VU dans CHALLENGES un article sur NUPES qui mérite qu’on s’y attarde avant les législatives.

AFP/ARCHIVES – OLIVIER CHASSIGNOLE

La France dirigée par l’une des gauches les plus radicales d’Europe, derrière un leader éruptif aux accents populistes et au logiciel europhobe, dont le programme économique plongerait immanquablement le pays dans une spirale récessive: c’est le scénario qui s’imposerait au lendemain du second tour des législatives, dimanche 19 juin, si Jean-Luc Mélenchon réussissait son pari et se faisait « élire » à Matignon après avoir remporté la majorité des sièges à l’Assemblée nationale. A 70 ans, le tribun Insoumis, déjà trois fois défait à la présidentielle (2012, 2017, 2022), s’essaie à un ultime –et improbable– coup de poker: renverser le résultat de l’élection présidentielle pour imposer une cohabitation à Emmanuel Macron. Avec habileté, il a pris de court ses adversaires en appelant les Français à « l’élire Premier ministre » sans attendre le résultat du second tour. Un coup tactique qui lui a permis de continuer d’occuper l’espace médiatique tout en gardant intact le souffle qui l’avait porté à 22% des voix lors du premier tour.

Principale attraction de la campagne

Dans le même temps, il réussissait l’impossible en réalisant l’union de la gauche derrière lui, avec la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale), un ovni politique qui rassemble communistes, socialistes, écologistes et insoumis autour d’un programme commun et d’un contrat de gouvernement qui verrait, vingt ans après Lionel Jospin, le retour d’une « gauche plurielle » à Matignon. D’abord moqué pour sa volonté d’enjamber le second tour du scrutin présidentiel, puis sous-estimé par la majorité, qui s’est longtemps contentée de voir en lui un personnage hâbleur et bravache, l’insatiable député de Marseille a éteint les sourires de la Macronie. Dans une campagne atone, où les troupes présidentielles se sont laissées engourdir par la perspective d’une victoire facile, il a réveillé les ambitions d’une gauche frustrée par le résultat de la présidentielle. Dans son style, avec ses formules chocs et ses coups d’éclat, il est devenu la principale attraction de la campagne, avec un slogan simple mais efficace: « Mélenchon à Matignon ».

Et désormais, il menace directement les ambitions macronistes à l’Assemblée nationale. Pour la première fois, notre enquête Harris Interactive (voir ci-dessous) émet l’hypothèse qu’Emmanuel Macron ne dispose pas d’une majorité claire au soir du 19 juin, avec une assiette de députés comprise entre 285 et 335 sièges (la majorité absolue étant fixée à 289 députés). Avec 120 à 184 députés, Jean-Luc Mélenchon est encore loin de Matignon, mais il pourrait imposer au président de la République une majorité relative au Palais-Bourbon. Du jamais-vu depuis Michel Rocard en 1988… Le chef de l’Etat serait alors contraint de négocier avec LR pour gouverner.

Peut-il espérer mieux et forcer le chef de l’Etat à une cohabitation? Dans son rêve de conquête, Jean-Luc Mélenchon peut compter sur une arme redoutable: la Nupes. En maximisant les chances de qualification au second tour, l’alliance de la gauche a fait ses preuves lors des élections des députés français de l’étranger dimanche 5 juin, en se qualifiant pour le second tour dans 10 circonscriptions sur 11. L’engouement s’est rapidement propagé chez les jeunes, qui sont près de 50% à vouloir voter pour l’union de la gauche et dans les médias audiovisuels, où la Nupes truste les temps d’antenne. « Jean-Luc Mélenchon est en train de réaliser le hold-up du siècle », grince un cadre macroniste, quand l’intéressé lui-même ne peut s’empêcher de le reconnaître: « Ça commence à sentir bon ».

Radicalité repoussoir

Bien sûr, il reste un verrou électoral: dans une élection qui mobilise faiblement, le différentiel de participation est à l’avantage des macronistes, dont le public cible –les retraités, les classes aisées…– se rendra plus facilement aux urnes. De même, l’effet de l’alliance pourrait s’essouffler entre les deux tours des législatives, les candidats de gauche ayant fait le plein au premier tour, ils ne pourront bénéficier que de faibles réserves de voix au second tour. « Il n’est pas impossible que dans certaines circonscriptions, ils fassent 30% au premier tour et 30% au second tour », glisse un ancien cadre du Parti socialiste, spécialiste de la carte électorale.

Surtout, en empruntant les chemins de la radicalité, Jean-Luc Mélenchon s’est coupé d’une large partie du pays. « Il continue de constituer un repoussoir pour bon nombre de Français », indique Stewart Chau, analyste politique à ViaVoice. Même si ses traits d’images se sont améliorés avec la présidentielle, l’ancien sénateur socialiste demeure une personnalité hautement clivante. De 2010 et son altercation avec un étudiant journaliste à la « petite cervelle » à la perquisition de 2018 et son fameux « la République, c’est moi » ou ses propos sur un éventuel attentat dans la dernière semaine de la présidentielle, le député LFI a dévoilé une nature colérique, soupe au lait, voire paranoïaque. A l’image de sa formation politique, un mouvement gazeux et vertical, sans démocratie interne, où le culte du chef atteint son paroxysme.

L’alliance avec les autres forces de gauche devait lui permettre de gommer cette image en le recentrant. Mais celle-ci s’est faite autour des orientations mélenchonistes dans la plus pure radicalité insoumise. Le volet économique, qui prévoit 250 milliards de dépenses nouvelles est insoutenable et plongerait la France dans une récession certaine. « Aucune gauche de gouvernement ne pourra jamais se remettre d’avoir participé à une telle expérience, si jamais elle devait voir le jour », écrit l’ancien conseiller économique de François Mitterrand, Guillaume Hannezo, dans un rapport pour Terra Nova. De même, après d’âpres négociations, les formations participant à la Nupes ont accepté le principe d’une dérogation, au moins temporaire, aux traités européens, pour pouvoir appliquer leur programme, en pleine contradiction avec la fibre européenne des écologistes ou de l’héritage mitterrandien du PS. Autant d’orientations qui détournent la gauche de sa culture de gouvernement.

Union de façade

L’attelage est si fragile que beaucoup lui prédisent une espérance de vie limitée. Certains font même le pari que sitôt l’élection passée, les partis reprendront leurs droits. Tel l’ancien premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, qui prévoit l’explosion de cette unité de façade « en 2024 », avec les élections européennes. « Ce sera intenable », prédit-il. Que restera-t-il alors de la Nupes? Une centaine de députés insoumis, qui devraient constituer le groupe d’opposition le plus important au sein de la nouvelle Assemblée. Élément non négligeable, tant ces derniers ont démontré au cours de la dernière législature, leur faculté pour l’agitprop. Mais surtout, parce qu’elle leur ouvrira la présidence de la commission des Finances, traditionnellement réservée au principal groupe d’opposition. Quant à Jean-Luc Mélenchon, la satisfaction d’être enfin parvenu à imposer sa ligne politique. L’ancien « mino » du PS, que François Hollande ne manquait jamais d’humilier en bureau national, a enfin remporté son congrès.

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