Guerre (conflits) et réchauffement

François Gemenne a évoqué ce sujet lors de la sortie l’an dernier du dernier rapport du GIEC. Le travail est actuellement mené par l’observatoire climat au ministère des armées, et ce sont surtout des chercheu(ses)rs de l’IRIS qui sont en première ligne (Gemenne, Julia Tasse….)

SECHERESSE une analyse de notre partenaire The Conversation. Une juriste rend compte d’une étude alarmante de l’université de Stanford (vu dans 20 Minutes avec The Conversation )

Le bouleversement climatique contribuerait significativement à accroître le risque de guerre
Le bouleversement climatique contribuerait significativement à accroître le risque de guerre — Pixabay / Pexels CC0
  • Les catastrophes climatiques ont un impact direct sur les économies et donc – même si on en a moins conscience – sur le risque de voir éclater des conflits armés, selon notre partenaire The Conversation.
  • Pire : le climat peut en outre avoir une influence sur la durée et la fréquence des conflits, mais aussi sur leur gravité – nombre de morts, ampleur de la violence déployée et des destructions.
  • Cette analyse a été menée par Shérazade Zaiter, juriste spécialiste en droit international, commercial et en développement durable à l’Université de Limoges.

Lira-t-on un jour sur une stèle : « Tué par le réchauffement climatique » ? Dans les œuvres d’anticipation, probablement ; mais dans la réalité ?

Sur les trente dernières années, les catastrophes climatiques n’ont cessé de s’amplifier. Ces désastres environnementaux ont, naturellement, un impact direct sur les économies de tous les pays du monde. Ils ont aussi, et on en a peut-être moins conscience, un effet direct sur le risque de voir éclater des conflits armés.

​L’influence du climat sur le risque de conflit

Le dérèglement climatique peut-il à lui seul engendrer une guerre ? La réponse ne faisait aucun doute pour le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-Moon (2007-2016). Interviewé par le Washington Post le 16 juin 2007 à propos de la crise du Darfour, il affirmait ainsi que « le conflit du Darfour a commencé par une crise écologique, générée au moins en partie par le changement climatique. […] Ce n’est pas par accident que la violence au Darfour survient pendant la sécheresse. »

Dire que cette déclaration sur la « culpabilité » du climat fut mal reçue au sein de la communauté des spécialistes des conflits est un euphémisme.

Pourtant, l’hypothèse d’après laquelle le bouleversement climatique contribue significativement à accroître le risque de guerre a été, depuis, souvent corroborée, notamment par une étude de l’Université de Stanford intitulée « Climate as a risk factor for armed conflict », publiée le 12 juin 2019.

Les auteurs estiment qu’une augmentation d’environ 2 °C de la température mondiale moyenne par rapport aux niveaux pré-industriels accroîtrait ce risque de 13 %, et de 26 % dans le cas d’un réchauffement de 4 °C.

Pour parvenir à ces chiffres, onze experts du climat et des conflits ont collaboré avec trois coordinateurs qui ont recueilli les données. Le panel de onze experts a regroupé des chercheurs parmi les plus expérimentés et les plus cités sur le sujet dans le domaine des sciences sociales (sciences politiques, économie, géographie et sciences de l’environnement). Leur sélection a été faite sur la base de leurs compétences pour résoudre les désaccords scientifiques sur la question de l’influence du climat, sur les risques de conflit à l’échelle mondiale et dans les régions sujettes aux conflits. Cela a nécessité la prise en compte d’analyses comparatives et transversales, ainsi que des recherches empiriques reproductibles. Des entretiens avec des intervenants expressément choisis ont été utilisés pour documenter le projet.

Les experts ont participé à des entretiens individuels de 6 à 8 heures et à un débat collectif de deux jours. Le rapport final est une synthèse des 950 pages produites lors de ces entretiens.

Les scientifiques constatent qu’au cours du siècle dernier, les variations climatiques ont eu une incidence directe sur les guerres. Dans la région du Sahel central, l’augmentation des températures produit davantage de sécheresses et d’inondations, dégradant environ 80 % des terres agricoles, alors que quelque 50 millions de personnes sont dépendantes de l’élevage, et nourrissant les violences intercommunautaires. Les groupes armés exploitent ces tensions car ils offrent une alternative aux jeunes ruraux privés d’un accès aux ressources.

Les experts s’accordent également sur le fait que, bien entendu, le changement climatique n’est pas seul en cause : d’autres éléments exercent une influence bien plus importante sur ce risque.

Selon leurs plus hautes estimations, 3 à 20 % des conflits au cours du siècle dernier ont été influencés par les variations ou les aléas climatiques, et le climat pèserait pour au moins 10 % des risques de conflit aujourd’hui.

Un facteur aggravant parmi d’autres

Selon ces auteurs, le climat peut avoir une influence sur la durée et la fréquence des conflits, mais aussi sur leur gravité – nombre de morts, ampleur de la violence déployée et des destructions.

L’étude souligne également que les quatre principales causes de conflits sont aujourd’hui le faible développement socio-économique, les faibles capacités de l’État, l’inégalité entre les groupes (les différences ethniques par exemple) et les antécédents récents de conflit violent. Même si dans les guerres qui ont eu lieu jusqu’à présent, le facteur climat joue un rôle moindre que ces facteurs, l’étude montre que des mesures spécifiques portant sur ces quatre aspects peuvent atténuer les liens entre climat et conflits et faire progresser le développement durable ainsi que la sécurité humaine.

Cela passe, entre autres, par la mise en place d’institutions solides à même de fournir une protection sociale, d’apaiser les tensions, d’assurer un partage équitable et une gestion durable des ressources, et de mettre en œuvre une politique de développement inclusif.

​Les recommandations du CICR

Sans surprise, les pays qui se trouvent dans des situations de conflit sont confrontés de façon disproportionnée aux effets du changement climatique. C’est notamment le cas du Niger et du Mali, comme le montre un rapport publié en juillet 2020 par le Comité international de la Croix-Rouge intitulé « Quand la pluie devient poussière – Comprendre et atténuer les effets conjugués des conflits armés et de la crise climatique et environnementale sur la vie quotidienne des personnes touchées ».

Comment atténuer cet impact ? Le CICR propose des solutions : renforcer les institutions, les services essentiels, les infrastructures et les systèmes de gouvernance indispensables pour aider à la résilience des personnes face à la crise climatique et environnementale, notamment en finançant des équipements pour gérer durablement les ressources en eau ou rénover les réseaux d’électricité. Un site Internet mis au point par l’institut Igarapé et earthtime.org montre de manière saisissante que tous les indicateurs climatiques sont au rouge et que la violence augmente dans différentes zones du Sahel. Le projet, destiné à visualiser comment ces phénomènes combinés se développent et les solutions possibles, a été réalisé en collaboration avec le CICR.

Les services de renseignement américains du Pentagone parviennent à la même conclusion : la raréfaction de l’eau et les mouvements migratoires qu’elle suscite aggravent les risques de guerres. Dans un rapport publié en octobre 2021, ils prévoient que les pays les moins avancés seront les moins capables de s’adapter. Les onze pays à haut risque sont l’Afghanistan, le Myanmar, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, le GuatemalaHaïti, le Honduras, le Nicaragua, la Colombie et l’Irak. Ils suggèrent de les aider à s’adapter à la hausse des températures et des eaux.

On l’aura compris : combattre le changement climatique, c’est aussi lutter pour préserver la paix entre les peuples…

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Cette analyse a été rédigée par Shérazade Zaiter, juriste spécialiste en droit international, commercial et en développement durable à l’Université de Limoges.

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