Presidentielles et outremers : témoignages. Lecornu, EELV, melenchon
Sébastien Lecornu est comptable d’une partie du bilan du quinquennat qui s’achève
Sébastien Lecornu s’apprête à quitter le Ministères des Outre-Mer, il y sera resté 2 ans. Il a accordé à la presse ultra marine une interview de campagne en sa qualité de soutien actif dans du Président-candidat. L’essentiel de sa réponse est publié conjointement dans plusieurs journaux ultra marins, chaque rédaction a aussi pu le questionner spécifiquement sur le bilan local de son action
FMM : Alors que vous quitterez prochainement ce Ministère, que pensez-vous avoir appris des Outre-mer ?
Sébastien Lecornu : Je connais bien les Outre-mer. Bien avant ma nomination rue Oudinot, j’avais déjà eu l’occasion de me rendre dans chacun des -territoires, et parfois à plusieurs reprises. Ces deux années m’ont néanmoins permis d’approfondir ces liens de cœur. Ce que je retiens de ces presque deux années passées dans ce ministère, en raison sans doute des crises que nous avons vécues ensemble sous ce quinquennat – le passage d’Irma sur les Antilles, la crise des Gilets jaunes, la crise sanitaire… – est avant tout que le besoin d’Etat dans nos territoires ultramarins n’a jamais été aussi fort. Ce besoin d’Etat, il s’est traduit par plus de protection de nos concitoyens, plus de solidarité nationale dans les moments difficiles, plus d’interventions publiques lorsqu’il fallait soutenir une collectivité dans l’exercice de ses compétences… Et nous avons été au rendez-vous que ce soit sur la sécurité, le chômage, la santé ou encore dans le rétablissement progressif de l’eau potable dans les robinets à Mayotte et en Guadeloupe. Tout cela en adaptant sans cesse les décisions aux réalités de chaque territoire. C’est pour moi une fierté même si tant reste à faire. Maintenant que nous arrivons en fin de mandat, je suis convaincu qu’il faut poursuivre cet élan et renforcer la protection que doit l’Etat à tous les ultramarins compte tenu de leur éloignement géographique ou des risques présents dans ces territoires. C’est en tous cas ce que souhaite Emmanuel Macron pour les Outre-mer pour les 5 ans qui viennent.
FMM : De manière plus personnelle, si vous ne deviez garder qu’un seul souvenir de votre passage rue Oudinot, quel serait-il ?
SL : Pas un seul heureusement mais plusieurs ! Spontanément, je dirais déjà les Marseillaises que j’ai entendues chantées, avec la même ferveur et la même émotion, à chacun de mes déplacements. Et plus particulièrement, celle entendue dans les îles Marquises avec le président de la République, ou encore à Dembeni à Mayotte par une chorale d’enfants en français, puis en shimaoré. La distance n’enlève rien au fait d’appartenir à la même Nation, être français a une signification républicaine aux quatre coins du globe. Sur le fond des dossiers que j’ai eu à traiter en tant que ministre, quand je suis arrivé dans cette maison, le président de la République m’a donné deux chantiers prioritaires : le dossier calédonien d’une part, et la relance économique d’autre part, en ayant en tête qu’il fallait en faire une arme contre la vie chère et le chômage. Tout ne s’est pas passé comme prévu et le virus a bouleversé cet agenda. Mais, de cette crise, il faut retenir le formidable élan de solidarité de l’Hexagone vis-à-vis des Outre-mer. Des milliers de soignants – plus de 10.000 pour être précis – ont ainsi fait le choix de se rendre sur place pour renforcer les capacités hospitalières, relever leurs confrères ultramarins, prendre part aux évacuations sanitaires ou encore déployer des hôpitaux de campagne. Dans ces moments de grande vulnérabilité, les territoires ultramarins n’ont pas été oubliés et nous avons fait Nation. Pour autant, la situation sur le front de l’emploi s’est malgré tout améliorée de manière inédite, en Outre-mer comme dans l’Hexagone, du fait de la croissance économique. Quant à la vie chère, nous avons amorcé notre stratégie en dépit du contexte international et ce sera notre chantier prioritaire si les Français accordent une nouvelle fois leur confiance à Emmanuel Macron.
FMM : Les contrats de convergence et de transformation signés en 2019 dans les jardins du ministère des Outre-mer s’achèvent en 2022. Est-ce vraiment un outil de développement efficace pour les territoires ultra-marins ?
SL : Ces outils servent avant tout à apporter des financements aux collectivités locales sur des compétences qui ne relèvent pas de l’État et donc à répondre aux besoins de nos concitoyens en matière d’eau, de transports, d’énergie, de déchets, de développement économique et social, de formation… C’est dans ce cadre qu’ont été signés en juillet 2019, 7 contrats de convergence et de transformation, pour plus de 1,7 milliards d’euros d’investissement, après un cycle de concertation inédit dans chacun des territoires. À ces sommes d’argent, nous ajoutons également un soutien en matière d’ingénierie pour faire en sorte que les projets sortent réellement de terre ainsi que tous les crédits du plan de relance. Cet engagement est sans précédent, maintenant il revient aux différentes collectivités de faire avancer les projets et de consommer les crédits. De manière globale, nous avons veillé à ce que chaque réforme nationale bénéfice aux territoires ultramarins, avec leurs spécificités respectives : dernière mesure annoncée par le candidat Macron sur TF1, l’indexation des retraites sur l’inflation dès cet été permettra de protéger le pouvoir d’achat de nos aînés dans l’Hexagone comme en Outre-mer : une solidarité inédite pour juguler l’inflation les effets du conflit !
FMM : En matière environnementale, on recense beaucoup d’annonces pour peu de réalisations, est-ce un regret ?
SL : Je ne partage pas du tout ce constat. Avec 670 M€ par an, nous avons quasiment doublé les financements au profit des énergies renouvelables en outre-mer, investi 200 M€ pour la rénovation énergétique des bâtiments publics dans le cadre du plan de relance, et programmé près de 500 M€ pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement alors qu’il s’agit pourtant d’une compétence du bloc communal. Mais, bien plus que des chiffres et des millions, ce sont des actions concrètes qui ont marqué le quinquennat : nous avons renforcé la lutte contre les atteintes illégales à l’environnement, et créé de nouvelles aires protégées ultramarines, comme les réserves naturelles des forêts de Mayotte, des îles Glorieuses, ou des Terres australes françaises, la seconde plus étendue au monde. Nous avons accompagné le développement du parc naturel marin de la mer de Corail, en Nouvelle-Calédonie. Comme ministre des Outre-mer, j’ai pu poursuivre et coordonner des chantiers interministériels sur lesquels je m’étais investi comme secrétaire d’État au ministère de la transition écologique en 2018. Nous avons ainsi poursuivi notre action de lutte contre les sargasses en renforçant l’appui de l’État aux collectivités ; nous avons réformé le code minier après avoir stoppé le projet de la Montagne d’Or en Guyane ; nous avons renforcé les moyens pour réduire l’exposition des populations antillaises à la pollution par la chlordécone avec un 4ème plan Chlordécone doté de plus de 90M d’euros. Sur ce sujet, à titre personnel, je souhaite que les parties civiles puissent user de toutes les voies de recours et d’appel dans la procédure judiciaire en cours. J’ai été très vigilant à accélérer la protection de nos concitoyens ultramarins face aux risques naturels et climatiques : nous avons par exemple lancé la troisième phase du plan séismes Antilles, commencé le déploiement des sirènes pour mieux gérer le risque tsunami à Mayotte suite à l’émergence récente d’un volcan sous-marin au large de l’archipel et fait aboutir le plan de prévention des risques cycloniques à St Martin. Peut-on pour autant se satisfaire de la situation actuelle ? Bien évidemment, non. Il y a toujours urgence. C’est pourquoi nous devons renforcer la lutte contre l’orpaillage illégal, et plus largement la protection des ultramarins contre les pollutions environnementales. Si je prends le cas de Mayotte, près de 80 % des eaux usées sont rejetées dans le lagon sans traitement. Mais, ce sont avant tout des compétences locales, et cela, depuis le 19ème siècle. L’État est prêt à accompagner les collectivités sur ces deux volets, mais ne pourra pas s’y substituer.
FMM : Regrettez-vous l’échec du projet de loi pour un développement accéléré de Mayotte ?
SL : Oui. Le plan pour Mayotte annoncé pour les 10 ans de la départementalisation ne verra pas le jour comme prévu en cette fin de quinquennat, puisque le projet de loi a été bloqué délibérément par l’avis défavorable rendu par le conseil départemental. J’ai peut-être été naïf mais les intérêts politiques de certains élus LR ont primé sur l’intérêt général. C’est déplorable. Pour autant, le projet de transformation que nous souhaitons pour Mayotte se poursuivra et nous trouverons les bons leviers pour mettre en œuvre ce que nous avons prévu. Par exemple, la loi d’Orientation et de Programmation du ministère de l’Intérieur pour 2022 (LOPMI) qui a été présentée dernièrement en conseil des ministres accentue la capacité de nos forces à lutter contre l’immigration clandestine au-delà de nos eaux territoriales. Nous pourrons aller encore plus dans un prochain quinquennat en conditionnant davantage l’aide de la France à la coopération avec les pays limitrophes ou en renforçant la lutte contre la fraude documentaire ou le démantèlement des squats. D’autres mesures, notamment sur la convergence sociale, ont été adaptées pour être prises par voie réglementaire : je pense notamment à la prime d’activité qui sera alignée sur le taux hexagonal au 1er janvier prochain, ou à l’allocation adulte handicapé sur laquelle nous nous sommes engagés à converger rapidement vers le niveau de l’hexagone. Même si la loi Mayotte permettait d’accélérer le développement des infrastructures nécessaires au développement de Mayotte, nous construirons un deuxième hôpital pour l’île, à Combani, et nous mènerons à son terme le projet de piste longue de l’aéroport, conformément à l’engagement du président de la République. Bref, les résultats seront sans doute plus longs à se faire sentir, à cause de ce blocage politique que je regrette ; mais notre ambition pour l’amélioration des conditions de vie à Mayotte est plus forte que jamais. Certains candidats parlent de Mayotte uniquement lors des présidentielles avec de belles paroles politiciennes ou démagogiques. Avec Emmanuel Macron nous avons fait le pari des actions.
FMM : Pourriez-vous revenir à Mayotte pour vos vacances ?
SL : Bien sûr ! Mayotte a d’innombrables atouts pour devenir une destination touristique prisée par nos concitoyens, comme le sont les Antilles ou encore dans l’Océan Indien, La Réunion. Je pense par exemple à la plongée qui peut être le véritable avantage comparatif de Mayotte à très court terme. Les randonnées, et plus largement l’éco-tourisme, sont d’autres pistes à développer. Je suis conscient qu’il y a encore des défis à relever, notamment l’installation d’infrastructures hôtelières, et évidemment l’amélioration de la sécurité au quotidien pour laquelle nous sommes, et nous continuerons à l’être, mobilisés en allant plus loin. Dès mon arrivée au ministère des Outre-mer, j’ai plaidé pour une vraie réflexion sur l’offre touristique en Outre-mer, avec une spécialisation de chaque territoire sur un créneau de tourisme durable. Mayotte, doit avec l’État, définir les lieux emblématiques qu’elle veut valoriser dans son offre : nous serons prêts à l’aider à les mettre en valeur. Et évidemment, je suis prêt à donner l’exemple, quelles que soient mes prochaines fonctions, à retourner à Mayotte en touriste.
Propos recueillis par Anne Constance Onghéna
EELV, julien SARTRE
Dans l’Outre-mer, une écologie à géographie variable
Tous les territoires de l’Outre-mer français subissent de graves violences écologiques, souffrent de solutions énergétiques et infra-structurelles inadaptées. Scrutin après scrutin, le score des Verts y reste anecdotique. Troisième volet de notre série.
26 février 2022 à 16h53
Dix millions de kilomètres carrés de Zone économique exclusive maritime (ZEE) et les fonds marins correspondants, 20 % des atolls coralliens dans le monde, des biotopes parmi les plus riches de la planète, à l’image de la forêt amazonienne qui concentre en Guyane des milliers d’espèces végétales, des centaines d’espèces d’oiseaux et une variété indénombrable de mammifères et d’insectes : l’essentiel de la nature sous souveraineté française n’est pas en Europe. Elle est répartie sur trois océans et quatre continents, dans les départements et territoires d’Outre-mer. Cet Outre-Mer qui est à la fois une grande zone de biodiversité et de violences écologiques.
Explosions nucléaires dans l’océan Pacifique sud, immenses mines de nickel à ciel ouvert en Nouvelle-Calédonie, déversements de cyanure et de mercure visant à extraire l’or de la forêt en Amazonie, bétonnage de l’océan Indien et grands projets inutiles à La Réunion, empoisonnement au pesticide de toute la biosphère, humains compris, dans la Caraïbe : les plus vastes désastres écologiques français sont à chercher dans les mêmes endroits. Leurs victimes aussi.
« Nous avons convenu qu’il nous fallait encore de l’accompagnement parce que les installations qui nous ont été rétrocédées étaient fortement polluées », déplorait Édouard Fritch, président de la Polynésie française, jeudi 3 février 2022, au sortir d’une rencontre parisienne avec le Premier ministre Jean Castex. Il faisait allusion aux îles nucléarisées de Hao et Tureia. Ces bases arrière de l’armée française lors de la campagne de tirs d’essai de 1966 à 1996 abritent aujourd’hui encore des stocks de plutonium ou des matériaux de construction irradiés dont le gouvernement polynésien ne sait que faire. « Le président de la République s’est engagé à financer cette déconstruction et ce sera l’objet du prochain avenant au Contrat de redynamisation des sites de défense (CRSD) qui sera signé à la fin du mois de février prochain », concluait le président Fritch.
Site d’orpaillage abandonné à Camopi en Guyane en Juin 2011. © Photo José Nicolas / Hans Lucas via AFP
La pollution du Pacifique sud à l’aide de bombes nucléaires n’empêche pas la France d’être à la pointe de la mobilisation mondiale pour la protection des océans, dans un pas de deux fidèle au « en même temps » macronien. Quelques jours après ses déclarations sur la dépollution nécessaire et coûteuse de Hao, le président Fritch retrouvait Emmanuel Macron à Brest, pour le « One ocean summit ». « Il y a un destin océanique et maritime français, se félicitait le président Macron, le 11 février 2022. Si la France est la deuxième puissance maritime mondiale c’est parce que nous avons nos Outre-mer. Nous allons prendre les engagements de Brest ! »
Taxé de « bluewashing » par plusieurs ONG de défense de l’environnement, dont Greenpeace France et l’association Pleine Mer, le président Macron n’a pas renoncé à la recherche de minerais dans le fond des océans. Au contraire. L’exploration des grands fonds est selon lui « un levier extraordinaire de compréhension du vivant, d’accès à certains métaux rares, de compréhension du fonctionnement de nouveaux écosystèmes, d’innovation ».
C’est une politique cohérente : au congrès de l’UICN (Congrès international de conservation de la nature) qui s’est tenu à Marseille le 3 septembre 2021, la France a refusé de signer une motion concernant un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins. Un bras de fer est engagé de longue date avec les autorités polynésiennes et les partis politiques locaux sur la « compétence », c’est-à-dire l’enjeu de souveraineté, autour des nodules polymétalliques.
À qui appartiennent-ils, ces minerais océaniques aussi convoités que difficiles d’accès ? Et l’or extrait de la forêt amazonienne à grand renfort de cyanure et de mercure ? « En Guyane c’est un peu particulier, admet volontiers Marine Calmet, porte-parole du collectif Or de question et juriste. Nous n’avons pas les mêmes partis politiques qu’en métropole, forcément le débat est moins audible, moins compréhensible pour les citoyens qui ont des préoccupations locales, urgentes et propres à leur territoire. »
C’est une première explication au fait qu’en Guyane, comme en Polynésie, dans les Antilles françaises ou encore à La Réunion, l’écologie – bien qu’au cœur des blessures de ces territoires – ne soit pas un champ identifié dans le paysage politique, un créneau porteur. « La décision, lors du choix du vote, est plus individuelle en Océanie qu’en Occident, reformule Jean-Marc Regnault, historien, maître de conférences honoraire, chercheur associé à l’Université de la Polynésie française. Le système politique établi, qui a de fortes caractéristiques clientélistes, pousse les gens à réfléchir dans une économie de don et de contre-don : la dimension idéologique du vote est appréhendée différemment. Les partis politiques écologistes rencontrent très peu de succès et sont traités par le mépris par les responsables politiques locaux. »
À la dernière présidentielle, le candidat soutenu par le principal parti écologiste français, Europe Écologie-Les Verts (EELV), Benoît Hamon, n’a pas atteint 5 % des suffrages à l’échelle de l’Outre-mer. Aux dernières élections régionales à La Réunion, la liste EELV a fait moins de 3 %. « Oui, il faut le reconnaître, 2 % c’est mauvais et on ne peut pas s’en satisfaire, concède Jean-Pierre Marchau, conseiller fédéral d’Europe Écologie, élu EELV à la mairie de Saint-Denis de La Réunion. C’est un score mauvais au regard des enjeux, transports et énergie. Nous avions fait une campagne sur le fond, nous étions les seuls à nous prononcer contre l’importation de biomasse à La Réunion : c’est un énorme problème. Tous les Réunionnais n’en sont pas conscients. »
À lire aussi Mayotte, le 30 novembre 2016. Marine Le Pen lors d’un meeting à Mtsahara. Présidentielle 2022. Enjeux ultra-marins
21 janvier 2022
Les plaies à vif de l’économie coloniale
8 juillet 2021
Ces derniers subissent pourtant des choix d’infrastructures « tout-voiture » rien de moins que difficiles à vivre à force d’embouteillages monstres et de bétonnage de l’océan Indien à cause de la nouvelle route du littoral (NRL). « On est toujours dans une logique d’importation, poursuit Jean-Pierre Marchau. La Réunion connaît un coût de dépendance énergétique de 92 %. Il ne faut pas seulement penser à l’électricité mais à toutes les sources d’énergie, pour les voitures, les moteurs, etc., c’est un chiffre global. La Région, en accord avec la préfecture, est en train d’élaborer la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), et elle a tourné le dos à la recherche de nouvelles énergies. Le problème est massif et nous sommes aux prises avec une entreprise, un groupe privé très puissant dans les Outre-mer, Albioma. Ce sont eux qui jouent à ce jeu-là. »
La dimension prédatrice de la métropole en Outre Mer se poursuit toujours avec les entreprises. « Producteur indépendant d’énergie renouvelable » dans tous les départements d’Outre-mer (Dom), Albioma en est un emblème bavard, après avoir créé la controverse sur les trois océans, où il poursuit son intention d’y mener la « transition énergétique et écologique » du fioul à la biomasse.
« Typiquement, la fourniture en énergie par la biomasse pose problème, décrypte Marine Calmet, la porte-parole du collectif Or de question. Dans les débats des médias autour de la présidentielle, le seul sujet énergie abordé est le nucléaire : le nucléaire est typiquement un sujet qui n’intéresse pas les Outre-mer parce qu’on n’y trouve pas de centrale. Résultat, ce type de sujets – pourtant cruciaux : le conseil d’État a autorisé ces jours-ci la création d’une nouvelle centrale au fioul en Guyane – ne sont pas abordés localement et ne permettent pas aux Guyanais de se retrouver dans la présidentielle. »
En Guadeloupe, l’avocate et activiste Maryse Coppet va plus loin : « On joue sur les mots, la biomasse peut être durable mais la déforestation ne peut pas l’être. On parle de forêts qui sont coupées et transportées pour être brûlées à des milliers de kilomètres par bateau : il est prouvé que ces incinérations sont très nocives pour l’environnement. » Militante, Maryse Coppet a obtenu l’arrêt d’un projet de ce type à Marie-Galante, une des îles de son archipel. Elle a obtenu gain de cause en portant le dossier devant l’Union européenne.
« Albioma est favorisée par la France dans tous les départements d’Outre-mer, analyse-t-elle. Parce que la France a toujours considéré que les Dom étaient des territoires où elle pouvait enfreindre les règles de la concurrence et de protection de l’environnement. C’est comme ça qu’on a eu la chlordécone pour offrir l’agriculture aux békés et qu’on a des centrales polluantes au fioul. On a eu la pollution des sols avec la chlordécone et on a maintenant la pollution de l’air avec Albioma : aucune entreprise française prédatrice n’a jamais été condamnée pour ces crimes. Et il y a le même type de problèmes avec l’eau et la Générale des eaux. »
Allusion à la pollution à la chlordécone, sur les murs de Fort-de-France, en 2021. © JS
Contactée par Mediapart, l’entreprise Albioma a fourni une réponse écrite. Son service communication précise que « les programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) sont des documents co-élaborés par l’État et chaque région concernée. Albioma ne participe pas à la rédaction ». En ce qui concerne la part de bois importé sur la biomasse utilisée pour fabriquer de l’électricité, Albioma indique que « à La Réunion, la part de biomasse locale valorisée sur les unités sera en 2028 entre 34 et 48 % en fonction des hypothèses de mobilisation de la biomasse locale identifiée dans le Schéma régional biomasse ». Une majorité sera donc bien importée.
« Importer des granulets de bois, des pellets, issus du tronçonnage en Amérique du Nord, sur une île où Paul Vergès parlait d’indépendance énergétique : c’est un scandale !, redit Jean-Pierre Marchau, conseiller fédéral des Verts à La Réunion. La prise de conscience écolo à La Réunion est lente, réelle, mais lente. Pour la présidentielle, en plus, le débat est très personnalisé. Nous sommes suspendus à la venue de Yannick Jadot. Il a renoncé plusieurs fois, à cause de la crise sanitaire notamment. » Sollicité par Mediapart, Yannick Jadot n’était pas disponible.
Vivier le plus important d’électeurs de tout l’Outre-mer français avec presque un million d’habitants, La Réunion figure sur la carte mentale des candidats à la présidentielle. Beaucoup plus loin, en Polynésie française, c’est une autre forme d’écologie qui prime. « Ici, il ne faut pas oublier qu’il y a des gens indépendantistes et le vote en faveur des indépendantistes a une dimension écologique, rappelle Jean-Marc Regnault depuis Tahiti. Au début, le parti créé par Oscar Temaru est créé sur des bases écologiques : la destruction de la nature et de la santé des Polynésiens, l’énorme pollution créée par les essais nucléaires. »
C’est un risque que les partis politiques français n’ont visiblement pas identifié : que la revendication écologique des peuples ultramarins revienne à la France, sous la forme d’une revanche à prendre. Le poète et politicien martiniquais Aimé Césaire n’écrivait-il pas en 1961 dans son poème Cadastre : « Quand les Nègres font la révolution ils commencent par arracher du Champ de Mars des arbres géants qu’ils lancent à la face du ciel » ?