En Antarctique, un immense lac a disparu en l’espace de trois jours
Emeline Férard 02/07/2021, 11:55 Environnement GEO
Un immense lac recouvert de glace a soudainement disparu en Antarctique. C’est ce que des scientifiques révèlent dans une étude parue le mois dernier dans la revue Geophysical Research Letters. Selon leur rapport, le phénomène s’est produit à l’hiver 2019 dans la barrière d’Amery situé à l’Est de la péninsule. Et ses conséquences demeurent incertaines.
C’est Roland Warner, glaciologue de l’Australian Antarctic Program Partnership de l’université de Tasmanie qui a constaté en premier la disparition du lac sur des images satellite capturées en janvier 2020. A l’époque, l’Australie était en proie à une intense saison d’incendies et le chercheur surveillait régulièrement les observations satellite pour constater les dégâts.
« En me tournant vers l’Antarctique, pour faire une pause, j’ai noté qu’il y avait une série de journées dégagées sur la barrière d’Amery et j’ai décidé de voir comment la saison de fonte de surface de l’été se déroulait« , a raconté Roland Warner à Vice. « Les signes d’effondrement à la surface ont attiré mon regard« .
Un lac disparu en trois jours
Grâce à d’autres images capturées par différents satellites, le scientifique a pu remonter le temps et constater que cette structure n’avait pas toujours été là. Six mois plus tôt, c’est un immense lac recouvert de glace qui se trouvait à cet endroit. Des données capturées par le ICESat-2 de la NASA ont finalement permis d’éclairer le mystère.
Elles ont révélé que le lac a disparu en l’espace de trois jours en juin 2019, formant une dépression – une doline de glace – recouvrant onze kilomètres carrés. A partir des observations, Roland Warner et ses collègues ont déterminé que l’étendue devait contenir, avant sa disparition, entre 600 et 750 millions de mètres cubes d’eau. Une quantité d’eau colossale.
A titre de comparaison, elle dépasse celle contenue dans le port de Sydney et équivaut à deux fois celle de la baie de San Diego. Les images satellite passées ont montré que la présence de ce bassin dans la barrière d’Amery remonte à loin – il était déjà présent dans les années 1970 – et que c’est la première fois qu’il connait un tel phénomène.
« Nous pensons que le poids de l’eau accumulée dans ce lac profond a ouvert une fissure dans la couche de glace située en dessous, un processus connu sous le nom d’hydrofracture qui provoque une évacuation de l’eau vers l’océan en dessous« , a expliqué le glaciologuedans un communiqué.
Au vu de la quantité d’eau, « le flux dans l’océan pourrait avoir été similaire à celui des chutes du Niagara », a-t-il poursuivi, évoquant un « spectacle impressionnant ». Et le phénomène a engendré de nets changements aux alentours comme en ont témoigné les données : autour du lac, la couche de glace s’est élevée de 36 mètres.
Une cavité à l’avenir incertain
« La perte de l’eau du lac a réduit le poids de la plateforme de glace flottante et la pression exercée par l’océan l’a fait remonter au niveau de la doline« , a décrypté le Dr. Warner. Le processus ne s’est pas arrêté là. A l’été 2020, l’eau de fonte est venue remplir la cavité et former un nouveau lac à un rythme de plus d’un million de mètres d’eau par jour.
Les observations satellite ont indiqué que quelques jours après, cette eau avait creusé un nouveau canal de vingt mètres de large. Pour l’heure, l’évolution de cette étendue demeure incertaine. « Il est possible que l’eau de fonte s’accumule à nouveau ou soit évacuée vers l’océan plus fréquemment« , a avancé le glaciologue dans le communiqué.
« Il semble que la fracture se soit rouverte brièvement durant la saison de fonte de l’été 2020, donc c’est assurément un système à surveiller« , a-t-il continué. « Cet événement soulève de nouvelles questions sur la fréquence de ces lacs profonds recouverts de glace au niveau des plateformes glaciaires et la façon dont ils évoluent« .
Des exemples d’hydrofracture ont déjà été recensés par le passé sur d’autres plateformes en Antarctique. Mais c’est la première fois qu’un phénomène d’une telle ampleur et une telle rapidité est étudié en détails. En particulier au niveau d’une barrière telle que celle d’Amery où la couche de glace est épaisse, dépassant les 1.400 mètres.
Le changement climatique en cause ?
L’Antarctique fait partie des régions qui se réchauffent le plus vite de la planète. Au cours des dernières décennies, les barrières de glace ont connu une hausse de la fonte et des températures. Une tendance qui va se poursuivre, selon les récentes projections, et accroitre le nombre de lacs de fonte.
Or, la présence de ces étendues pourrait augmenter le risque d’hydrofracture qui pourrait à son tour conduire à une fragilisation voire un effondrement des plateformes, contribuant à la montée des eaux. Dans le cas présent, toutefois, difficile d’attribuer avec certitude la disparition de ce lac à ces conditions climatiques changeantes.
« Ce brusque événement a apparemment été l’aboutissement de décennies d’accumulation et de stockage d’eau de fonte sous cette couche de glace« , a appuyé dans le communiqué le professeur Jonathan Kingslake, chercheur au Lamont Doherty Earth Observatory de l’université de Columbia et co-auteur de l’étude.
« Cependant, les quantités accrues d’eau de fonte s’évacuant dans les lacs profonds et causant une hydrofracture au niveau des barrières glaciaires épaisses doivent aussi être considérées dans les études sur le futur de l’Antarctique« , a-t-il ajouté. Des projections avancent que la fonte de surface pourrait doubler en Antarctique d’ici à 2050.
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