Fonds marins : derrière l’annonce de Macron, une stratégie ancienne qui inquiète des ONG environnementales
- Aude Le Gentil JDD
- Emmanuel Macron a fait de l’exploration des grands fonds marins l’un des objectifs de son plan « France 2030 ». Un investissement qui s’inscrit dans une réflexion ancienne sur l’exploitation minière des abysses et qui inquiète les défenseurs de l’environnement.
- Ils représentent 66% de la surface de la Terre. Un monde englouti qui s’étend de 200 mètres de profondeur, lorsque la lumière ne pénètre plus, jusqu’à plus de 11.000 mètres dans la fosse des Mariannes dans l’océan Pacifique, là où seuls huit personnes ne sont déjà aventurées. Ces fonds marins, soumis au grand froid et à une haute pression, demeurent « inconnus à plus de 80% », affirme auprès du JDD Jean-Marc Daniel, à la tête du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer à l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Ils sont cartographiés avec moins de précision que la Lune. Leur exploration figure parmi les objectifs fixés par Emmanuel Macron le 12 octobre, dans le cadre du plan d’investissement « France 2030 ». Une déclaration qui a suscité l’inquiétude chez des défenseurs de l’environnement, toujours vive une semaine apr
Des abysses riches en cobalt, nickel ou terres rares
Sur le papier, cet investissement annoncé dans l’exploration des abysses satisfait ces défenseurs de l’environnement. « Cela permettrait de dresser un inventaire de la biodiversité et de comprendre les mécanismes déployés par les organismes pour survivre dans ces conditions extrêmes », souligne Jean-Marc Daniel. Mais aussi de mesurer les dégâts déjà causés par l’homme : « On a été surpris de découvrir du plastique au fond de l’océan », ajoute-t-il. Mais des associations environnementales craignent que cet investissement ne soit qu’une façon déguisée de préparer l’exploitation minière des abysses.
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Car le plafond océanique recèle des ressources minérales, qui suscitent les convoitises. Du nickel, du manganèse ou du cobalt, présent sous forme de nodules polymétalliques, mais aussi des terres rares, ou encore des amas sulfurés contenant du zinc, du cuivre ou de l’or. Des métaux utilisés dans le cadre de la transition énergétique pour fabriquer véhicules électriques et panneaux solaires.
Les risques que pourrait causer une exploitation de ces ressources sont méconnus, indique Jean-Marc Daniel. « En remontant des minerais des fonds marins, on enlève le substrat sur lequel vivent de nombreux organismes vivants », explique-t-il. Autres dommages potentiels : un panache de sédiment jusqu’à la surface qui contamine les espèces, une modification de la chimie de la colonne d’eau, ou encore une pollution sonore et/ou lumineuse.
La France ne cache pas son intérêt pour l’exploitation minière
D’emblée, Emmanuel Macron a tenté de désamorcer les critiques. « J’entends déjà le débat venir, je ne parle pas d’exploitation à ce moment-là, je parle d’exploration, a-t-il anticipé. Mais qui peut accepter que nous laissions dans l’inconnu une part si importante du globe? » Mais si le Président a listé les possibles « innovations en termes de santé, en termes de biomimétisme », il a aussi mentionné un « levier d’accès à certains métaux rares ». Pour le moment, cet investissement reste flou. Comme l’a révélé le site Contexte, l’exploration des fonds marins doit bénéficier d’une enveloppe de deux milliards d’euros avec l’exploration spatiale et la culture… dont 1,5 milliard d’euros pour l’espace et 600 millions pour la culture.
En réalité, cette réflexion n’est pas nouvelle. Le 22 janvier dernier, le gouvernement a acté une « stratégie nationale d’exploration et d’exploitation minières des grands fonds marins » au cours d’un Comité interministériel de la mer et à la suite d’un rapport du haut-fonctionnaire Jean-Louis Levet. En mai, Matignon a défini cinq priorités dans une circulaire. L’une d’elle prévoit d' »amplifier et partager les efforts de protection des fonds marins dans le cadre d’une stratégie de sauvegarde de ces écosystèmes et de poursuite d’une stratégie d’exploration et d’exploitation durable de leurs ressources ».
La crainte de répercussions en cascade sur la santé des océans
Cette idée fait s’étrangler Elodie Martinie-Cousty, pilote du réseau Océans, mers et littoraux à France Nature Environnement. « Par essence, il ne peut y avoir d’exploitation durable, ces minerais ne repoussent pas », réagit-elle auprès du JDD. Elle rappelle les services rendus par l’océan, en tant que puits de carbone, réserve nourricière et source de molécules utilisées en médecine. « Les bénéfices retirés par ces écosystèmes sont bien plus grands que ce que les minerais qu’on pourrait y trouver, poursuit-elle. Si la France se lance, il pourrait y avoir des répercussions en cascade pour l’océan, qui est la plus belle machinerie climatique qui soit, et des tensions internationales. »
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L’exploitation étant encore au stade embryonnaire, sans technologie adéquate ni rentabilité économique, Jean-Marc Daniel, lui, veut croire qu’il est encore temps d’en atténuer les conséquences environnementales. « J’ai tendance à être optimiste, développe le chercheur de l’Ifremer. Il y a un rapport de force entre la société civile et les industriels qui va concourir à ce que cette exploitation ne se déroule pas à n’importe quel prix. » Il insiste : « On ne peut pas protéger quelque chose qu’on ne connaît pas. »
L’idée d’un moratoire gagne du terrain
Face aux craintes, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a lancé en l’initiative No Deep Seabed Mining pour un moratoire international sur l’exploitation des fonds marins. Il a reçu le soutien de près de ONG rassemblées au sein de la Deep Sea Conservation Coalition et l’engagement d’entreprises comme Google, Samsung, BMW ou Volvo.
« Il n’y a pas assez d’éléments scientifiques pour s’assurer qu’il n’y a pas de risque », justifie Ludovic Frere Escoffier, responsable du programme Vie des Océans au sein de WWF France. Comme Elodie Martinie-Cousty, il invite à investir plutôt sur le recyclage de ces matériaux et déplore « cette logique d’aller chercher toujours plus de matériaux, toujours plus loin, pour fabriquer toujours plus d’objets ». Et de résumer : « Oui à l’exploration pour la recherche, non à l’exploration pour l’exploitation. »
Réunie en congrès en septembre à Marseille, l’Union internationale pour la conversation de la nature a adopté une motion invitant les Etats à « mettre en œuvre un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins, la délivrance de nouveaux contrats d’exploitation et de nouveaux contrats d’exploration » tant que certaines conditions ne sont pas réunies. La France s’est abstenue.
En parallèle, Emmanuel Macron a promis 30% d’aires marines protégées, dont 10% avec une protection renforcée. « Ce qui m’inquiète, c’est ce ‘en même temps’ du Président, commente Elodie Martinie-Cousty. On aimerait qu’il soit plus clair et plus ferme. » Il sera attendu sur ce sujet lors du One Ocean Summit, le premier sommet mondial sur l’océan, qui aura lieu à Brest début 2022.