vu dans Le MOnde: La COP27 accueille un nombre record de lobbyistes des énergies fossiles
Selon des ONG, 636 personnes défendent le charbon, le pétrole et le gaz à la conférence des Nations unies sur le climat, soit une hausse de 25 % par rapport à la COP26. C’est davantage que n’importe quelle délégation nationale, à l’exception de celle des Emirats arabes unis. Par Audrey Garric
Les lobbyistes des énergies fossiles sont présents en force à la conférence des Nations unies sur le climat (COP27), à Charm El-Cheikh, en Egypte. Selon les calculs de trois ONG publiés jeudi 10 novembre, 636 personnes y défendent les intérêts d’entreprises intervenant dans le charbon, le pétrole et le gaz. Cela représente une augmentation de plus de 25 % par rapport à la COP26, qui s’est tenue à Glasgow (Ecosse) en 2021.
Une hérésie, pour les associations, alors que cette grand-messe doit accélérer la lutte contre le dérèglement climatique, dont les énergies fossiles sont la principale cause. « Des lobbyistes du tabac ne viendraient pas à une convention sur la santé et les marchands d’armes ne peuvent pas promouvoir leurs produits à une conférence pour la paix », comparent-elles.
Les associations Global Witness, Corporate Accountability et Corporate Europe Observatory ont épluché la liste des 33 000 participants à la conférence qui rassemble des délégués, des entreprises, des chercheurs ou des ONG du monde entier. Elles montrent que les lobbyistes des énergies fossiles sont plus nombreux que n’importe quelle délégation nationale – à l’exception de celle des Emirats arabes unis, qui présideront la COP28 en 2023 et ont envoyé 1 070 personnes, dix fois plus qu’en 2021. Leur nombre dépasse également le total des représentants des dix pays les plus touchés par le changement climatique (dont le Bangladesh, le Pakistan et Haïti).
Selon le site spécialisé Carbon Brief, la plus grosse délégation nationale présente à cette conférence, après les Emirats arabes unis, est celle du Brésil (574 membres), suivie par la République démocratique du Congo (459), le Kenya (386) et le Canada (377). La France envoie 186 personnes.
Une place au cœur des négociations
Les défenseurs des industries fossiles, qui travaillent par exemple pour ExxonMobil, Shell, Chevron ou BP, ont en général le simple statut d’observateur, lorsqu’ils sont accrédités au titre d’associations professionnelles. L’Association internationale pour l’échange de droits d’émission (IETA), un lobby d’entreprises composé notamment de producteurs de combustibles fossiles, est ainsi très représentée cette année, avec 130 membres.
En France, quatre représentants de TotalEnergies, y compris son PDG, Patrick Pouyanné, sont accrédités. Il y participe au titre de l’association Entreprises pour l’environnement, qu’il préside et qui envoie également des représentants d’EDF, Engie, de Schneider Electric ou de Veolia. Lire la chronique : Article réservé à nos abonnés « Notre addiction aux énergies fossiles nourrit le réchauffement climatique et finance la guerre qui nous menace »
Mais les lobbyistes font également directement partie des délégations nationales, ce qui leur confère une place au cœur des négociations climatiques, auxquelles n’ont pas accès les ONG. Au total, selon le décompte des associations, 29 pays ont inclus des défenseurs des combustibles fossiles dans leurs délégations nationales, soit 200 personnes.
Un « moment pivot »
« L’ONU ne peut sans doute pas influencer la composition des délégations nationales, mais elle devrait interdire la venue de grandes corporations qui défendent les énergies fossiles », plaide Louis Wilson, chargé de campagne à Global Witness. Une coalition d’ONG a déposé, en juillet, une demande à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques pour « exclure des négociations climatiques les organisations qui ont des intérêts financiers ou personnels dans la production ou la combustion de fossiles ». Lire aussi : Article réservé à nos abonnés A la COP27, la bataille est lancée pour un traité de non-prolifération des énergies fossiles
Ces lobbyistes des énergies fossiles sont là « pour faire du greenwashing et trouver de nouveaux contrats », assure-t-il. Ils se présentent comme « partie de la solution à la lutte contre le réchauffement », mais ils « retardent l’action » en défendant la compensation carbone ou des technologies de stockage et de captage du CO2, et en « poussant les dirigeants à extraire davantage de pétrole et de gaz ».
Leur « énorme nombre » cette année n’est pas une surprise dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique, explique Louis Wilson, car ces industriels comprennent qu’on est à un « moment pivot » entre le développement des énergies fossiles ou l’essor des renouvelables. Par ailleurs, la présidence égyptienne de la COP défend le gaz comme « énergie de transition ». Selon l’Agence internationale de l’énergie, il ne faudrait plus investir dans de nouvelles installations pétrolières ou gazières pour espérer limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, comme le prévoit l’accord de Paris. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés COP27 : la Barbade plaide pour une nouvelle relation Nord-Sud sur le climat
La présence de lobbyistes à la COP ne se limite pas à l’industrie des combustibles fossiles. D’autres industries « polluantes », telles que la finance, l’agroalimentaire et les transports, sont également présentes, avertissent les ONG. La société civile a particulièrement critiqué le parrainage de la COP27 par Coca-Cola, multinationale qui produit chaque année plus de 100 milliards de bouteilles en plastique. Les ONG dénoncent, à l’inverse, le manque d’accès de certains militants du Sud, en raison des coûts élevés, des difficultés d’obtention de visas et des mesures répressives prises par le pays hôte.