2 500 blessés et des dégâts considérables. « On parle d’importer des céréales du Canada, qui vont concurrencer l’agriculture locale et de l’éthanol du Brésil issu d’exploitation intensive qui détruisent la forêt amazonienne, alors que le conseil régional veut changer de modèle économique pour passer à l’agroécologie »,s’insurge-t-il.
Un changement de gestion
La gestion sera confiée à un partenariat public-privé dès le mois de mai, une première pour un port français, au grand dam des opposants qui dénoncent sa « privatisation ». Le 4 février 2021, ils ont adressé un recours gracieux à Carole Delga, présidente de Région, contre la nouvelle société d’économie mixte à opération unique (Semop) qui sera concessionnaire du port à partir de mai. « Sans réponse positive dans un délai de deux mois, nous déposerons un recours au tribunal administratif pour excès de pouvoir dans l’attribution de la délégation de service public à la Semop sans mise en concurrence, et pour l’absence d’étude d’impact sur un site classé »,affirment leurs avocats Christophe Lèguevaques et Laurie Castanet, à la veille de l’élection régionale.
La nouvelle Semop concessionnaire n’est détenue qu’à 34 % par le conseil régional, au côté de la Banque des territoires (15 %) et du consortium Nou Vela (51 %) qui réunit des opérateurs privés (les Belges DEME Concessions et Euroports Group BV, le fonds EPICo et l’entreprise montpelliéraine d’énergies renouvelables Qair) et la CCI de l’Aude. « Comment le conseil régional contrôlera-t-il la Semop avec 34 % des parts ?, demande Guilhem Serieys, conseiller régional LFI. C’est un consortium privé qui gèrera le port et la Région qui supportera le risque financier. »
Carole Delga a déjà répondu aux questions des opposants en décembre 2019. Elle rappelle qu’un premier projet d’agrandissement du port avait fait l’objet d’un débat public en 2013, que la commission d’enquête publique a rendu un avis favorable en 2018, que les conseillers régionaux écologistes ont voté pour le projet en juillet 2018 (ils se sont divisés quand LFI a demandé un moratoire fin 2019) et que seul le RN a voté contre. La présidente de la région défend la politique d’aménagement d’éoliennes en mer pour la transition énergétique. « Je me suis fortement mobilisée afin que le gouvernement donne des moyens à l’Occitanie, […] d’initier une filière de l’éolien en mer et de prévoir l’installation au large de nos côtes de 3 gigawatts d’éolien en mer. […] Cette mutation de notre approvisionnement énergétique a besoin d’infrastructures. »