Des centrales vertes françaises
Par André THOMASAlimenter une ville avec une centrale électrique non polluante uniquement par l’énergie du soleil c’est possible. Dix ans après son lancement, la société bordelaise HDF, qui mise sur l’hydrogène « vert », se prépare à une moisson de contrats de par le monde.
HDF Energy (pour Hydrogène de France), c’est une PME bordelaise cotée en Bourse depuis peu, qui embauche à tour de bras et est en train de moissonner les contrats, notamment en Afrique, autour d’un sacré pari : les centrales électriques couplant panneaux photovoltaïques, pour produire l’électricité, éventuellement des éoliennes, et l’hydrogène, pour stocker l’énergie et continuer d’alimenter le réseau lorsque le soleil ne produit pas.
Un système complexe, mais qui n’émet pas du tout de dioxyde de carbone (CO2). Il suffit de disposer de soleil ou de vent, d’eau et de beaucoup de technologie : panneaux solaires et/ou éoliennes, électrolyseurs, réservoirs d’hydrogène, piles à combustible et quelques batteries lithium-ion.
L’avantage de l’hydrogène sur les batteries
Un peu de technique… Le problème de l’énergie solaire, c’est son intermittence. Lorsque le soleil se couche, les panneaux ne produisent plus. Même dans une région ensoleillée, la production ne dure que dix à douze heures par jour. Impossible, donc, de miser sur les seuls panneaux solaires pour approvisionner une ville plutôt qu’à l’aide d’une de ces centrales à charbon ou au fioul dont il faut désormais impérativement se débarrasser.
Certains énergéticiens misent sur le couplage des panneaux solaires et de l’éolien, qui produit aussi la nuit, mais il reste de toute façon une inconstance de production qui impose de passer par le stockage de l’électricité.
« Lorsque l’on n’a pas besoin de stocker l’électricité plus d’une heure ou deux, les batteries lithium-ion sont satisfaisantes, estime Damien Havard, même si elles posent le problème des matériaux nécessaires à leur production, puis celui de leur recyclage. » Mais lorsqu’il faut stocker et restituer de l’énergie durant 12 à 14 heures, « c’est l’hydrogène qui s’impose », assure-t-il.
Comment ? En utilisant l’électricité des panneaux solaires pour extraire l’hydrogène de l’eau à l’aide d’électrolyseurs, qui « cassent », les molécules d’eau (composées de deux atomes d’hydrogène pour une molécule d’oxygène). La consommation d’eau, douce ou de mer, n’est « pas un problème », indique Damien Havard, et pour alimenter une ville, « correspond à celle de quelques maisons ».
L’hydrogène ainsi produit se stocke indéfiniment sous pression dans des réservoirs en métal (ou en composite si l’on dispose de peu de place et qu’on doit comprimer davantage l’hydrogène), « bien moins coûteux que les batteries ».
Une production 24 heures sur 24 grâce aux piles à combustible
L’hydrogène est ensuite injecté dans des piles à combustible (Pac), qui transforment, elles, le gaz en électricité. L’ensemble de ce processus fait perdre les deux tiers de l’énergie initiale, « c’est le même taux que dans un moteur de voiture, précise Damien Havard, qui rappelle que l’énergie de départ est abondante, c’est celle du soleil ».
Si HDF achète ses électrolyseurs auprès d’autres industriels (dont le Français McPhy), l’entreprise a décidé de fabriquer elle-même ses piles à combustibles, « qui seront les premières au monde de cette puissance ». Le dispositif est complété par quelques batteries lithium-ion, qui apportent de la réactivité au dispositif.
La pile à combustible est une technologie ancienne. On en trouve de longue date sur les voiliers, les camping-cars. La marine allemande en a équipé ses sous-marins depuis 1998. Des bus à Pac circulent déjà dans certaines villes d’Europe depuis le début des années 2000 et le mouvement est lancé en France. Alstom a fait entrer en service le premier train à pile à hydrogène au monde en 2018 en Allemagne et plusieurs sont en commande en France. Du côté de l’automobile, où le coût de la technologie est encore difficile à adapter à un produit grand public, Mercedes et Honda ont déjà commercialisé des modèles arrêtés depuis, mais Toyota et Nissan tiennent bon.
Un partenaire canadien, Ballard
Le besoin d’HDF diffère par la puissance des Pac nécessaires pour alimenter non des véhicules, mais des villes entières. Les Pac que produira HDF seront des unités logées dans des conteneurs de 40 pieds (l’équivalent d’une longue remorque de camion) d’une puissance de 1,5 mégawatt. Assez pour alimenter 5 000 à 10 000 habitants, selon le niveau de consommation. HDF multiplie ensuite le nombre de Pac selon le besoin du client.
« Nous avons fait le choix de nous associer à la société canadienne Ballard, qui possède 30 ans d’expérience et propose des solutions reconnues comme fiables par les investisseurs », précise Damien Havard.
HDF investit donc 20 millions d’euros, complétés par des aides de l’Union européenne, de la France et des collectivités, dans une usine dont la construction doit commencer sur le site de l’ancienne usine Ford de Blanquefort, pour une entrée en service dans un an.
Une étape clé pour une entreprise, créée il y a 10 ans déjà, mais dont le développement a connu un grand coup d’accélérateur avec son entrée en bourse en juin 2021. HDF a ainsi pu lever 115 millions d’euros et compléter les apports des autres actionnaires, le spécialiste du stockage d’hydrocarbures Rubis Terminal et Teréga, qui gère le réseau de gaz naturel du sud-ouest de la France ainsi que son stockage dans le sous-sol. Avec ce dernier, HDF travaille précisément sur le stockage géologique de l’hydrogène.
Première centrale en Guyane
C’est dans l’ouest de la Guyane que, dans deux ans, la première centrale électrique de HDF, d’un modèle baptisé Renewstable, en cours de construction, commencera à produire des électrons et se substituera à des centrales au fuel. Comme pour chaque projet, l’entreprise y est associée à des investisseurs spécifiques. En l’occurrence le fonds Meridiam et la Sara, une filiale de Rubis.
Mais toute une série de contrats se profile : HDF vient d’obtenir un premier feu vert en Namibie, pour les 142 000 habitants de la ville de Swakopmund, jusqu’à présent alimentée par l’Afrique du Sud. Plusieurs projets sont en cours dans plusieurs autres pays d’Afrique, à la Barbade, à Trinité-et-Tobago. À chaque fois, HDF propose non seulement la construction, mais l’exploitation et l’assistance technique.
Le coût de production de l’électricité varie de 100 à 300 € du mégawattheure. C’est plus que celui du nucléaire (une soixantaine d’euros) et plus proche de l’éolien en mer (autour des 200 €), mais c’est le prix d’une énergie verte et non intermittente.
Pour mener à bien tous ses projets, HDF, qui a réalisé 10 millions de chiffre d’affaires en 2021 et compte 80 salariés, cherche actuellement à en recruter une trentaine. « Nous cherchons des gens ayant une expérience dans les renouvelables, explique Damien Havard, parlant anglais, avec des profils de commerciaux ou d’ingénieurs, à la fois pour le siège à Bordeaux et pour l’international. »
160 milliards de dollars de projets mondiaux dans l’hydrogène
L’essor de HDF est révélateur d’un emballement, partout dans le monde, des projets de production d’hydrogène, consommé à la fois comme matière première chimique par l’industrie, ou bien pour la mobilité ou comme combustible. L’Agence internationale de l’énergie a recensé des projets devant mobiliser 160 milliards de dollars d’investissement et représentant une production globale de 62 millions de tonnes, mais ceux qui sont réellement en construction ne représentent que 4 % du total. Et la plus grosse part, concentrée en Europe, est destinée à de l’hydrogène « bleu », c’est-à-dire produit à partir d’énergie fossile, avec captage et séquestration du CO2 (dans le sous-sol) pour qu’il ne soit pas émis dans l’atmosphère.
La production d’hydrogène « vert », sans aucune émission de CO2, comme chez HDF, resterait minoritaire. La France dispose elle-même de plusieurs projets dans l’Ouest, notamment en Normandie et en mer ainsi qu’à Lyon.
Des projets « verts » à base solaire énormes sont cependant lancés en Chine (dans un désert de Mongolie intérieure), au Chili, en Inde, en Namibie, au Maroc, en Mauritanie, en Australie, au Kazakhstan. Nombre d’observateurs s’inquiètent cependant que la production des électrolyseurs, au cœur des coûts de production de l’hydrogène, soit concentrée en Chine, à un prix imbattable, comme c’est déjà le cas des panneaux solaires ou des batteries lithium-ion.
Autre point sensible, cet hydrogène produit là où il y a du soleil et de très grands espaces disponibles, sera le plus souvent destiné à être exporté, par navire. Il faudra alors l’amener à une forme liquide, par exemple en le transformant en ammoniac, qui devra à son tour être retransformé, à l’arrivée, en hydrogène, lui-même destiné à produire de l’électricité. La transition énergétique ne sera toujours pas simple…