Mayotte/mangroves : Une approche des mangroves par les « pratiques et imaginaires »
Linda Rasoamanana est agrégée de Lettres Modernes et maître de conférences au centre universitaire de Mayotte. Elle participe à un projet scientifique interdisciplinaire ARESMA (Agir pour la résilience des systèmes écologiques de mangroves de Mayotte) soutenu par la Fondation de France. Elle a obtenu le prix scientifique du 23° salon du livre insulaire pour son ouvrage « Pratiques et imaginaires des mangroves de Mayotte (approche géo-critique) » aux éditions PETRA.
Dans les discours littéraires, entre les lieux et leurs représentations se dessinent des interactions qui permettent de comprendre les conflits entre usagers de la mangrove. Demain, pourquoi pas, elles permettront de trouver des consensus. Car la mangrove n’est pas qu’un milieu naturel à préserver, c’est aussi une ressource économique (foncier, bois …) et une échappatoire culturelle à protéger. On peut ainsi imaginer comment un discours purement naturaliste ou écologique, pourra évoluer et se transformer en littérature (cf expérience antillaise).
Comment perçoit-on la mangrove à travers les littératures francophones mahoraises contemporaines ?
La chercheuse a travaillé pour mener une étude comparative de l’approche du thème mangrove dans la littérature à partir de cinq sortes de textes : polars, romans, poésies, nouvelles, pièces de théâtre. Elle en déduit quatre problématiques : passage/ancrages ; échanges/tension ; métamorphoses/putréfactions ; résistances/marginalisations.
La littérature antillaise, au travers des textes de Maryse Condé ou d’Edouard Glissant évoque la complexité de l’écosystème mangrove, le rhizome, le bouillonnement de la créolité et la capacité de résilience. Selon Maryse Condé, il s’agit d’ailleurs de quitter le lieu des racines, ce lieu où l’on s’enfonce en faveur de l’errance, de la traversée. La littérature mahoraise est encore assez manichéenne. Peut-être l’étude n’en est-elle qu’à ses débuts. Il lui reste à approfondir les nuances et les différences entre populations dans leur rapport village/mangrove.
En fait, la perception de la mangrove reste ambivalente. Dépotoir, lieu sinistre pour les uns, symbole de protection et de vie des esprits pour les autres. La forêt marécageuse dont l’arbre emblématique est le palétuvier est restée le territoire des esprits. A Mayotte, elle couvre un tiers du linéaire côtier. Malheureusement aujourd’hui elle est plutôt perçue comme un dépotoir où se confondent déchets électroménagers et offrandes. L’image du marais insalubre l’emporte, notamment pour 52% des habitants.
De cet espace socio culturel, la littérature nous dit beaucoup et influence même notre perception des lieux : dans les polars, la mangrove n’est pas en valeur, elle est souvent le lieu du crime ou des cadavres retrouvés :« son corps en état de décomposition avancé fut retrouvé quelques semaines plus tard au cœur de la mangrove ». Les palétuviers sont le théâtre des règlements de compte, des lieux d’ensauvagement où l’on teste les nouveaux psychotropes, des zones d’obscurité et de violence. Souvent le désastre écologique vient renforcer le drame familial.
Dans les textes poétiques, subtilités et ambivalence donnent le ton. Pour les habitants et leurs récits, elle devient zone de fêtes, de rencontres, d’apprentissage. Le migrant y arrive de nuit, il s’y cache et peut y être victime de violence. Elle est aussi le lieu de refuge de la femme malmenée ou de la jeune fille en fugue, en rupture avec l’autorité. Les racines échasses et les pneumatophores qui comme des doigts captent l’oxygène de la terre, alimentent l’imaginaire.
Les esprits malfaisants ou bienveillants ne sont pas propres à Mayotte. L’apparence locale de ces esprits l’est davantage. Des wanaisa ou des kakanôto vivent en bord de mer. Ils sont amateurs ou ravisseurs d’enfants par télépathie. Ils peuvent aussi être protecteur « mon père sort de sa sacoche un petit pot de miel et un œuf et il les pose près d’un grand arbre « c’est pour les wanaisas », dit-il, « tu les connais ? ». Je réponds ce que j’ai appris à l’école coranique : Les wanaisas sont des petits hommes poilus avec des pieds à l’envers et un gros bras gauche qui gardent la forêt et le lit des rivières ».
Bientôt Bruce de son vrai nom Ismaël Saïd brisera ces interdits et se mettra à dos les esprits (cf N. Appanahtropique de la violence » ; également en Martinique, rites et maléfices dans « Mystères d’hier et d’aujourd’hui :l’eau magique de Fonds Ceremeau, real D Martin Ferrari 2011 https://www.dailymotion.com/video/x81etzc, ou Ernest Pepin , toxic island, Desnel 2010).
Dans un roman récent d’Ali Maandhui le mwanaisa, l’esprit de mer, favorise la communication inter culturelle. Les enfants n’hésitent pas à s’aventurer sur cette terre nourricière, où ils chassent crabes et oiseaux.
L’Européen doit apprendre
Les offrandes – quelques chiffons, effluves de parfum, et bougies – ne sont pas des déchets. Avant l’introduction des modes de consommation occidentaux et l’explosion démographique, l’abandon de déchets ni métalliques, ni plastiques ne polluait guère l’environnement…Il en va autrement quarante ans plus tard.
Une autre vision, productiviste, conduit à considérer la mangrove comme une terre à exploiter « à rentabiliser » en vue de tourisme sans souci de la vision naturaliste qui depuis peu rappelle que cette avant terre/mer protège des accidents climatiques. La mauvaise santé des palétuviers menace certaines activités culturelles, d’où un préjudice socio culturel. Ainsi on utilise le palétuvier blanc pour faire les tambourins qui serviront pour les rituels de déba, danses et chants religieux de femmes, alors que les fruits du palétuvier fleur servent à confectionner des toupies pour les enfants. Les concours d’écriture réservés aux jeunes lycéens magnifient la mangrove ou en dénoncent l’encombrement, mêlant l’écologique au mythique.
Ce travail passionnant mené dans la perspective du projet ARESMA (voir introduction) doit permettre d’orienter les discours de sensibilisation à adresser aux différents usagers des mangroves de Mayotte , qu’ils soient pêcheurs, sportifs, vendeurs, promeneurs, croyants… ; « Au vu des représentations actuelles de la mangrove à Mayotte – patrimoine, sanctuaire, rempart, filtre, marge, planque, poubelle, charnier – il serait réconfortant que cette forêt ne soit plus si négativement associée aux trafics et aux abandons de toutes sortes dans les textes littéraires des vingt prochaines années ».
D Martin Ferrari
La mangrove de Mayotte recouvre 700 hectares. Elles offrent une importante diversité floristique, puisqu’on y compte huit espèces de palétuviers (mangrove et arrière mangrove). Comme partout dans le monde, elles connaissent d’importants bouleversements. Au cours des soixante dernières années, elles auraient perdu 6% de leur superficie. Cinq communes ont bétonné leurs mangroves au profit de l’urbanisation et les autres deviennent des poubelles sauvages. Cette barrière très résiliente protégeant l’ile des menaces maritimes a ses limites et ne peut filtrer tous les rejets. Organismes spécialisés (UICN, IFRECOR…) et jeunes scolarisés s’impliquent dans la protection voire la restauration https://www.icriforum.org/wp-content/uploads/2019/12/Mangroves-OM-francais.pdf |