Excellent résumé paru dans « le Moniteur » sous la plume de L. Miguet, du colloque du 7 février organisé par métamorphose outremers

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Outre-mer, les eaux douces se déchaînent

Laurent Miguet |  le 08/02/2022  |  Eau,  Outre-Mer

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Les coupures d’eau guadeloupéennes révèlent une crise systémique : au regard des droits humains à l’eau et à l’assainissement, la France présente un profil proche de celui des pays en voie de développement, dans ses territoires ultramarins. A quelques jours de la remise du rapport d’inspection générale sur l’évaluation du plan Eau Dom lancé en 2016 par l’Etat, le think-tank Métamorphose Outremers a balayé ce champ de mines et d’espoirs, le 7 février lors d’un colloque au Sénat.

Avec 31 % de sa population non raccordée à l’eau potable selon l’estimation de l’organisation non gouvernementale Solidarités International, Mayotte offre l’exemple caricatural des situations inextricables évoquées le 7 février au Sénat lors du colloque « L’Outremer veut sortir la tête de l’eau ».

Désastre à Mayotte

L’urbanisation sauvage décourage le traçage de réseaux sous des habitations non répertoriées et collées les unes aux autres. Pensée pour encourager les économies d’eau, la tarification renforce les inégalités sociales : en pénalisant les gros consommateurs, elle fait payer aux plus pauvres les pratiques de partage des compteurs d’eau auxquels ils recourent par réflexe de solidarité.

Résultat : « En moyenne, l’eau représente 17 % du budget des ménages, et jusqu’à 20 à 25 % pour les populations les plus précaires », dénonce Manon Callego, coordinatrice France de Solidarités International. Sa mission de l’automne 2021 a également révélé les records de France détenus par le département riverain de l’Océan indien, dans la pollution de l’eau au manganèse et la fréquence de la typhoïde.

Données lacunaires

L’ONG pointe aussi le manque de coordination entre les pouvoirs publics et ses conséquences sur la mesure des défis à relever : des informations éparpillées compliquent la caractérisation du territoire, du point de vue de l’accès à l’eau.

Qu’ils parlent de l’Afrique, des Caraïbes ou de l’Océanie, les experts rassemblés le 7 février par le think-tank Métamorphose Outremers se heurtent au même déficit de connaissances, comme l’illustre la mesure de l’impact du chlordécone en Martinique : en cours de démarrage, deux études du bureau de recherche géologique et minière lèveront le voile sur la contamination des eaux souterraines par la molécule mortifère, disséminée en connaissance de cause par les industriels de la banane, jusqu’en 1993.

Impasse règlementaire

Membre du bureau du partenariat français pour l’eau (PFE) qui fédère les forces vives hexagonales à l’international, Gérard Payen confirme les trous dans la raquette de l’autoproclamé pays des droits de l’homme, au regard des 20 cibles de l’objectif de développement durable numéro six (accès de tous à l’eau et à l’assainissement) des Nations-Unies: « L’outremer se trouve dans une situation proche des pays en voie de développement. Le déficit de connaissances contribue à entretenir cette situation », insiste l’expert.

Le frein réglementaire s’ajoute au manque d’informations : « Sur les atolls dont les populations ont hérité des temps anciens les pratiques de collecte d’eau pluviale, appliquer les normes en matière de réseau d’adduction constituerait un non-sens environnemental », pointe le sénateur polynésien Teva Rohrfritsch.

Projections ethnocentrées

La prévention des risques et la réduction des empreintes écologiques incitent à s’interroger sur la validation de pratiques comme les toilettes sèches, ou l’utilisation de matériaux locaux dans l’assainissement non collectif. Mais la tropicalisation du droit ne suffira pas à combler les fossés culturels : « Nous parlons du droit de l’homme à l’eau avec notre imaginaire d’urbains industrialisés. D’autres l’auraient formulé différemment », note l’ethnographe Julie Trottier, chercheuse au CNRS.

La politique de la Banque mondiale nourrit son analyse : en soumettant l’accès à ses financements à de « bonnes lois sur l’eau », l’institution a mis dans l’illégalité des pratiques paysannes vernaculaires assimilées à du vol d’eau, tout en légitimant des prélèvements agro-industriels massifs. Cette situation conduit l’organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à rétropédaler : elle a missionné Julie Trottier pour « chercher des solutions qui éviteront de punir les soi-disant voleurs d’eau », résume la chercheuse.

Révélateur guadeloupéen

La fragilité de la France d’Outre-mer, au regard du droit à l’eau, a pris un caractère officiel sur la scène internationale, le 20 juillet dernier : cinq rapporteurs des Nations-Unies ont alerté l’Etat français « sur les coupures en eau potable en Guadeloupe et leurs impacts négatifs sur le droit humain à l’eau potable de la population et sur plusieurs droits fondamentaux connexes, dont le droit à la santé ».

Au cours de l’enquête parlementaire « relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences», le rapporteur et député guadeloupéen Olivier Serva a surpris une manifestation saisissante de la situation de son île: « « Pourquoi n’êtes-vous pas à l’école ?», avons-nous demandé à des enfants qui se baignaient à côté de la conduite qui déverse 95 % des eaux brutes guadeloupéennes dans la mer. « Elle est fermée pour un mois et demi car il n’y a plus d’eau », nous ont-ils répondu ».

Héritage vétuste

Avec le soutien de la plupart des groupes de l’Assemblée nationale – France Insoumise, Républicains, socialistes, Modem – le député marcheur défend une proposition de loi qui déclencherait un « plan Orsec Eau potable ». Le groupe majoritaire chiffre la mesure, malgré les réticences du gouvernement, qui réserve les plans Orsec aux calamités imprévisibles.

Confronté à la vétusté des réseaux d’eau  et d’assainissement guadeloupéens, le député marcheur Olivier Serva défend une proposition de loi pour un « plan Orsec eau potable ».


La situation guadeloupéenne illustre la difficulté à sortir d’un héritage que personne ne veut assumer, ainsi décrit par Olivier Serva : « En 1962, la Générale des eaux a pris la délégation de service public sans contrôle des pouvoirs publics. Au moins ce système présentait-il l’avantage d’une gestion globale, où les surplus d’une partie du territoire compensaient les déficits des autres. Quand les communautés d’agglomération se sont mises en place en vertu de la loi Notr, elles ont perdu cette vision et hérité d’un réseau non entretenu ».

Enveloppes disponibles

Lancé par l’Etat en 2016 pour contractualiser les projets des collectivités localesle plan Eau-Dom ne parvient pas à solder l’héritage guadeloupéen. Au lieu des 30 « contrats de progrès » prévus, l’Etat en a signé 29. Le 30ème se heurte à l’inextricable nœud guadeloupéen : désigné pour piloter les opérations, « le syndicat mixte ouvert ne parvient même pas à payer ses salariés. La région a dû lui débloquer une avance de 25 millions d’euros dans ce but », constate Olivier Serva.

Pourtant, les représentants de l’Etat sont formels : l’argent ne manque pas. Les compteurs de consommation du plan Eau Dom appuient leur plaidoyer : 5 millions d’euros en ingénierie, 160 millions en investissements, 280 en prêts. Le  plan de relance a gonflé l’enveloppe, en sanctuarisant 50 millions d’euros, dont deux tiers consommés fin janvier.

Déficit d’ingénierie

Aggravé par l’absence d’agences de l’eau, le principal déficit dont souffriraient les collectivités d’outre-mer concernait l’ingénierie, « indispensable pour lancer les marchés et contrôler leur exécution », souligne Eric Tardieu, directeur de l’Office international de l’eau (OI Eau). Cet organisme accompagne Fort-de-France (Martinique) dans un programme destiné à combler ce vide.

Cette initiative reflète le côté lumineux des forces vives de l’eau mobilisées outre-mer, et illustrées par le projet trinational Bio-Plateau, qui s’est déroulé entre 2019 et  2021 dans les bassins du Maroni et de l’Oyapock : avec ses voisins du Brésil et du Surinam, la Guyane française a mis en place un observatoire commun, pour combler le déficit de connaissances sur l’eau et la biodiversité, dans un territoire ravagé par 300 à 400 chantiers d’orpaillage illégal, avec pour conséquence la contamination de 40 % des enfants au mercure.

Espoirs naturels et technologiques

L’espoir de reconquérir les milieux repose aussi sur les solutions fondées sur la nature, accompagnées depuis septembre dernier et pour deux ans par un autre projet transfrontalier : Caribsan. « Plusieurs espèces végétales des Caraïbes se prêtent particulièrement bien à l’assainissement par filtres plantés », souligne le directeur de l’OI-Eau, qui coordonne ce projet auquel participent la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe.

Les chercheurs de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) identifient d’autres pistes plus techniques : « Les générateurs d’eau atmosphériques (Water from air), la réutilisation d’eaux résiduaires et la gestion raisonnée assistée par l’intelligence artificielle », énumère Harry Ozier Lafontaine, directeur de la mission internationale de l’institut dans les Caraïbes.

Efforts industriels

Directeur de la chaire outremer de Sciences-po, Mikaa Mered explore l’hypothèse de l’exploitation de l’hydrogène vert et de son alimentation par la biomasse tropicale et l’eau issue de la désalinisation, sans nier les écueils : ces perspectives promettent autant de débats sur l’acceptabilité que sur la faisabilité technique.

Les investissements déjà réalisés par plusieurs industriels contribuent à mettre plusieurs territoires sur le chemin de la gestion durable de l’eau, à en croire l’institut pour la transition écologique outremer. Son président Stéphane Murigneux cite la raffinerie des Antilles, désormais autonome en eau sur son site martiniquais grâce à son unité de désalinisation, ainsi que la distillerie Simon qui, dans la même île, économise 80 millions de litres d’eau par an grâce à son circuit fermé.

Rendez-vous à Dakar


Au chapitre de la gouvernance mise en place dans la foulée de la loi Notr et des contrats entre communes et gouvernement polynésien, Bora-Bora présente une référence pour tous les territoires d’outre-mer à forte attractivité touristique : « En vertu d’un pacte social auquel ils ont souscrit, les hôtels payent l’eau plus cher que les habitants. Les investissements issus de ce dispositif permettent au lagon d’afficher le pavillon bleu », se réjouit le sénateur Teva Rohrfritsch.

Pour « sortir la tête de l’eau » comme le laisse espérer l’intitulé du colloque du 7 février, l’outremer bénéficie d’une opportunité internationale majeure : « Avec 200 à 300 représentants et un miniforum, la France viendra en force, du 21 au 26 mars à Dakar, au forum mondial de l’eau », annonce Gérard Payen. Le groupe de travail Outremer du PFE mettra cette présence en phase avec le positionnement des Nations-Unies : l’accès de tous les humains à l’eau et à l’assainissement.

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