126 communes et la loi climat/résilience
D’ici à 2100, 50 000 logements seraient menacés par l’érosion, selon le Cerema, soit une valeur immobilière de 8 milliards d’euros (hors bâtiments commerciaux, industriels et équipements collectifs). La loi « climat et résilience » du 22 août 2021 a mis en place des outils pour s’adapter au changement climatique. Dans le chapitre consacré à l’érosion côtière, elle prévoit l’identification des communes exposées.
Le décret du 29 avril 2022 fixe une liste de 126 communes qui peut surprendre. « Je suis très étonnée car cette liste a changé à plusieurs reprises », confirme Anne-Sophie Leclere, déléguée générale de l’Association nationale des élus du littoral (Anel).
Des communes soumises à l’érosion n’y figurent pas, quand d’autres, non concernées par ce risque, se sont ajoutées volontairement, y voyant peut-être une opportunité. C’est le cas dans le Finistère. Des EPCI, telle la communauté de communes du pays d’Iroise (19 communes, 48 400 hab.), ont demandé à leurs membres de prendre des délibérations dans ce sens, alors qu’un seul figurait dans la liste établie par l’Etat. Objectif : permettre à l’interco de disposer d’une cartographie globale, subventionnée par l’Etat, à intégrer dans son futur PLUI.
Contraintes mal mesurées
« Je crains que certaines informations aient été mal comprises. La communication du ministère de la Transition écologique a été très positive, présentant de nouveaux outils juridiques et des financements pour une cartographie. Je ne suis pas sûre que les contraintes, pourtant énormes, aient toujours été bien mesurées. Il s’agit de mettre un trait définitif sur une carte dans le PLU, ce qui entraîne des effets très importants en cascade, avec des restrictions d’urbanisation fortes et des expropriations. Cela engage la responsabilité de la commune pour l’avenir », prévient Anne-Sophie Leclere.
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Elle craint en outre que certains maires aient confondu submersion et érosion, et aient ainsi ajouté leur commune sur la liste. Les échanges au sein de certains conseils municipaux tendent à démontrer cette confusion. La Baule-Escoublac (16 300 hab., Loire-Atlantique) s’est inscrite volontairement sur la liste pour faire réparer sa « promenade de mer » ! La submersion marine (de type Xynthia) est pourtant imprévisible et indemnisée par le fonds « Barnier », contrairement au recul du trait de côte (érosion). Les communes soumises à la submersion ont déjà rédigé des cartographies dans le cadre des plans de prévention des risques littoraux.
Qui financera les délocalisations, les préemptions… ?
A l’inverse, nombre de communes sont restées prudentes et attendent d’avoir plus d’informations pour s’engager. « En entrant dans la liste, nous devons réaliser des cartographies intégrant une évolution du trait de côte à zéro - trente ans et à trente - cent ans pour délimiter des zones à risque entraînant des restrictions d’urbanisme. Mais il n’y a aucun financement de l’Etat pour assurer les délocalisations, les préemptions de biens exposés, les déconstructions et les reconstructions. On nous demande de signer un chèque en blanc, d’endosser les responsabilités de gestion du trait de côte et d’assumer seuls la charge financière », estime Yannick Moreau, maire (DVD) des Sables-d’Olonne (45 000 hab., Vendée) et président délégué de l’Anel.
Selon lui, la solidarité nationale doit s’exprimer. Or, pour l’instant, ni la loi « climat et résilience », ni l’ordonnance d’application du 6 avril 2022 ne prévoient de financement. Les nombreuses propositions de loi sur ce sujet ont toutes échoué. La dernière, déposée par Sophie Panonacle, députée (LREM) de la Gironde et présidente du bureau du Conseil national de la mer et des littoraux, date de février.
Contentieux à venir
L’Anel demande aussi à l’Etat davantage de sécurité juridique car, selon Yannick Moreau, l’ordonnance du 6 avril est très imprécise et expose les collectivités littorales à « un gisement phénoménal de contentieux ». D’autant qu’elle « a été prise sans même consulter le Conseil national de la mer et des littoraux, qui rassemble tous les acteurs du littoral », déplore-t-il.
« Il est impossible aujourd’hui de prévoir avec précision le trait de côte à cent ans. Le Giec prévoit plusieurs scénarios. Lequel allons-nous retenir ? Or, ces cartographies entraînent des conséquences patrimoniales considérables, notamment sur la décote des biens immobiliers. Le risque que les propriétaires visés contestent la cartographie est immense, craint Yannick Moreau. » Pour clarifier cette ordonnance, qui place les maires en première ligne, l’Anel et l’AMF ont décidé le 19 mai de saisir le Conseil d’Etat.
Des critères mouvants
Incertitude Sur la base des études du Cerema, une première liste de 235 communes soumises à l’érosion a été établie par l’Etat à l’automne 2021. Pour vérifier la cohérence de cette liste sur le terrain, les services de l’Etat en région ont été sollicités. « Et là, ça n’allait pas du tout ! Pour les Dreal et les DDTM, des communes impactées n’étaient pas dans la liste, et inversement », explique Anne-Sophie Leclere, déléguée générale de l’Anel. Sur des critères locaux, 100 communes ont été ajoutées et 50 enlevées, pour aboutir à une seconde liste de 298 communes, le 19 novembre 2021.
C’est sur cette base que les communes ont été consultées. Mais certains préfets ont choisi d’informer l’ensemble des communes littorales. Elles ont ensuite été pressées de délibérer avant le 24 janvier, échéance repoussée au 14 février… avant qu’un courrier du Premier ministre du 8 mars n’indique qu’il n’y avait pas de date butoir et que les communes pouvaient entrer dans la liste au fil de l’eau.
Certaines ont cependant délibéré dans l’urgence, alors qu’elles ne disposaient d’aucune information pour justifier leur inscription sur cette fameuse liste. « Il n’y avait aucune note, aucun élément à présenter au conseil municipal. Elles n’avaient aucune information non plus sur les nouveaux outils, qui ont fait l’objet d’une ordonnance seulement le 6 avril », précise Anne-Sophie Leclere. Dans cette incertitude, 121 communes ont délibéré favorablement.
Cette liste est parue dans un projet de décret début avril. L’Anel a demandé à l’Etat d’en faire une relecture dans le cadre du contrôle de légalité, car plusieurs collectivités avaient délibéré favorablement, mais « avec des réserves ». Les corrections effectuées en avril ont été énormes : 27 communes ajoutées et 22 gommées. Au final, sur les 126 communes validées par le décret, 79 seulement figuraient dans la liste initiale et 47 n’étaient dans aucune liste !