Tchernobyl n’a plus de courant : ce qu’il faut savoir sur la centrale nucléaire
L’ancienne centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, est tombée aux mains des Russes dès le début de la guerre. Depuis plusieurs heures, elle est totalement coupée du réseau électrique et ses systèmes de surveillance ne fonctionnent plus. Voilà tout ce qu’il faut savoir sur la situation avant de s’alarmer.
Le nom de la centrale réveille de terribles souvenirs. Imaginer la centrale nucléaire de Tchernobyl aux mains des Russes, essuyant des combats militaires, ne manque donc pas de faire trembler l’Europe, qui craint une nouvelle catastrophe.
En évoquant la coupure « complète » de l’alimentation électrique de la centrale de Tchernobyl ce mercredi 9 mars, le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba, se montre d’ailleurs alarmiste : « Les générateurs diesel de réserve ont une capacité de 48 heures pour alimenter la centrale nucléaire de Tchernobyl. Après cela, les systèmes de refroidissement de l’installation de stockage du combustible nucléaire usé s’arrêteront, rendant les fuites radioactives imminentes. La guerre barbare de Poutine met toute l’Europe en danger. Il doit l’arrêter immédiatement ! » écrit-il sur Twitter.
Mais, à l’heure d’une guerre où chaque partie tente de gagner la bataille de l’opinion, qu’en est-il vraiment ? « Il faut rester très prudent sur ces informations », rétorque Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en charge de la sûreté nucléaire.
Les activités en cours dans la centrale
Tombé aux mains des Russes dès le début de l’invasion, le site de Tchernobyl – qui a été le théâtre du pire accident nucléaire de l’histoire en 1986 – n’est plus en activité. La centrale comporte quatre réacteurs nucléaires de type RBMK (1 000 MWe chacun) qui ont tous été arrêtés après la catastrophe, bien que seul un réacteur ait été accidenté. Les trois autres réacteurs font l’objet d’un démantèlement, après avoir continué à être exploités jusqu’en décembre 2000. Date à laquelle le dernier réacteur en fonctionnement a été définitivement arrêté, rapporte l’IRSN.
Depuis, des équipes s’attellent à surveiller, démanteler et gérer les installations et les déchets entreposés. « Il y a des travaux de démantèlement des trois réacteurs qui n’ont pas été accidentés, des travaux pour transférer les éléments combustibles des piscines vers un entreposage à sec…, résume brièvement Karine Herviou. Ce sont des travaux qui peuvent très bien être arrêtés et qui sont très vraisemblablement à l’arrêt. »
Ce qu’il s’était passé lors de la catastrophe nucléaire en 1986
Le 26 avril 1986 à 1 h 23 du matin, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en service depuis 1983, explose lors de la réalisation d’un essai technique, rappelle l’IRSN. L’accident libère le cœur du réacteur qui se retrouve à l’air libre, après que le bouclier en béton de 2 000 tonnes ait été soufflé dans l’explosion qui provoque un rejet massif de produits radioactifs dans l’environnement sous forme de gaz, de particules de combustibles et d’aérosols. Des rejets qui se poursuivent jusqu’au 5 mai 1986.
Cette année-là, 116 000 personnes sont évacuées d’un périmètre de 30 km autour de la centrale, qui est toujours une zone d’exclusion aujourd’hui. Dans les années suivantes, 230 000 autres connaissent le même sort. Déjà en 1995, Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, estime que « neuf millions d’adultes et plus de deux millions d’enfants souffrent des conséquences de Tchernobyl, et la tragédie ne fait que commencer ».
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Depuis à l’arrêt, la centrale comporte-t-elle des risques ?
« Selon nos informations, il n’y a pas de risque d’accidents ou de rejets radioactifs, même si on perd les groupes électrogènes de secours », estime Karine Herviou.
L’enjeu essentiel en termes de sûreté nucléaire relève du refroidissement du cœur du réacteur, or ceux de Tchernobyl sont à l’arrêt. « Le cœur fondu du réacteur numéro 4 qui est sous une arche métallique n’a plus besoin de refroidissement », explique Karine Herviou.
« Il y a une piscine d’entreposage des éléments combustibles qui ont été utilisés de 1977 à 2000 pour faire tourner les réacteurs. Ce combustible est relativement froid. Même en cas de perte de refroidissement de ces piscines, il n’y a pas de risque de réchauffement et donc de rejets », ajoute-t-elle.
Karine Herviou évoque par ailleurs des études réalisées après l’accident de la centrale de Fukushima sur les conséquences d’une perte totale du refroidissement de la piscine : « Ces études montraient que la température de l’eau de la piscine pouvait monter jusqu’à 60°, mais pas au-delà. Donc on n’aura pas d’ébullition et d’évaporation de l’eau dans les piscines. Les assemblages vont rester sous l’eau », détaille-t-elle.
Les équipes aveugles à Tchernobyl
Ce mardi, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a indiqué, que les systèmes permettant de contrôler à distance les matériaux nucléaires de la centrale de Tchernobyl ont cessé de transmettre des données. « Les opérateurs sont aveugles, déplore Karine Herviou. C’est ennuyeux parce que les personnels n’ont pas les moyens de détecter les problèmes sur les installations ».
Selon elle, l’absence d’électricité va compliquer la vie des personnels sur le site. « Ils ne vont plus avoir d’éclairage, ils ne vont plus avoir les moyens de surveiller l’état des installations, mais tant que le site ne fait pas l’objet d’agression directe, il n’y a pas plus d’inquiétudes que ça. L’importance de ces systèmes, c’est de pouvoir surveiller ce qui se passe en cas d’agression directe sur site. »
Depuis la prise de contrôle de la centrale par les Russes, plus de 200 techniciens et gardes sont bloqués sur le site, travaillant treize jours d’affilée sous surveillance russe. Le travail sous pression des équipes ukrainiennes dans des installations nucléaires fait ainsi craindre des erreurs humaines. « Je suis profondément préoccupé par la situation difficile et stressante dans laquelle se trouve le personnel de la centrale nucléaire de Tchernobyl et par les risques potentiels que cela comporte pour la sécurité nucléaire », a averti ce mercredi le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi.
Ce que l’on sait des radiations plus élevées, relevées à la centrale
Dans la nuit du 24 au 25 février, de nombreuses balises de mesure de la radioactivité sur le site ont présenté des pics supérieurs à la normale, suscitant beaucoup d’inquiétude.
Selon l’autorité de sûreté nucléaire ukrainienne, ces activités de radiations relèveraient des chars militaires au moment de la prise de contrôle de la centrale par les Russes. Les mouvements du sol notamment ont pu soulever des matières en suspension et entraîner une hausse de la radioactivité dans l’air.
« On n’en est pas sûr », note de son côté Karine Herviou, penchant davantage sur l’hypothèse de dysfonctionnements des capteurs de surveillance. « On n’est pas sur place, donc c’est difficile à dire, mais on a vu qu’il y a eu des coupures d’électricité empêchant les retransmissions des balises pendant un temps. Et lorsqu’elles sont revenues disponibles, elles montraient à nouveau des niveaux “bruit de fonds”, c’est-à-dire sans radioactivité particulière »,fait-elle valoir.
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Si la situation à Tchernobyl n’empêche pas pour le moment les spécialistes de dormir sur leurs deux oreilles, les autres centrales ukrainiennes en activité, suscitent plus d’inquiétude, car si les systèmes électriques venaient à être perturbés en entraînant le dysfonctionnement des systèmes de refroidissements, il s’agirait là d’une tout autre affaire. Bien que des dispositifs de secours pour pallier la perte d’alimentation électrique sont prévus. « Des groupes électrogènes de secours peuvent prendre le relais pendant sept à huit jours, mais au bout d’un moment il faut quand même ravitailler ces sites en carburant », indique Karine Herviou. Entre-temps, les combats se poursuivent en Ukraine.