les députés à l’école du climat
PLANÈTE
Pour parer à l’urgence, mieux vaut connaître les gestes de premiers secours. En ce début de semaine, c’est dans cet état d’esprit qu’une quarantaine de scientifiques de renom ont proposé leurs services aux députés fraîchement élus à l’Assemblée nationale. Une formation express aux enjeux du climat et de la biodiversité. Une « formation premiers secours » à laquelle 154 députés ont tendu l’oreille.
Ils sont climatologues, océanographes, hydrologues, écologues, géographes. Et eux aussi espéraient obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Pas vraiment pour eux. Mais pour la planète. Pour le climat et la biodiversité. Ils s’en étaient donné les moyens. Prenant sur leur temps. Pendant trois jours, 40 scientifiques de renom allaient se relayer aux abords du Palais-Bourbon pour rencontrer nos députés fraîchement élus. Ce mercredi 22 juin, à l’issue de cette opération inédite en France – une opération initiée par Christophe Cassou, climatologue, et Matthieu Orphelin, ex-député écologiste -, dans le monde même, ils avaient finalement touché un peu plus d’un quart de l’hémicycle. Cent cinquante-quatre députés pour une « majorité »… toute relative.
Benoît Halgand était l’un des bénévoles de « Pour un réveil écologique » – une association de jeunes professionnels et d’étudiants de grandes écoles – présent sur place pour assurer la logistique. Et jouer les rabatteurs. « Pas mal de députés nous ont assuré qu’ils étaient intéressés, curieux d’en savoir plus sur ces thèmes. Mais que le timing n’était pas le meilleur. » Ceux qui, semble-t-il, n’ont pas encore pris la mesure de l’urgence. Et auxquels la sensibilisation proposée par les scientifiques, pourtant, aurait sans doute justement pu être très bénéfique.
L’organisation a également vu passer son lot de sceptiques. De ceux qui voient encore dans « le changement climatique une opinion avec laquelle il faut savoir prendre de la distance ». De ceux qui jugent qu’un chercheur auteur du Groupe d’experts intergouvernemental pour l’évolution du climat(Giec) n’a rien à leur apprendre. Ou encore de ceux qui estiment que la France « en fait déjà suffisamment ». « Des cas très isolés », nous assurent les bénévoles réunis sous la bannière de « Mandat Climat Biodiversité ». Alors, laissons-les à leurs croyances.
La science a des solutions à proposer
L’important, c’est plutôt que « la grande majorité des députés que nous avons vus se sont mis dans une posture d’apprentissage. Ils ont exprimé leur envie de poursuivre les échanges ». Certains sont même revenus plusieurs fois. D’autres sont restés plus de deux heures – au lieu des 20 minutes de « minimum syndical ». La preuve, peut-être, du déficit de connaissances en matière de climat et de biodiversité au sein de la population des députés. Peut-être aussi au sein de la population plus globalement. « Les connaissances des défis qui se lèvent devant nous sont généralement approximatives », confirment les chercheurs à l’issue des trois jours d’action.
« Nous avons eu beaucoup de demandes, sur Twitter, de la part de chefs d’entreprise, d’employés de l’administration ou de journalistes, qui souhaitent eux aussi bénéficier de ce genre de sensibilisation. » Un premier pas semble donc bien avoir été fait en ce début de semaine.
« Nous sommes persuadés que le sujet du climat et celui de la biodiversitédoivent être en haut de l’affiche tout au long de cette mandature », nous confie Benoît Halgand. Si ces sujets devaient continuer à être ignorés, en effet, les conséquences, nous préviennent les chercheurs, pourraient être dramatiques. « En France aussi, la biodiversité s’effondre. Et notre pays n’est pas tout à fait en phase avec ses objectifs climatiques. La dernière canicule, elle, a encore montré qu’il y a aussi d’importants enjeux du côté de l’adaptation. »
Les événements météorologiques, les vagues de chaleur, les sécheresses, les orages. Il en a d’ailleurs beaucoup été question aux abords du Palais-Bourbon. « Les députés sont venus avec dans leurs poches, les problématiques de leur circonscription. Des effets du changement climatique qu’ils commencent à observer sur le terrain. » L’objectif, c’était aussi celui-là. Montrer aux élus que les scientifiques ont des solutions à proposer. Qu’ils peuvent les aider dans la mise en œuvre de leurs politiques en leur livrant des pistes d’actions très concrètes.
Poursuivre les échanges
Même si l’objectif de la majorité absolue n’a pas été atteint, « nous n’avons clairement pas perdu notre temps », estime l’organisation. La plupart des députés passés entre les mains des scientifiques ont reconnu avoir « beaucoup appris ». « La sensibilisation, c’est l’un des préalables à l’action. Avant de pouvoir prendre les bonnes décisions, il faut avoir pleinement conscience des enjeux. Et il était important d’intervenir dès le début de cette nouvelle mandature. Avant que les députés soient rattrapés par tout un tas de sujets politiques. Avant même qu’ils choisissent leurs groupes. Avec l’espoir que la lutte contre le changement climatique et pour le maintien de la biodiversité fasse partie de leurs priorités. »
Et pour y arriver, pas de discours magistraux. Mais des échanges presque intimes. « Avec dans l’idée que chacun retienne quelques faits », explique Christophe Cassou. Et reparte comme Anne Genetet (Ensemble!) avec « des choses qui permettent d’argumenter face à ceux qui veulent les challenger ».
Grâce à l’action Mandat Climat Biodiversité, députés et scientifiques semblent donc s’être enfin rencontrés. Ils ont commencé à se parler. « De premières graines sont semées. » Et l’espoir est désormais de réussir à maintenir le lien. Les chercheurs l’ont promis. Ils répondront présents à chaque fois que les élus auront besoin d’un éclairage. « Les scientifiques ne sont pas seulement là pour faire avancer la recherche. Ils sont aussi là pour partager leurs connaissances, pour transmettre. Aujourd’hui, il est important qu’ils puissent éclairer la politique. En ce début de semaine, beaucoup de députés étaient enthousiastes à l’idée de cette nouvelle collaboration. L’avenir nous dira à quel point c’était sincère… »