En France, le fer va dépasser ses bornes
Par Valéry Laramée de Tannenberg24/02/2023
La première ministre connaît parfaitement les questions de mobilités.
Le transport ferroviaire devrait bénéficier d’un programme d’investissement sans précédent. A condition que l’Etat s’entende avec les Régions.
Après l’Allemagne et l’Italie, la France s’apprête à donner un très sérieux coup de pouce aux transports ferroviaires. Dans un discours prononcé ce vendredi 24 février, la première ministre a esquissé un « plan d’avenir pour les transports » qui fait la part belle au train. Un sujet bien connu d’Elisabeth Borne : avant de devenir ministre des transports, en mai 2017, l’ancienne préfète avait présidé la RATP, deux années durant. La ministre Borne avait aussi porté le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM).
100 milliards d’ici à 2040
Deux objectifs sont désormais visés par le gouvernement : l’amélioration des transports du quotidien et la décarbonation du secteur. « Les transports sont la première source d’émission de gaz à effet de serre : un tiers du total », a rappelé la locataire de l’Hôtel de Matignon. D’où une priorité donnée au ferroviaire, bien moins émetteur que le transport routier. « Nous faisons le choix d’investir en priorité dans les infrastructures qui nous permettrons de réussir la transition écologique, à commencer par le ferroviaire, qui est la colonne vertébrale des mobilités. Concrètement, cela signifie que l’Etat souhaite s’engager, aux côtés de la SNCF, de l’Union européenne et des collectivités territoriales, pour réussir une nouvelle donne ferroviaire, de l’ordre de 100 milliards d’euros d’ici 2040. » Ce niveau d’investissement correspond à celui estimé, l’été dernier, par le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, pour relancer le train.
La France fait moins bien que ses voisins
Les 100 milliards d’euros prévus par le gouvernement français pour relancer le fer tricolore feraient presque sourire les concurrents allemand et italien de la SNCF. La Deutsche Banh prévoit, elle aussi, d’investir une centaine de milliards d’euros. Mais en moins de huit ans. Quant aux Ferrovie dello Stato Italiane, c’est 190 milliards d’euros qu’ils mettent sur la table entre 2022 et 2030. La France s’apprête donc à mettre moins d’argent que ses grands compétiteurs qui entendent bien investir les lignes de l’Hexagone.
Le gouvernement avait mandaté le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) pour lui proposer plusieurs programmations possibles. Dans un rapport qu’il publie, ce vendredi 24 février, le COI met sur la table trois projets de stratégies pour 2042 : un scénario de « cadrage budgétaire », un scénario de « planification écologique » et un scénario de « priorité aux infrastructures ». C’est finalement le second qui a été retenu par la cheffe du gouvernement.
Rénovation et modernisation des réseaux
Côté fer : le gouvernement prévoit de consacrer un milliard d’euros supplémentaires par an (dès 2026) à la rénovation des réseaux ferrés existants, soit 3,8 milliards d’euros par an. Ce chiffre serait porté à 1,2 milliard d’euros supplémentaires (4 milliards par an) à partir de 2030. Cinq cents autres millions par an sont aussi prévus pour la modernisation du réseau. Un tel effort, précise le COI, « porterait le réseau français à un niveau comparable à l’Allemagne, dont le réseau est pourtant nettement plus jeune (17 ans, contre 30 ans en France. » Les gares seront, elles aussi, modernisées. Le montant du devis est estimé à 550 M€ d’ici à 2042 par le COI.
RER métropolitains
L’amélioration des transports du quotidien est au cœur du programme concocté pour le gouvernement. Le scénario « écologique » du COI prévoit ainsi la réalisation de 10 services express régionaux métropolitains. Des RER qui desserviront les villes des agglomérations de Lyon, Marseille, Nice et Toulon, Strasbourg, Lille, Bordeaux, Toulouse, Rennes, Nantes, Grenoble, Rouen, Bâle-Mulhouse et le Sillon lorrain (Metz-Luxembourg). Se basant sur des études en cours, ces projets sont à des stades d’avancement très divers. Leur mise en service pourrait intervenir entre 2030 et 2042. Le montant total des investissements à consentir est supérieur à 15 milliards d’euros, dont le tiers pour le seul programme de RER métropolitain lillois.
D’autres projets ferroviaires sont également prévus. Comme l’amélioration des infrastructures dédiées au fret ferroviaire. Le montant annuel des investissements pourrait être porté à 280 M€ à partir de 2028, contre 175 M€/an pour la période 2022-2027. Le COI prévoit aussi de renouveler le matériel roulant de la ligne Bordeaux-Marseille, ainsi que les ateliers associés.
Routes et fluvial
La route ne sera pas oubliée. Dès 2029, 700 M€ seront consacrés chaque année à la « régénération » du réseau routier existant. A ces travaux s’ajouteront ceux consacrés à la réduction des points noirs de bruit, la protection des captages d’eau, les ouvrages de continuité écologique, l’amélioration de la résilience aux effets du réchauffement, l’aménagement de pistes cyclables. A ce dernier propos, la première ministre prévoit de maintenir durant tout le quinquennat le niveau d’investissement pour le vélo, soit 250 M€/an.
Autre mode de transport doux : le fluvial. Le COI prévoit d’accroître progressivement mais sensiblement les opérations de rénovation du réseau hexagonal. Les systèmes d’exploitation seraient parallèlement modernisés.
Catalogue incomplet
Le programme de cette nouvelle donne des mobilités est loin d’être arrêté. « On ne voit rien, pour l’instant, qui concerne la relance des trains de nuit », souligne Valentin Desfontaine, chargé des transports au Réseau Action Climat. Et il reste bien des projets de nouvelles lignes ferroviaires (Paris-Normandie, extension de la LGV-Est) et de liaisons routières qui ne sont pas dans le catalogue diffusé par les services de la première ministre. A dessein.
L’Etat ne pourra pas tout financer. Et une bonne part des financements devra être apporté par l’Union européenne et les collectivités territoriales. Il faudra faire des choix. « Ce travail de priorisation, je peux vous assurer que nous le mènerons avec objectivité et transparence », indique la cheffe de la majorité.
Dans les prochaines semaines, les préfets de région vont engager des négociations avec les exécutifs régionaux pour hiérarchiser les priorités et évoquer les modalités de financement (qui paye quoi ?). Le résultat de ces discussions sera consigné dans le volet « mobilité » des prochains contrats de plan Etat-Régions.
Grand Paris pour tous
Pour accélérer les prochains travaux ferroviaires, Elisabeth Borne prévoit d’étendre le champ d’intervention de la Société du Grand Paris. Le concepteur du Grand Paris Express pourra non seulement proposer ses services d’assistance à maîtrise d’ouvrage aux collectivités qui lui en feront la demande, mais aussi lever de la dette pour financer les projets. Ce qui nécessite une nouvelle loi pour faire évoluer le statut de cet établissement à caractère industriel et commercial.
Encore dans les limbes, ce texte pourrait aussi ouvrir la voie à des financements innovants. Dans son discours, la première ministre a laissé entendre qu’elle verrait d’un bon œil que le secteur aérien et les sociétés d’autoroute soient mis à contribution. « Le gouvernement pourrait aussi taxer les billets d’avion au taux normal de TVA [20 % contre 10 % actuellement, ndlr] », suggère Valentin Desfontaine.
Dernière annonce de la première ministre : le calendrier de déploiement du système de leasing bon marché pour la location longue durée de véhicules électriques. « Les personnes éligibles pourront, à compter de l’automne, réserver leur véhicule qui leur sera livré en 2024. » A cette échéance, une part du réseau routier aura été rénovée.