Blue Climate Summit : « C’est la voix du Pacifique et de la Polynésie »
Tahiti, le 12 mai 2022 – Hinano Murphy, la directrice culturelle de Tetiaroa Society, sponsor de la Blue Climate Initiative à l’origine du Blue Climate Summit qui se déroule toute la semaine prochaine en Polynésie, détaille dans une interview à Tahiti Infos toute l’importance de cet événement international de grande ampleur pour le fenua, l’océan et la planète. Sommet mondial sur la recherche de solutions innovantes et concrètes pour lutter contre le dérèglement climatique et préserver les océans, le Blue Climate Summit entend également avoir une forte portée culturelle et artistique pour les Polynésiens au sens large et plus généralement pour l’ensemble des peuples du Pacifique.
Que sont exactement la Blue Climate Initiative et le Blue Climate Summit par rapport à l’association Tetiaroa Society ?
“La Tetiaroa Society est une association locale, basée en Polynésie, mais qui a également une assise aux États-Unis. Le Blue Climate Initiative est un programme phare qui a été adopté à l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) pour les prochaines décennies, parce qu’il part de Polynésie et de Tetiaroa et qu’il est axé sur les solutions urgentes à mettre en place contre les effets du changement climatique. Le programme s’appelle le Blue Climate Initiative et le Blue Climate Summit est la réalisation de ce programme. C’est-à-dire qu’il fallait que nous mettions en place un haut sommet sur le climat en Polynésie. Pour nous c’est important, parce que c’est la voix de la Polynésie. Ça part de Te Moana Nui o Hiva, cet océan auquel nous sommes tellement attachés. Que ce soit au niveau de nos racines ou de notre identité, pour tous les peuples du Pacifique. Le second axe, c’était de se dire : comment nous, dans cet océan immense qui est le poumon de la planète, nous pouvons essayer d’interpeller à l’international pour essayer de changer les choses et se dire qu’il est peut-être temps de prendre en compte ces changements climatiques et d’agir le plus rapidement possible. Ça, c’est la voix du Pacifique et de la Polynésie française au niveau international.”
Qu’est-ce qui fait la particularité de ce premier sommet, par rapport à d’autres initiatives environnementales internationales ?
“Je pense que la première particularité, pour nous, c’est qu’il se tient en Polynésie. Le deuxième point, c’est qu’il est axé sur les solutions urgentes. Nous ne sommes plus là à discuter des changements urgents, des effets du réchauffement. Aujourd’hui, on va se focaliser sur les solutions pratiques, concrètes et innovantes à mettre en place pour faire face. L’idée ce n’est pas juste de réfléchir. On a réfléchi. Beaucoup, trop et longtemps. Maintenant, il faut passer à l’action. Il y a eu des tentatives dans le monde entier. Et ce qui était intéressant, c’était de mutualiser tous ces moyens et de se dire : voilà ce qui se fait ailleurs, voilà ce qui se fait déjà et nous, en Polynésie, que pouvons-nous faire ? Le troisième point, également important, c’est qu’il porte sur l’océan. Nous, tous les peuples du Pacifique, nous sommes océan. Tous les Polynésiens ont un contact journalier, quotidien avec l’océan. Et notre culture s’enracine dans cet océan. Aujourd’hui, je pense que le monde a les yeux rivés sur cet océan. On sait qu’il est convoité. On a peut-être trop usé des ressources des autres océans. Et celui-ci, nous en sommes les gardiens et il ne faut pas l’oublier. Ce peuple a quand même un mot à dire, une pensée, une expérience acquise et des connaissances pointues sur cet océan. Il est temps aujourd’hui de regarder ce qui se passe ici, comment nous gérons cet océan. Est-ce qu’il n’y a pas là des solutions à adopter pour notre planète. Ensuite, il y a toutes les innovations. Et c’est aussi ce qui fait l’une des particularités de ce Blue Climate Summit, c’est que nous avons mobilisé le monde entier. Des scientifiques mais aussi des fondations, des mécènes, des décideurs pour qu’ils comprennent ce qui se fait dans le Pacifique et le faire résonner à l’international. Ces décideurs pourraient financer des solutions innovantes sur le développement durable et l’utilisation de nos ressources. Ces fondations pourraient propulser ces idées innovantes à travers le monde et en même temps aider les petites associations et les petits gouvernements, pourquoi pas en Polynésie, pour protéger l’océan.”
Ce sommet sera l’occasion de récompenser à la fois un Prix des communautés et un Prix de l’innovation, expliquez-nous en quoi consistent ces distinctions ?
“Plusieurs Pays ont proposé des solutions. Un jury composé de scientifiques, de fondations et de personnes qualifiées a été amené à juger ces solutions. Et ce sont des solutions qui seront applicables un peu partout dans le monde, sur les océans. Là il y a eu un focus sur les océans, mais il y a également des solutions qui concernent l’alimentation, la santé… Toutes ces thématiques sont à prendre en compte pour faire face aux changements climatiques.”
« Le monde a les yeux rivés sur cet océan »
Quels travaux vont être menés durant ces prochains jours par les participants au Blue Climate Summit, sur le Paul Gauguin et lors des visites de terrain ?
“Durant ce sommet, il y aura en effet une partie de visites de terrain pour prendre en compte ce qui est déjà fait en Polynésie. Ce que le gouvernement polynésien a entamé durant les dernières COP, mais également avec les peuples du Pacifique, les leaders polynésiens, les navigateurs du Pō que nous avons fait venir. Chacun a eu sa petite part et il serait intéressant de discuter de ces moyens qui ont déjà été mis en place et de l’action future du Pays et de ces différentes communautés du Pacifique. L’objectif, c’est d’être assis dans cette même pirogue de l’avenir et de ramer ensemble. C’est sûr qu’il y a eu des actions éparses, mais ensemble on y arrivera mieux.”
Une cérémonie traditionnelle est prévue mercredi au marae de Taputapuātea, quelle en sera la portée et quel en sera l’objectif ?
“C’est quelque chose auquel nous attachons une grande importance. Parce que si l’on revient à nos décisions au niveau de la Polynésie, au niveau de nos ancêtres, nous ne pouvons pas entamer une action dans le futur sans passer par Taputapuātea. Surtout en ce qui concerne notre océan. C’est la raison pour laquelle nous avons fait venir les navigateurs du Pō. Ce sont des experts qui détiennent une certaine connaissance, qui sont –pour nous les Polynésiens et les peuples du Pacifique– en quelque sorte les gardiens de cet océan. Ils ont un contact profond et essentiel avec cet océan. Et pour renouer, se réconcilier avec notre océan et rappeler les règles de protection de notre océan, c’est important de passer par Taputapuātea. Ce berceau de notre civilisation, aujourd’hui inscrit au patrimoine de l’Unesco, il est important de le faire vivre. Et faire vivre Taputapuātea pour quelque chose qui concerne la planète entière, c’est donner beaucoup plus de sens à cette action et c’est en même temps faire résonner à l’international l’importance de notre océan. Voilà pourquoi nous passons à Taputapuātea. Nous voulons ancrer toutes ces décisions et ce cap que Hōkūlea va porter et faire connaître à travers le monde. Comme notre pirogue Fa’afaite localement va porter ces messages. Ceci pour enchaîner sur des actions locales, stimuler notre population, éveiller les consciences. Nous sommes aux premières loges de ce changement climatique et il est temps de se mobiliser. Comme l’ont considéré nos ancêtres, Taputapuātea est la porte d’entrée de Te Moana Nui o Hiva. La porte d’entrée de notre océan. Et rien ne peut être fait si on ne passe pas par Taputapuātea. C’est important pour tous les peuples du Pacifique, aussi bien les Hawaiiens, les habitants de l’île de Pâques, et en même temps vers la Micronésie et tous ceux qui sont des peuples de l’océan.”
Ce que vous dîtes également sur l’importance de la portée culturelle du Blue Climate Summit, c’est que lorsque l’on internationalise et que l’on globalise les échanges dans ce type d’événement, on peut perdre une part culturelle des communautés qui en font partie. Mais pas là ?
“Oui. À la COP-21 ou lors des différents événements qui se sont déroulés au niveau international, on oublie un peu cette partie culturelle qui est pourtant si importante pour les peuples de l’océan. Et l’avantage d’avoir cet événement en Polynésie, c’est de leur montrer concrètement comment au travers de toutes ces actions vit l’océan. Et c’est au travers de ces actions que nous pouvons peut-être toucher davantage, je le pense, les cœurs à l’international. C’est certain qu’il y a d’autres pays qui vont faire résonner ces valeurs. Mais lorsqu’on a des événements internationaux de ce type, on va globaliser un peu sur des thématiques qui sont fortes et on va réduire un peu cette portée culturelle essentielle à chaque peuple pour s’approprier ces enjeux. C’est pour cela que mettre en avant cette portée culturelle est quelque chose d’essentiel pour nous.”
« L’arrivée d’Obama à Tetiaroa… L’idée a germé à ce moment là »
Un autre événement de ce sommet, même s’il ne revêt peut-être pas un caractère culturel aussi fort, c’est le grand concert qui va être organisé en clôture du Blue Climate Summit à To’ata. C’était important d’avoir une sorte de lien transgénérationnel à la fois pour entendre concrètement la voix des artistes polynésiens sur ces enjeux et peut-être aussi pour sensibiliser les plus jeunes ?
“C’est important et intéressant pour notre jeunesse. Il faut toucher ce milieu, parce que c’est de leur avenir que nous parlons. Et en même temps, il faut voir cet événement de manière transdisciplinaire. L’art a sa place. Le chant a sa place. C’est transgénérationnel mais également transdisciplinaire. Il faut toucher tous les milieux comme on touche toute la communauté, et en même temps utiliser ce moment pour innover, créer, produire et insuffler un nouveau souffle chez les jeunes. Nous allons découvrir une fresque murale sur la thématique des changements climatiques. Il y a une exposition d’art sur le bateau également… Donc, si ce concert pour l’océan peut stimuler nos artistes pour encore et encore produire des chants et louer notre océan, c’est le moment ou jamais. Mais ce qui est aussi important, c’est cette rencontre de nos jeunes avec des artistes internationaux. Ce moment va être un moment fort, parce que nous allons demander également à ces artistes de chanter avec des artistes locaux. C’est un moment de partage, il ne faut pas l’oublier et il faut nous placer dans cette dynamique de partage des connaissances et des solutions. Et non plus quelque chose de dicté du haut vers le bas, qu’il nous faut ensuite exécuter. À l’inverse, ce sommet est un mouvement du bas vers le haut, qui part de la masse, qui part de Tetiaroa pour avoir une vision sur la planète. Si on peut sauver une petite île comme Tetiaora, si on peut faire tous les programmes de restauration et de conservation à Tetiaroa, pourquoi ne pas réfléchir à l’international pour imaginer des solutions durables pour notre planète.”
Une cérémonie va également être organisée à Arue, commune de rattachement de Tetiaroa, durant ce sommet…
“C’est la part de la commune de Arue. Nous voulons drainer ces visiteurs et ces invités vers cette commune, parce qu’il ne faut pas oublier que Arue a été quand même le premier point de contact des explorateurs. C’est là que tout s’est passé. C’est bien qu’on puisse leur montrer cette commune qui est également dans une dynamique de développement durable. Nous aurons la découverte de la fresque, un mā’a tahiti offert à nos invités et l’inauguration de la première Maison du savoir que l’on va appeler Te Fare Arioi… Parmi les événements également, je ne veux pas oublier cela, nous avons le concours qui a été organisé pour toutes les écoles de Polynésie sur cet événement. Ce concours s’appelle Ia Vai Moana te Fenua. C’est un jeu de mot, “moana” voulant dire bleu et rappeler cet océan et c’est également pour avoir cette image que l’océan et la terre sont liés. C’est une entité entière. C’est une idée qui a été lancée au niveau des écoles et nous allons remettre les prix à 15 heures vendredi, juste avant le concert. On ne voulait pas oublier cette partie, parce que la clé de voûte de tout cela c’est l’éducation.”
Pour finir, combien de temps est-ce que cela a pris d’arriver à un tel événement et est-ce que ce premier Blue Climate Summit a vocation à connaître d’autres éditions ?
“Vous vous souvenez de l’arrivée d’Obama à Tetiaroa ? L’idée a germé à ce moment-là. Nous accueillons beaucoup d’invités sur l’île de Tetiaroa. Et l’idée a été de se dire : pourquoi ne pas utiliser cela pour faire bénéficier la Polynésie tout entière d’un petit levier comme celui-là. Donc l’idée a germé à ce moment-là, mais le travail considérable qui a été mené pour préparer ce sommet a pris trois ans. Il a fallu lever des fonds à l’international, trouver des partenaires locaux… Ensuite, bien sûr que le Blue Climate Summit a vocation à durer dans le temps. C’est une première action que nous voulons lancer, mais il faut tenir un calendrier avec des points d’étape. Il faut se dire régulièrement : qu’avons-nous réalisé ? Ce passage à Taputapuātea, c’est également cela. Nous faisons la promesse de nous engager vers des actions innovantes et durables, mais avec des rendez-vous dans le futur. Il faut donc se dire : qu’avons réalisé et que nous reste-t-il d’urgent à faire pour pouvoir mobiliser notre population, nos populations et l’international pour sauver notre planète.”