Guyane: la centrale du Larivot toujours en débat (sources : Guyaweb)
Le rapporteur public du tribunal administratif de Cayenne a réclamé jeudi l’annulation de l’autorisation environnementale accordée en 2020 par l’ancien préfet Marc Del Grande, au groupe Edf pour l’exploitation de sa centrale thermique surdimensionnée au Larivot. Au tribunal administratif, le projet du Larivot laisse toujours aussi circonspect.
Édifiantes. Les conclusions du rapporteur public, Jean-Francis Villain, énoncées ce jeudi matin au tribunal administratif de Cayenne ont semblé marquer l’apothéose du projet perfectible de centrale au Larivot, cadeau hérité de l’ancienne mandature de Rodolphe Alexandre, de la préfecture et de Edf et qui plonge aujourd’hui le territoire dans une incertitude prolongée puisque la bataille juridique entre Edf, l’État et leurs contempteurs, en l’occurrence les associations Guyane nature environnement et France nature environnement, est loin d’être close.
Le rapporteur public a appelé le tribunal administratif à « annuler » l’autorisation environnementale accordée le 22 octobre 2020 à Edf par l’ancien préfet Marc Del Grande, levé de ses fonctions par Paris sans raison officielle quelques mois plus tard. « Le préfet a commis une erreur d’appréciation » car il y avait des« alternatives suffisantes », comme lui avaient indiqué à plusieurs reprises les services instructeurs de l’État,a tranché Jean-Francis Villain.
Analysant la portée des dommages environnementaux causés par le projet du Larivot, le rapporteur a déplacé le curseur sur une nouvelle zone – une brèche ? – restée jusqu’à présent sous silence mais qui est pourtant le fondement de ce dossier devenu un fiasco.
Pourquoi Edf a-t-il acheté – à grands frais comme nous l’avions révélé – les terres au Larivot des Seban, grands propriétaires terriens depuis l’époque coloniale, malgré des échanges entamés dès 2015 entre Edf et la chambre de commerce pour des terrains à Dégrad-des-Cannes ? Pourquoi Edf s’est-il enfermé dans ce choix malgré une « avalanche de critiques et de réserves » de la part des expert·es depuis 2019 ? s’est interrogéle rapporteur public.
Citant des rapports techniques de l’administration d’État, des plans de prévention des risques, des études environnementales, les avis « défavorable[s]» en 2020 de la commission d’enquête et de plusieurs communes du Centre littoral, lesconclusions mondiales « alarmant[es]» du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Jean-Francis Villain s’est étonné que les trois partenaires (Edf et les co-rédacteurs de la programmation pluriannuelle de l’énergie que sont la préfecture de Guyane et le conseil régional devenu collectivité territoriale) aient opté pour le terrain du Larivot alors qu’il existait selon lui d’autres options foncières « alternatives » et « suffisantes » trop vite « écartées »et « pas suffisamment approfondies » : à Rémire-Montjoly, dans le secteur du port maritime de Dégrad-des-Cannes, sur deux terrains de la chambre de commerce et d’industrie (le fameux projet avorté « Parc Avenir ») et en troisième option sur le terrain d’Edf où est implantée l’actuelle centrale thermique.
Par rapport à Matoury, les terrains de Rémire-Montjoly présenteraient selon le rapporteur des risques naturels (submersion marine, inondation) « légèrement moins défavorables » un « impact écologique moindre », n’auraient pas attaqué une zone à haute valeur écologique et auraient éviter la construction d’un oléoduc (14 à 23 M€ d’investissement en fonction du tracé) de quatorze kilomètres serpentant à travers les communes de Rémire-Montjoly, Cayenne et Matoury. « Cette décision est d’autant plus troublante » a poursuivi le rapporteur public, que des échanges avaient été entamés « en 2015 », année de l’élection territoriale, entre la chambre de commerce, l’État, Edf et la collectivité régionale et puis plus rien.
Le magistrat a par ailleurs balayé deux arguments soulevés par Edf : selon lui : si, il était bien possible de construire du neuf sur le terrain de l’actuelle centrale électrique à Dégrad-des-Cannes puisqu’au regard de la loi, il n’est pas interdit de faire cohabiter une centrale électrique avec le dépôt de carburants de la Sara. Selon le magistrat toujours : non, les travaux d’aménagement au Parc avenir n’auraient pas été plus coûteux ou plus techniques que le complexe chantier au Larivot pour mettre notamment « hors d’eau » le site industriel.
Face à ces lourds arguments l’avocat de Edf et le nouveau secrétaire général des services de l’État, Mathieu Gatineau, ont évidemment répondu. Comme lors de l’audience devant le juge des référés en septembre dernier, la défense s’est d’abord réfugiée derrière l’argument du « mur ».« On va dans le mur »a répété l’avocat de Edf, Me Steve Hercé (qu’une étude récente financée par l’agence française de développement – AFD contredit) puisque l’on débranchera bientôt (fin 2023) la veille centrale électrique de Dégrad-des-Cannes qui alimente majoritairement le littoral.
Pour le secrétaire général des services de l’État, comment se passer du Larivot alors que le déploiement du mix énergétique, prérogative majeure de l’ancienne vice-présidente Hélène Sirder, ne voit pas le jour ? « A-t-on dans les délais un ou des moyens équivalents de sécuriser l’approvisionnement ?» a noté Me Hercé qui agite le spectre d’un effet domino : « ce contentieux fera beaucoup de mal à tous les projets parce que ces projets concernant les énergies font l’objet de financements et aujourd’hui vous n’aurez aucun projet qui sortira s’il n’a pas donné lieu à des autorisations définitives. Or les contentieux il y en a partout. »« On a fait de ce dossier une illustration de ces contentieux climatiques » a regretté l’avocat.
Selon Mathieu Gatineau, mais sans aucune démonstration à l’audience, ces fameuxtrois « sites alternatifs » « n’existent tout simplement pas ». Pour l’avocat de Edf par ailleurs, le tribunal administratif n’a pas à discuter, à la place de Edf, de l’intérêt de telle ou telle localisation.
Devant la cour et pour sortir de l’étau des fortes hausses des émissions de gaz à effet de serre (GES) – contraires aux engagements de l’État – et qui collent désormais à la peau du projet Larivot, le secrétaire général a sorti du chapeau un « arrêté complémentaire » signé hier, mercredi, par le préfet Thierry Queffelec et qui inscrirait dans le marbre la conversion de la centrale aux seuls biodiesels « dès sa mise en service ». C’est pour l’État une manière de répondre au juge des référés du tribunal administratif de Cayenne qui avait estimé le 7 septembre 2021 que « si l’État et EDF ont fait valoir que la centrale fonctionnera dès 2024 à la biomasse liquide, ils n’ont pas été en mesure de prouver cette allégation ».
Dans les considérants (lesquels ont une portée juridique limitée) l’arrêté en question, pas encore rendu public, inviterait à « moduler » par le bas la puissance de la centrale du Larivot en fonction du mix énergétique déployé. Un argument qui amène encore à se poser la question du surdimensionnement de la centrale comme mettait déjà en garde l’Autorité environnementale dans son avis du 18 décembre 2019.
Du côté des risques naturels, Ludovic Marcellius, adjoint au chef de service prévention des risques et industries extractives (direction générale des territoires et de la mer) a pris la parole : « nous avons une circulaire qui dit que par rapport au réchauffement climatique il faut compter d’ici 2100, 60 cm d’eau en plus. Ce point-là sera, quoi qu’il arrive respecté par EDF, sachant, quoi qu’il arrive, que la centrale n’est pas prévue pour durer jusqu’à 2100. Elle est prévue pour fonctionner vingt-cinq ans, donc au plus tard jusqu’en 2050. Donc il n’y a pas de souci particulier sur le sujet »…
Ludovic Marcellius est par ailleurs resté très circonspect face à l’option soulevée par le rapporteur public de reconstruire la nouvelle centrale à côté de l’ancienne : « il faudrait mettre à l’arrêt la centrale pendant la phase de chantier. Ça a l’air bien compliqué de dire qu’on peut remplacer l’une par l’autre ».
A la sortie de l’audience Olivier Taoumi, présent pour défendre les intérêts de la collectivité territoriale de Guyane puisqu’il est le « conseiller » de Gabriel Serville, ne cache pas son opposition à la demande d’annulation formulée par la justice. « Si le projet ne voit pas le jour, on risque 200 M€ de dommages et intérêts de la part d’Edf » affirme-t-il.
La date de la décision à venir du tribunal administratif n’était ce jeudi après-midi pas encore communiquée.
Le tribunal administratif de Cayenne et le Conseil d’État demeurent en désaccord
Le 10 février 2022 le Conseil d’État avait estimé que le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne, saisi par les associations Guyane nature environnement et France nature environnement, avait commis lors de sa décision de juillet 2021 « une erreur de droit » en rapprochant l’obligation de neutralité carbone et de baisse des émissions de GES fixée dans la loi française et l’autorisation environnementale délivrée par Marc Del Grande à Edf, dans la mesure où ladite autorisation ne valait pas autorisation d’exploiter, puisque c’est bien Nicolas Hulot, qui lorsqu’il était ministre de la transition écologique avait signé l’autorisation d’exploitation en 2017.
Ce jeudi, c’est le rapporteur public du tribunal administratif qui a publiquement émis un « doute sérieux et même un peu plus » sur les conclusions du Conseil d’État qui a écarté toute atteinte du projet du Larivot à certaines dispositions du code de l’environnement.
Le rapporteur public a bien reconnu que les destructions écologiques engendrées lors d’un aménagement sont permises par la loi dans la mesure où ce dossier porte un « intérêt public majeur », néanmoins pour M Villain, « un projet d’aménagement susceptible d’affecter la conservation des espèces peut être autorisé de manière dérogatoire uniquement s’il n’y a pas de solutions alternatives. Il s’agit bien pour le tribunal administratif de contrôler que des solutions alternatives ont été évaluées de telle sorte qu’il exerce un contrôle normal sur cette question.»