Revirement: Le gouvernement renonce à l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité
Suivant la commission des affaires économiques du Sénat, le gouvernement a déposé lundi un amendement qui vise à supprimer l’objectif fixé par la loi de transition énergétique de 2015.
C’est un sacré revirement, un changement de cap majeur de la politique énergétique du pays. Le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, discuté en séance publique au Sénat à partir de mercredi, prévoit désormais la suppression pure et simple de l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité (contre plus de 75% aujourd’hui).
Cet objectif de réduction à 50% était pourtant la mesure phare de la loi de transition énergétique de 2015, présentée comme «l’un des textes les plus importants du quinquennat» de François Hollande et censée esquisser un nouveau modèle de consommation et de production énergétique (plus de sobriété et d’énergies renouvelables, moins de fossile et d’atome). En 2019, l’échéance pour atteindre ces fameux «50 %» avait déjà été reportée à 2035, alors que la loi de 2015 prévoyait un horizon à 2025. Et ce, contrairement à une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, qui avait promis de «garder le cadre» de la loi de transition énergétique.
Mais mercredi dernier, la commission des affaires économiques du Sénat, par la voix de son rapporteur, Daniel Gremillet (LR), a porté à cet objectif un coup potentiellement fatal (si le projet de loi était adopté en l’état). Cette commission a en effet largement amendé le projet de loi d’accélération du nucléaire. Afin, de son propre aveu, de «transformer» en «vision politique» le «texte technique» présenté en novembre par la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher (dont la rédaction peut encore évoluer, puisque après le Sénat, il devra aussi être examiné à l’Assemblée nationale).
D’un plafond à un plancher
Ainsi, donc, la commission des affaires économiques du Sénat a supprimé l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici 2035. Mieux, elle a même inscrit dans le texte l’idée de «maintenir la part du nucléaire dans la production d’électricité à plus de 50 % à l’horizon 2050», passant du principe d’un plafond à celui d’un plancher.
Ce qui semble parfaitement convenir au gouvernement, puisque ce dernier vient de déposer lundi un amendement visant lui aussi à supprimer l’objectif précis et chiffré de 50 % de nucléaire dans le mix électrique, pour le remplacer par un objectif très vague consistant à «diversifier le mix électrique en visant un meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables».
Outre la suppression de l’objectif de 50 %, le Sénat a aussi supprimé le plafond de 63,2 GW de capacité nucléaire installée prévu dans la loi de 2015, ce à quoi le gouvernement ne s’oppose pas. Cette disposition impliquait, en creux, de fermer des réacteurs nucléaires si l’Etat souhaitait en construire de nouveaux, afin de respecter ce plafond.
Objectif de décarbonation
Insistant sur la «décarbonation» du mix électrique plutôt que sa diversification, changement de terme qui permet de faire la part belle au nucléaire – puisqu’on peut théoriquement décarboner toute la production d’électricité grâce au nucléaire sans avoir recours à une diversification incluant les énergies renouvelables, pourtant elles aussi décarbonées –, le Sénat précise que cet objectif de décarbonation suppose la construction de réacteurs nucléaires. Et avance même un chiffre : «La construction de quatorze réacteurs pressurisés européens.» Alors que l’application de la loi de 2015 supposait la fermeture de 12 réacteurs (la France en compte aujourd’hui 56).
Le projet de loi «d’accélération du nucléaire» vise donc bien, à ce stade, à modifier en profondeur les objectifs de la politique énergétique française… alors même qu’un débat public relatif à ces objectifs est encore en cours, organisé par la Commission nationale du débat public. L’empressement du gouvernement à faire voter cette loi sans attendre la fin de ce débat, en actant la suppression de l’objectif de 50 % de nucléaire, pose question.