COP 26: le temps des metamorphoses
Le travail de décryptage de la COP 26 doit se poursuivre . Nous relayons ici un extrait du décryptage fait par Bettina Laville présidente du Comité 21. Demain nous reviendrons sur la deuxième semaine de la COP , celle de l’abandon des pays pauvres et des risques planétaires. Dans cet extrait , une part d’analyse de l’évolution économique du monde riche
« Dans la négociation même, dans le Pacte, et dans les différents engagements, les grands secteurs industriels et techniques sont très présents ; il ne faut pas s’en étonner, car, si nous sommes au temps des « solutions », les changements de modèles industriels sont au cœur des solutions……
Au-delà de la présence industrielle finalement compréhensible, il faut remarquer qu’en face de la faiblesse des engagements des Etats, la souplesse du secteur privé marque des points, si bien qu’Adam Tooze, professeur à Columbia University, note avec raison dans The Guardian que, plutôt que de tenter un grand marché litigieux, la nouvelle clé est de « trouver des coalitions de volontaires et de conduire le changement secteur par secteur, en augmentant l’ambition à travers des rondes répétées de négociation. » Il démontre que, aussi bien pour les actions étatiques que pour les actions du secteur privé, le temps de la sectorisation est venu, à partir en particulier du discours de l’envoyé spécial des USA, John Kerry . Mais il ne cache pas les questions que cela pose : « Une série de mesures ad hoc aboutira-t-elle à une solution globale adéquate ? De plus, tous les accords ne peuvent pas être gagnant-gagnant. Comment les compromis difficiles seront-ils combattus ? Quels intérêts seront servis ? La réponse des pragmatiques est qu’aucune réponse générale ne peut être donnée à l’avance. La preuve du pudding est dans l’alimentation. Ce n’est pas vraiment une réponse. Mais, comme l’atteste la COP 26, c’est peut-être le seul réaliste. »
Finalement, les deux lectures de la COP sont là : une première COP pragmatique, ou la première COP de la résignation.
Ce qui est vrai, c’est que l’on voit la limite du droit international environnemental, non contraignant face à la montée globale des risques, particulièrement au lendemain d’une pandémie qui a lourdement endetté les Etats ; la faute a été de faire croire que l’Accord de Paris était contraignant, ce qui attise les déceptions, et l’accusation de « blablabla », accusation qui s’entend mais qui peut être dangereuse car, aux yeux du public, elle discrédite les Conférences des Parties, sans lesquelles il n’y aurait pourtant ni progrès ni occasion d’engagements. Qu’il nous soit permis de rappeler l’analyse que nous esquissions dès 2016, en écrivant : « On peut dire, autant en ce qui concerne le traité luimême, que la décision, et aussi bien sûr les engagements spontanés et volontaires, que l’Accord de Paris est la première déclinaison de la « RSC », soit la responsabilité sociale, ou sociétale climatique. C’est pourquoi d’ailleurs beaucoup l’appellent le « Pacte de Paris » » 12 . En effet, la tendance est aujourd’hui aux engagements et coalitions volontaires, à l’image de ceux pris dans le cadre de la RSE, avec cependant l’inconnu des résultats concrets des décisions de justice. La « prophétie autoréalisatrice » de l’Accord de Paris se meut en un pragmatisme multisectoriel. Mais comme conclut le Professeur Tooze, « si tel est le cas, alors la réponse du mouvement climatique devrait être de maintenir la pression. En termes politiques, l’ad hoc pragmatique peut être réaliste, mais il n’y a pas de négociation avec le budget carbone en baisse. Étant donné à quel point le statu quo est profondément ancré, la tentation des vœux pieux conservateurs est partout. Quelqu’un doit marteler le message à la maison. Le plus grand risque est de ne pas changer. »On peut d’ailleurs illustrer cette pénétration du secteur privé par le sens que la NZ AOA13 a donné à ses annonces, « prouver qu’au vu des efforts du secteur privé, les Etats pouvaient trouver 10 milliards supplémentaires pour les pays pauvres, ou bien celui du Manifeste du WBCSD14 , qui propose d’instaurer des CDC (Corporate determined contributions), à l’image des NDC des Etats. Cette COP est ainsi marquée par un retournement en faveur des engagements privés, qui souligne très durement la perte de foi en l’action publique ; reste seulement à suivre la crédibilité et la transparence des actions du privé… »
Bettina Laville