Autonomie énergetique en Guyane: le rapport qui dénie l’utilité de construire la centrale du Larivot
Une étude récente, controversée, réalisée par deux sociétés françaises pour le compte de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG) met les pieds dans le plat sur la question de la politique territoriale énergétique.
Les conclusions de cette étude datée de février dernier et financée par l’Agence française de développement (AFD) pour le compte de la CTG ont même« ébranlé» le rapporteur public du Tribunal administratif de Cayenne, comme il l’a publiquement indiqué jeudi dernier au cours de l’audience portant sur le projet contesté de centrale du Larivot.
Cette étude, que nous nous sommes procurée, avait pour objectif d’envisager la manière d’atteindre pour 2030 l’autonomie et la transition énergétiques comme l’impose la loi. Elle a été rédigée par Skyray et Sun’r, deux sociétés françaises évoluant dans le secteur du solaire notamment, qui affirment que le risque de « blackout est maîtrisable»sur le littoral dans les années qui suivront l’arrêt de la centrale au fioul de Dégrad-des-Cannes et ceci même « sans le Larivot».
A partir de l’arrêt de Dégrad-des-Cannes, qui fonctionne déjà à régime modéré à cause de ses fortes émissions de particules dans l’air, l’étude soutient – bien qu’elle dresse un état des lieux maximaliste de la filière bois-énergie à brève échéance – que la quasi totalité des besoins électriques du littoral seront couverts sur le court terme si un « renforcement sans délai » et musclé en faveur du solaire avec stockage est opéré, avec en complément la mise en fonctionnement des usines bois/énergie toujours en attente (à Montsinéry et Petit Saut notamment) et grâce au maintien résiduel de groupes électrogènes d’appoint. Selon les auteurs, ce mix pourrait ainsi tenir jusqu’en 2028, toujours sans le Larivot. Pour atteindre cet objectif, « la CTG doit faire preuve [de] volontarisme » notent cependant les auteurs.
A partir de 2028, deux scénarios : Petit Saut et la centrale du Larivot, répondraient majoritairement à la demande en électricité. Dans ces cas-là le territoire reste massivement dépendant des importations de biodiesel puisque le pas de temps est trop court pour envisager une production locale d’agrocarburant.
Second scénario : « plus de 98% de la demande totale, même en année très sèche» serait couverte grâce aux énergies endogènes, c’est à dire le solaire avec stockage (l’équivalent de trois centrales du Larivot en solaire seraient à déployer en six ans ! Soit selon nos calculs une surface cumulée de 300 hectares de panneaux), le barrage de Petit-Saut, les usines bois-énergie (approvisionnées par des résidus d’exploitation forestière, du défrichage et de la canne-fibre). Le tout suppléé par des groupes thermiques de secours (dont ceux situés en face de la future cité judiciaire et de la prison de Saint-Laurent ?).
Cette étude de Skyray et Sun’r a été commandée dans le cadre de la révision simplifiée en cours de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), feuille de route de la politique énergétique territoriale pour les cinq à dix ans à venir, co-rédigée par Paris et Montabo.
Et d’après nos informations, les conclusions de ce rapport ont tendu un peu plus les experts et les producteurs d’électricité à Cayenne et Paris, déjà fortement divisés sur la politique énergétique menée par l’ancienne équipe de la CTG, la préfecture et Edf. Pour certains, l’étude Skyray « n’est pas du tout réaliste, elle ne repose sur rien», pour d’autres elle est au contraire « très parlante» et révélatrice des incertitudes que fait peser le scénario Larivot, scénario au demeurant incertain aux vues des recours devant la justice.
Olivier Taoumi, le conseiller de Gabriel Serville, a affirmé jeudi à Guyaweb que le cabinet ne « partage pas les conclusions» du rapport notammentcar « le document prend pour acquis des hypothèses […] irréalistes et en complet décalage avec la dynamique actuelle». Olivier Taoumi a affirmé que le rapport aurait « fuité» alors que la CTG ne l’aurait pas « validé». Le rapport a néanmoins fait l’objet d’une présentation officielle le 11 mars à l’hôtel territorial au groupement des entrepreneurs en énergie renouvelable (Generg), comme nous avons pu le vérifier.
Edf conteste les résultats apprenait-on également jeudi au cours de l’audience devant le tribunal administratif, sans plus de précisions. Quant au rapporteur général du tribunal il a évoqué l’intérêt de procéder à une « contre-expertise».
Cela étant, cette étude propose malgré tout un renversement de pensée – qui n’est pas nouveau puisque l’Ademe Guyane avait déjà construit des scénarios de ce type. Ce renversement consiste à casser en partie l’hégémonie de Edf pour envisager non plus un système organisé autour de ses projets mais un maillage plus éclaté, plus mixte, avec cependant une nette poussée du solaire notamment par les multinationales à l’image de Total Quadran, et de son projet d’immense champ solaire à Macouria qui attend son heure.
Un rapport de 2021 de l’agence de la transition écologique (Ademe) Guyane était nettement plus prudent que l’étude de Skyray. L’Ademe écrivait ainsi qu’ « un mix électrique 100% énergies renouvelables satisfaisant l’équilibre offre-demande à tout instant est possible» mais que « l’échéance 2030 apparait très difficilement réalisable».
Enfin, Skyray et Sun’r mettent en garde : une production locale d’agrocarburant nécessiterait selon eux de cultiver tous les ans – si on prend le tournesol pour référence – « 70 000 à 100 000 hectares» de terres, soit deux à trois plus que la surface agricole actuellement utilisée en Guyane.« Le remplacement intégral du fioul de la centrale du Larivot par de la biomasse liquide endogène […] apparaît totalement improbable et comprend même à plus long terme de très importantes difficultés et aléas»concluent-ils.