A Saint Malo la montée des eaux a déjà des effets .(reportage Ouest France)
Les pieds mouillés, les pieds dans l’eau, en ce mardi de septembre 2022, où les averses s’enchaînent sur Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Rendez-vous est donné à deux membres du collectif Les Vagues, aux abords du bassin Duguay-Trouin, au cœur d’une zone redevenue inconstructible dans le dernier plan de prévention des risques de submersion marine de la ville. Marie Dautzenberg, à l’initiative de ce « collectif citoyen ouvert », et Emmanuelle Sultan, par ailleurs ingénieure de recherche au Museum national d’histoire naturelle, cheminent vers la digue du Sillon, véritable poursuite du chemin de ronde de l’intra-muros malouin.
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Un collectif pour « se réapproprier un pouvoir d’agir »
« La digue semble immuable, mais on a vu avec Xynthia que ce qui semblait immuable ne l’était pas », lâche d’entrée Marie Dautzenberg. « Avec Les Vagues, l’idée, c’est de partir des questions que se posent les habitants du territoire et de mettre en commun les connaissances et savoirs de chacun. Avec l’idée que chacun est légitime pour comprendre ce qui se passe et éventuellement agir », explique avec assurance la quadragénaire, parisienne dans une autre vie et, par ailleurs, fondatrice de l’École de l’exploration, proposant ateliers collaboratifs ou encore tables rondes aux Malouins souhaitant se former sur les enjeux du monde marin.
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De sensibilité écologiste, Emmanuelle Sultan a, elle, vu dans Les Vagues « un espace-temps pour pouvoir penser, dire, partager de façon sensible tout ce que charrie la notion de changement climatique ». Et surtout « se réapproprier un pouvoir d’agir et ne pas être dans une panique paralysante face à la situation climatique », veut croire la scientifique, actuellement en poste à la station marine de Dinard (Ille-et-Vilaine). Les deux femmes ne s’estiment pas en opposition avec les élus malouins, mais fustigent volontiers l’inertie de la puissance publique, « à Saint-Malo et ailleurs ».
Une taxe dédiée
À l’autre bout de la digue, David Poncet, responsable de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) à la direction générale déléguée à la transition écologique, Monsieur submersion marine de Saint-Malo Agglomération (SMA), subit l’eau aujourd’hui. Chemisette bleue trempée, il s’attable au restaurant de l’hôtel Les Ambassadeurs.
Face à lui, Jean-Francis Richeux, maire de Saint-Père-Marc-en-Poulet (Ille-et-Vilaine) et vice- président de SMA chargé des volets environnementaux et maritimes. L’agglomération prélève notamment depuis cinq ans une taxe Gemapi, de quelques dizaines d’euros par an, un impôt payé uniquement par les propriétaires locaux. « Avec le temps, on va devoir trouver de nouvelles ressources », admet l’élu.
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De nouveau une île ?
La collectivité, chargée de l’entretien des ouvrages de défense côtiers de la ville et actuellement en phase d’études avec le Service hydrographique et océanographique de la Marine, devra peut-être prochainement réfléchir à « une surélévation des parapets de la digue avec un rang de granit en plus », prévient David Poncet. « Il faudra que ce soit en concertation avec la ville et les Malouins, car ce ne sera pas évident de faire accepter de modifier la vue sur mer. Mais il ne nous reste pas forcément très longtemps… Avec quatre millimètres d’augmentation du niveau de la mer par an, ça va vite. »Les épisodes de fortes chaleurs vous inquiètent-ils ?Débattez !
La collectivité « répond à l’enjeu d’aujourd’hui, tout en préparant l’avenir », ajoute Jean-Francis Richeux. « La submersion marine est un dossier qui nécessitera, demain, de revoir l’aménagement du territoire. » Et de revenir vers un Saint-Malo proche de sa forme du 19e siècle, avant la construction de la muraille du Sillon, avec un marais salant au niveau du quartier de Rocabey ? Si l’amateur d’histoire se plaît à rappeler que Saint-Malo n’a pas toujours eu sa configuration actuelle, il concède que « les Malouins ont oublié cela ».
26 000 personnes concernées dans l’agglomération
Même constat à l’autre bout du Sillon pour Marie Dautzenberg : « Avec Les Vagues, on veut repartager ce qu’était Saint-Malo avant, à savoir une île, et essayer de se représenter un autre monde dans vingt, trente, cinquante ans. Le simple fait d’imaginer possible que Saint-Malo soit réentourée d’eau bouscule la représentation sociale dans le temps long, et rendra le futur abandon du littoral actuel plus acceptable par la population. »
Car, avec 10 000 Malouins directement concernés par une élévation du niveau de la mer, 26 000 personnes à l’échelle de l’agglomération, et un hôpital en zone inondable, l’enjeu de submersion marine dans la cité corsaire est bien le plus conséquent de Bretagne.
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De retour aux Ambassadeurs et sa demeure de quatre étages posée sur la digue, où le café est toujours à 3 € et la « plus belle vue de Saint-Malo » est proposée, l’argument commercial phare, David Poncet concède que l’heure n’est pas encore venue pour de grands bouleversements sur la Côte d’Émeraude. Les grandes marées attirent encore bien plus qu’elles ne repoussent : « Le fait que nous n’ayons pas encore connu de drame humain fait que ça reste pittoresque, rigolo, pour l’instant. C’est très instagrammable ! Mais viendra un moment, où ce ne le sera plus du tout… »