11% seulement de déforestation en Guyane, et ce sont des centaines d’espèces qui disparaissent…. (CNRS)
23 juin 2022RÉSULTATS SCIENTIFIQUES ÉCOLOGIE ÉVOLUTIVE & BIODIVERSITÉ
Le plateau des Guyanes, incluant le Nord du Brésil, la Guyane et le Surinam, constitue l’une des zones équatoriales les moins impactées par les activités humaines. En Guyane par exemple, plus de 90 % du territoire est couvert de forêt primaire. Pourtant, l’accroissement démographique et le développement de l’activité minière, tant légale qu’illégale, tendent à augmenter les perturbations anthropiques, et génèrent une disparition locale de la forêt primaire au profit de zones minières, agricoles ou urbanisées. Une étude publiée dans la revue Nature Communications le 7 juin 2022, montre qu’un faible taux de déforestation cause un déclin drastique de la biodiversité. En effet, la perte de moins de 11 % de la surface forestière est liée à un déclin de plus du quart des espèces de poissons et mammifères. Ce déclin de biodiversité affecte en particulier les espèces considérées comme en danger par l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN), ainsi que celles ayant des fonctions particulières, telles que les poissons herbivores ou les grands mammifères prédateurs. Ces modifications pourraient altérer le rôle que jouent ces organismes dans le fonctionnement des écosystèmes, ainsi que les services qu’ils procurent aux sociétés humaines. Les résultats de cette étude alertent donc sur l’impact important de faibles taux de déforestation sur les écosystèmes encore peu anthropisés.
Le dernier rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a estimé qu’environ un million d’espèces sont menacées d’extinction, confirmant que nous sommes au milieu d’un sixième processus d’extinction de masse. Malgré ce constat inquiétant, la relation entre les perturbations anthropiques et les déclins de biodiversité locale reste en partie non élucidée, probablement parce que la plupart des études considèrent que les perturbations et les changements de biodiversité qui en résultent s’opèrent à la même échelle spatiale. Cependant, la biodiversité locale peut souffrir d’impacts environnementaux à distance. C’est en particulier le cas dans les rivières, où l’eau transporte les matériaux et polluants des sources vers l’océan. Cette connectivité au sein des écosystèmes rend cruciale la détermination de la distance à laquelle les perturbations affectent la biodiversité locale.
Des scientifiques du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (UPS/CNRS/IRD) ont mesuré dans le cadre d’un projet de recherche intitulé Vigilife ‘Sentinel Rivers »1 l’intensité et l’étendue spatiale des perturbations sur la biodiversité amazonienne. Ils ont analysé les relations entre la biodiversité locale et les perturbations agissant entre le voisinage immédiat des sites d’inventaire de faune, et 90 km en amont de ces sites. Cette méthode a été appliquée aux poissons d’eau douce et aux mammifères (aussi bien terrestres qu’aquatiques) inventoriés dans 74 sites dispersés sur le Maroni et l’Oyapock, les fleuves frontières entre Guyane, Brésil et Surinam. Les résultats de cette étude montrent que la déforestation cumulée sur une distance de 30 km en amont des inventaires de faune était le meilleur prédicteur du déclin de la biodiversité. En d’autres termes, une déforestation légère et éparse – moins de 11 % de surface déboisée entre le site d’échantillonnage faunistique et 30 km en amont de ce site – génère un déclin important de la biodiversité chez les poissons (-25 % des espèces) et les mammifères (-41 % des espèces). Ce déclin n’est pas aléatoire car il affecte préférentiellement les poissons détritivores et herbivores, ainsi que les grands mammifères prédateurs tels que les loutres géantes d’Amazonie ou les jaguars, qui sont également des espèces reconnues comme menacées par l’UICN.
Cet impact drastique d’un faible taux de déforestation sur les animaux tant aquatiques que terrestres est associé à la déforestation engendrée par l’exploitation d’or. En effet, cette activité est connue pour altérer la qualité des cours d’eau en déversant massivement des particules fines et des polluants dans l’eau. Les scientifiques montrent ici que l’impact de ces altérations environnementales va bien au-delà des environs des sites dégradés par l’activité minière. De plus, ces altérations affectent tout autant la biodiversité aquatique que terrestre, soulignant les liens étroits entre écosystèmes.
Plus généralement, les résultats de cette étude soulignent la vulnérabilité de la biodiversité amazonienne aux faibles niveaux de perturbations, et appellent plus généralement à une réévaluation des impacts humains sur la biodiversité à la lumière de leurs effets spatialement étendus.