La chasse au méthane est désormais ouverte
Changement climatique : pourquoi l’agriculture est à la fois une victime, une cause et une solution
La 59e édition du Salon international de l’agriculture ouvre ses portes ce samedi 25 février 2023. L’occasion de revenir sur le rôle que joue la filière dans le réchauffement climatique et dans sa potentielle atténuation.
Agriculture et changement climatique sont intimement liés, pour le pire comme le meilleur. Car si l’agriculture est responsable d’une partie non négligeable des émissions de gaz à effet de serre, le secteur détient également une partie de la solution au problème climatique, dont il est l’une des principales victimes. Une position très particulière sur laquelle reviennent Sylvain Pellerin, directeur de recherches à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et Delphine Renard, écologue et chargée de recherches au CNRS (Centre national de la recherche scientifique).
Un secteur fortement émetteur
« L’agriculture, c’est environ 20 % des émissions nationales de gaz à effet de serre », rappelle d’emblée Sylvain Pellerin. Comme l’indique le ministère de l’Agriculture, le secteur est donc le deuxième plus gros poste d’émissions en France, derrière les transports (près de 30 %).
Répartition par secteur des émissions de gaz à effet de serre du territoire françaisEn 2019. En %.Transports (29), Agriculture (21), Traitement des déchets (4), Industrie de l’énergie (10), Résidentiel et tertiaire (18), Industrie (18)
Contrairement à de nombreux autres secteurs, l’agriculture n’émet qu’assez peu de CO2. Les gaz à effet de serre qu’elle émet sont le plus souvent du méthane, un gaz à courte durée de vie mais très puissamment réchauffant, et du protoxyde d’azote.
« Les émissions de méthane sont surtout liées à l’élevage, puisqu’elles sont dues aux ruminants et à leur système digestif », explique Sylvain Pellerin. Les émissions de protoxyde d’azote, elles, sont liées « à l’usage d’engrais azotés », complète le chercheur de l’Inrae, et sont donc davantage liées aux cultures de végétaux.
Des émissions en baisse
Comme c’est le cas des autres secteurs d’activité, l’agriculture a néanmoins vu ses émissions de gaz à effet de serre diminuer ces dernières décennies.
Selon les chiffres du ministère de la Transition écologique, elles sont ainsi passées de 93,5 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 1990 à 84,1 en 2019, date à laquelle s’arrêtent les dernières données consolidées disponibles.
« Les émissions du secteur agricole ont baissé principalement du fait de la réduction du nombre d’animaux », précise Sylvain Pellerin. Sur les 9,4 millions de tonnes de carbone économisées depuis 1990, 5 l’ont en effet été grâce au moindre impact de « la fermentation entérique », à savoir le processus digestif des bovins. Or, comme « on n’empêchera pas une vache d’émettre du méthane », cette baisse est exclusivement liée à la diminution du cheptel français, rappelle le chercheur de l’Inrae.
Des leviers d’action bien identifiés
Déjà non négligeable, cette baisse des émissions pourra à l’avenir être amplifiée si le secteur et ses clients actionnent davantage des leviers que l’on sait désormais fiables et puissants.
« En matière d’élevage, un des leviers bien connus, c’est de manger moins de viande », explique Delphine Renard, du CNRS. « Toutes les études scientifiques disent que si l’on veut réduire l’empreinte carbone de notre alimentation, il faut réduire la part des produits animaux », abonde Sylvain Pellerin. « Et là, le consommateur a un rôle à jouer ». En réduisant sa consommation de viande, mais aussi, comme le souligne Delphine Renard, en « consommant plus local » pour éviter « d’exporter nos émissions de gaz à effet de serre », en mangeant du bœuf élevé dans des prairies déforestées à l’autre bout du monde.
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La méthanisation, ce procédé qui permet de capter le méthane issu des déjections des bovins pour en faire une énergie renouvelable, est également un important vecteur de réduction d’émissions.
« On ne dit pas qu’il faut supprimer l’élevage ! », rassure Sylvain Pellerin. Mais l’importance prise par les produits qui en sont issus doit en revanche être révisée. « Aujourd’hui, deux tiers de nos protéines sont d’origine animale et un tiers est d’origine végétale. Ça serait bien d’inverser », résume-t-il.
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L’autre principal levier à actionner a trait aux cultures végétales. Comme l’indique Delphine Renard, il consisterait « à réduire l’utilisation des fertilisants azotés ». Une évolution des pratiques qui, selon la chercheuse, n’aboutira pas à une baisse des rendements, des solutions basées sur la nature permettant de fertiliser les terres de manière aussi performante que les solutions chimiques. Et ce levier semble d’autant plus important qu’il est « parfois sous-estimé », regrette l’écologue.
Une possibilité de capter les émissions des autres secteurs
En plus de devoir diminuer leurs émissions, les agriculteurs ont également un rôle décisif à jouer dans la création des puits de carbone, ces mécanismes naturels de captage du CO2 qui doivent permettre à la France et au monde d’atteindre la neutralité carbone.
« Pour augmenter l’impact des puits de carbone, il faudra augmenter la surface en forêt et adopter des pratiques agricoles favorables au stockage », relève Sylvain Pellerin. Parmi ces pratiques vertueuses sur le plan climatique : la généralisation des cultures intermédiaires (semis d’espèces qui ne sont pas destinés à être vendus) afin d’éviter que des sols soient nus (et qu’ils perdent donc de leur potentiel de captation de CO2), le développement des prairies temporaires à la place de certaines cultures (comme le maïs d’ensilage) ou le développement de l’agroforesterie, cette pratique visant à mêler cultures, élevage et forêt.
Une filière en première ligne
Les agriculteurs et leurs représentants ont donc à disposition un large éventail de solutions à tester puis adopter. Et ils ont d’autant plus intérêt à le faire qu’en la matière, ils sont en première ligne, ou presque.
« L’agriculture est aussi victime du changement climatique, du fait des sécheresses ou des températures extrêmes », rappelle Sylvain Pellerin. « Ces événements extrêmes font partie des changements climatiques en cours et sont amenés à devenir de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses », abonde Delphine Renard. « On parle de sécheresse, mais on peut aussi avoir des hivers très doux et des gels tardifs qui vont impacter le cycle de vie des plantes. »
Surtout, note-t-elle, ces phénomènes climatiques extrêmes sont et seront davantage imprévisibles à l’avenir, ce qui compliquera encore plus la tâche des agriculteurs, notamment à l’échelle mondiale. Et, en bout de ligne, cette variabilité fragilisera le consommateur. « Les fluctuations interannuelles du climat sont une forte cause de l’instabilité de la production agricole », résume Delphine Renard. Elles constituent donc un facteur supplémentaire d’insécurité alimentaire. Une insécurité qui, dans de nombreux pays, n’a pourtant guère besoin d’être renforcée.