« En quatre semaines , le gouvernement détruit tout »
Le gouvernement a déposé deux amendements au projet de loi d’accélération de la construction de nouveaux réacteurs, qui prévoient le démantèlement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
Le Monde Par Perrine Mouterde Publié le 28 février 2023 à 20h35, mis à jour hier à 09h10
Les premières précisions et les grands principes énoncés par le gouvernement n’ont pas suffi à rassurer les salariés de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Mardi 28 février, une grande partie d’entre eux ont répondu à un nouvel appel à la mobilisation pour protester contre le projet de réforme de la gouvernance du nucléaire, qui prévoit l’absorption de leur établissement par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Au moins 700 personnes, selon l’intersyndicale – sur environ 1 700 employés –, ont manifesté à Paris alors que le projet de loi d’accélération du nucléaire, par lequel doit être introduite cette réforme, entamait son examen en commission à l’Assemblée.
« D’habitude nous ne sommes pas des gens qui descendons dans la rue, l’IRSN est un établissement très feutré, rappelle Delphine Pellegrini, cheffe du service recherche et expertise sur les déchets radioactifs. Mais là, nous défendons nos valeurs et notre métier. » « C’est pour le cœur de notre métier que nous sommes inquiets, abonde Jean-François Barbier, ingénieur dans le domaine de la sûreté des installations. On a galéré pendant des décennies à construire cet établissement au service de la protection des citoyens et à établir la confiance, et en quatre semaines, le gouvernement détruit tout. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Sûreté nucléaire : inquiétudes et appel à la grève après l’annonce d’une réforme des organismes de contrôle
La gouvernance du nucléaire repose jusqu’ici sur deux piliers : l’IRSN, chargé de l’expertise et de la recherche, et l’ASN, responsable du contrôle et des décisions. La décision de démanteler le premier pour créer un pôle unique de sûreté a été annoncée de manière inattendue, le 8 février, dans la foulée d’un conseil de politique nucléaire. Selon le gouvernement, cette fusion vise à « renforcer les moyens et l’indépendance de l’ASN » alors que celle-ci va être confrontée à une charge de travail inédite.
« Fluidifier » les échanges
« Cette décision n’est pas du tout une critique du système actuel mais s’inscrit dans l’objectif d’une optimisation maximale dans le cadre de la relance du nucléaire », assure le ministère de la transition énergétique, qui met en avant la nécessité de « fluidifier » les échanges et de gagner en efficacité. « Dans le nouveau dispositif, les expertises techniques pourront être présentées directement au collège de l’ASN, permettant ainsi des décisions éclairées par la science plus rapides », précise-t-il.
L’annonce soudaine de cette réforme majeure a toutefois soulevé de vives inquiétudes. Pour tenter d’y répondre, le ministère a annoncé, le 23 février, que les compétences en matière de recherche et d’expertise seraient bien maintenues ensemble au sein de l’ASN, plutôt qu’éclatées entre l’ASN et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), comme prévu à l’origine. « La philosophie générale est de dire qu’il y a aujourd’hui une synergie entre l’expertise et la recherche et qu’il faut transférer cela en bloc de l’IRSN vers l’ASN », précise le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher.
Deux autres « grands principes » ont aussi été affirmés : les fonctions de contrôle et d’expertise devront rester « séparées » de celles de la décision et du pilotage au sein de la nouvelle instance, et la transparence et le dialogue technique avec la société civile devront se poursuivre.
Pour l’intersyndicale, ces éléments restent toutefois largement insuffisants pour répondre aux questions soulevées par un tel projet. Comment seront pris en compte les enjeux liés au nucléaire militaire ? Quelles conséquences pour le financement de la recherche ? Des domaines de travail ne risquent-ils pas de disparaître ? « Les effets des rayonnements sur l’environnement et la santé, ce n’est pas la priorité et ça ne figure pas dans les communiqués, on a l’impression que le gouvernement découvre que ça existe », s’inquiète par exemple Dominique Laurier, adjoint au directeur du pôle santé environnement. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Démantèlement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire : « Le risque est celui d’un effondrement de la confiance sociale »
« Experts techniques et gendarmes »
Comment éviter, également, un risque d’influence de la décision sur l’expertise ? « Il y a la question de notre indépendance vis-à-vis du gouvernement mais il y a aussi notre indépendance vis-à-vis de celui qui rend la décision », insiste Cédric Gomez, l’un des représentants de l’intersyndicale. « En tant qu’ingénieurs, on fera le même travail, mais le processus de relecture et de validation n’ira peut-être pas aussi loin qu’avant, craint aussi Cécile Lecarme, cheffe du bureau expertise pour les installations du cycle. Et lorsqu’on discutait avec des exploitants, nous pouvions avoir un dialogue poussé et faire passer des messages parce que nous étions des experts techniques. Si on a aussi l’étiquette de gendarme, ce sera sans doute moins facile. »
Pour l’intersyndicale, l’avenir se jouera désormais à l’Assemblée.Le gouvernement a déposé, le 25 février, deux amendements au projet de loi d’accélération du nucléaire, qui prévoient un élargissement du champ d’action de l’ASN et le transfert des contrats de travail des agents de l’IRSN à l’ASN. Après son passage devant les commissions du développement durable puis des affaires économiques, le texte sera discuté par les députés à partir du 13 mars.
Mardi, plusieurs parlementaires pro et antinucléaire (écologistes, socialistes ou « insoumis ») se sont succédé place des Invalides pour exprimer leur opposition au projet de réforme du gouvernement. Selon la députée Renaissance Barbara Pompili, également présente, « beaucoup de députés et de militants » de la majorité sont également « très chiffonnés » par cette réforme. L’ancienne ministre de la transition écologique a rappelé qu’au cours de la commission d’enquête sur la sûreté nucléaire, qu’elle avait pilotée en 2018, personne n’avait remis en cause ni le travail de l’IRSN ni celui de l’ASN. « Pourquoi changer ce système à un moment charnière pour notre politique énergétique ? » s’est-elle interrogée.
Signataires de la tribune sur le démantèlement de l’IRSN
Elizabeth A. Ainsbury BSc PhD MInstP FSRP Csci, Head of Radiation Effects Department, UK Health Security Agency
Madeleine Akrich, directrice de recherche, Mines Paris PSL
Jean-Claude André ancien membre du CS de l’IRSN, du HCSP, Directeur Scientifique de l’INRS, Directeur de Recherche au CNRS et Conseiller scientifique de la direction d’INSIS CNRS.
Isabella Annesi-Maesano, directeur de Recherche, IDESP UA11 INSERM et Université de Montpellier
Muriel Andrieu-Semmel, Directrice de la transition écologique et de la nature en ville, DTENV/DGAVD, www.marseille.fr
Maryse Arditi, ex-Présidente de l’Ineris
Hugues Ayphassorho, membre de l’Autorité environnementale
Christophe Badie, PhD, Head of Radiation Effects Department, Group Leader Cancer Mechanisms and Biomarkers, Radiation, Chemical & Environmental Hazards, Harwell Campus, Chilton, Didcot, Oxfordshire OX11 ORQ United Kingdom
Armelle Baeza, professeur à l’université Paris Cité
Jacques Balosso, Professeur, Oncologue-Radiothérapeute, chef de service, enseignant de radioprotection, radiobiologie et de physique-médicale, Université Grenoble-Alpes et Centre François Baclesse, Caen
Sylvie Banoun, membre de l’Autorité environnementale
Yannick Barthe, Directeur de recherche au CNRS
Bernadette Bensaude-Vincent, philosophe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Sylvain Bertaina, CNRS Researcher | Magnetism group leader
Nathalie Bertrand, directrice de recherche à l’Inrae et membre de l’Autorité environnementale
Claude Beaubestre, administrateur de la Société Francophone de Santé Environnementale
Jean-Louis Beaudeux, doyen de la Faculté de Pharmacie – Université Paris CitéSylvie Bortoli, ingénieure de recherche en toxicologie, Université Paris Cité
Isabelle Billard, directrice de recherches CNRS
Roseline Bonnard, ingénieure du génie sanitaire à l’Ineris
Nathalie Bonvallot, Enseignante-chercheuse, Toxicologie en santé publique, EHESP, département des sciences en santé environnementale
Philippe Boudes, ens. chercheur en sociologie, Institut Agro et UMR CNRS Espaces et Sociétés
Lionel Bourdon, membre de la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN
Jean Bouyer, directeur de Recherche émérite à l’Inserm
Serge Boveda, MD, PhD, Professeur, Cardiologie – Clinique Pasteur, 31076 Toulouse, France
Carine Briand, Astronome à l’Observatoire de Paris
Pierre-André Cabanes, Chef du service des études médicales d’EDF
Sandrine Caroly, Professeure des universités en ergonomie, Responsable de l’insitut des risques, Université Grenoble Alpes
Raja Chatila, membre de la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN
Bernard Chevassus-au-Louis, Président d’Humanité et Biodiversité
Cécile Chevrier, Directrice de Recherche Inserm, épidémiologiste, Rennes
Jacqueline Clavel, directrice de recherche à l’Inserm
Pierre-François Clerc, rapporteur à l’Autorité environnementale
Cynthia Colmellere, Maître de conférences en sociologie, École CentraleSupélec, IDHES, ENS Paris-Saclay
Remy Collomp, Chef de Pôle Pharmacie Stérilisation CHU Nice, Ancien membre du Haut Conseil de Santé Publique
Xavier Coumoul, professeur de toxicologie, Université Paris Cité
Denis Dauvergne, Directeur de recherche au CNRS
Frank Deconinck, Honorary Chairman, Belgian Nuclear Research Centre, Honorary President European Nuclear Society, Professor Em. Biomedical Physics, Vrije Universiteit Brussel, Director Brussels Institute for Advanced Studies
David Demortain, Directeur de recherche Inrae, Directeur du Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (UMR LISIS – CNRS/INRAE/Uni Gustave Eiffel)
Isabelle Deportes, ingenieure impacts sanitaires et écotoxicologiques de l’économie circulaire
Hélène Desqueyroux, coordinatrice Recherche Ademe
Arnaud Dieudonné, président de la Société Française de Physique Médicale
Michel Dubromel, président d’honneur de France nature environnement
Emmanuel Durand, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier, Coordonnateur national du DES de Médecine nucléaire
Jeanne Fagnani, Directrice de recherche CNRS retraitée, Chercheur associée à l’IRES
Guy Frija, professeur émérite à l’Université Paris Cité et ancien membre du comité scientifique de l’IRSN
Caroll Gardet, rapporteure à l’Autorité environnementale
Ronan Garlantézec, Professeur des universités – praticien hospitalier, Chef du service d’épidémiologie et santé publique, CHU de Rennes
Jacqueline Garnier-Laplace, OCDE Agence de l’Énergie Nucléaire, secrétaire scientifique du comité sur la radioprotection et la santé publique
Michel Giot, Professeur émérite à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique), Membre du Conseil Scientifique du SCK CEN (Belgique), Membre honoraire du Conseil Scientifique des Rayonnements Ionisants (AFCN, Belgique), Membre des Conseils Scientifiques du CEA/DES (France) et de PSI/NES (Suisse)
Elisabeth Gnansia, présidente de la Société Francophone de Santé et Environnement
Marcel Goldberg, professeur émérite d’épidémiologie, Université Paris Cité
Didier Gourier, professeur émérite, Chimie ParisTech, PSL
Benoit Grison, enseignant-chercheur, ergonome, UFR Sciences & Techniques Orléans
Régine Gschwind, Professeur des Universités – Université de Franche-Comté
Franck Guarnieri, directeur de recherches, Mines Paris PSL
Denis Hémon, directeur de recherche à l’Inserm (retraité)
Elif Hindié, professeur des Universités – Praticien Hospitalier
Damien Huglo, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier, Président du Collège National des Enseignants de Biophysique et de Médecine Nucléaire
Christine Jean, lauréate du prix Goldman pour l’environnement
Alain Kaufmann, Université de Lausanne, membre du Conseil scientifique de l’IRSN
Saadia Kerdine-Römer, Professeur de Toxicologie, Université Paris-Saclay
Séverine Kirchner, directrice knowledge management et des partenariats S&T, CSTB
Michel Klerlein, Médecin Coordonnateur du Service de Prévention et de Santé au Travail d’Air France
Paolo Laj, physicien CNAP à l’Université Grenoble-Alpes
Alexandra Langlais, directrice de recherche au CNRS
Philippe Laniece, Directeur Scientifique Associé du pôle Santé, Laboratoire de Physique des 2 Infinis Irène Joliot-Curie, Université Paris-Saclay
Lionel Larqué, membre du comité d’orientation de la recherche de l’IRSN
Armand Lattes, professeur émérite, membre de l’Académie nationale de Pharmacie
Yves Le Bars, ancien président de l’Andra
Anne-Marie Levraut, expert senior prévention des risques
Philippe Ledenvic, membre de l’Autorité environnementale
Yves Levi, professeur émérite, Groupe Santé Publique-Environnement, UMR 8079 Écologie-Systématique-Évolution, Univ. Paris Saclay – CNRS – AgroParisTech
Denez L’Hostis, président d’Honneur de France nature environnement
Jean-Marc A. Lobaccaro, professeur des universités, Université Clermont-Auvergne
Philippe Lorino, Enseignant-chercheur en gestion et expert en Sûreté Nucléaire
Libor Makovicka, Professeur émérite, Université de Franche-Comté
Alexandre Mallard, sociologue, Mines Paris PSL
Francelyne Marano, professeure émérite de biologie et toxicologie environnementale, université Paris Cité
Jean-Charles Martin, directeur de recherche à l’Inrae
Laurent Martinon, ingénieur hygiéniste, ancien membre de la Commission Spécialisée Risques liés à l’Environnement du Haut Conseil de Santé Publique
Laurent Ménard,
Laboratoire de Physique des 2 infinis Irène Joliot-Curie
Myriam Merad, présidente du Conseil Scientifique et Technique de l’Association Française de Prévention des Risques de Catastrophes Naturelles et Technologiques (AFPCNT) – Directeur de Recherche CNRS
Gérard Montarou, directeur de recherche émérite, laboratoire de physique de Clermont
Jean-Marie Mouchel, professeur, Sorbonne Université
Olivier Ouari, professeur des universités, Institut de Chimie Radicalaire à Marseille
Marc Pallardy, Professeur de Toxicologie, Faculté de Pharmacie, Université Paris-Saclay
Dominique Pécaud, professeur émérite, Université de Nantes
Gilles Pipien, animateur de l’Alliance santé biodiversité
Michel Quintard, directeur de recherche CNRS émérite, ancien Pdt du Conseil Scientifique de l’IRSN
Vololona Rabeharisoa, sociologue, Mines Paris PSL
David Richardson, Professeur et Doyen Adjoint à la Recherche, Programme en Santé Publique, Université de Californie, Irvine
Françoise Roure, inspectrice générale, ex présidente de la section sécurité et risques du conseil général de l’économie
Werner Rühm, Chair International Commission on Radiological Protection (ICRP)
Bernard Salles, professeur émérite de l’université de Toulouse, toxicologue
Daniel Santos, directeur de recherches CNRS/IN2P3-Université Grenoble-Alpes
Wolfgang Sauerwein, professeur des Universités University Duisburg-Essen (retraité)
Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement
Juliette Thariat, MD PhD, Presidente InterGroupe ORL France / Secretaire GORTEC
Jean-Michel Torrenti, chercheur à l’université Gustave Eiffel, membre du conseil scientifique de l’Andra
Blandine Vacquier, médecin épidémiologiste, inserm
Hildegarde Vandenhove, Institute Director Environment Health and Safety, SCK CEN, Belgium; Associate Professor University Hasselt, Belgium
Filip Vanhavere, Chair EURADOS
Franck Varenne, MCF HDR – Université de Rouen Normandie
François Vauglin, rapporteur à l’Autorité environnementale
Cédric Villani, mathématicien,ancien président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Éric Vindimian, membre associé de l’Autorité environnementale
Pierre Weiss, professeur d’université, praticien hospitalier en Odontologie, Nantes
Andrzej Wojcik, professor of radiobiology at the Stockholm University, ICRP Main Commission member
Marie-Christine Zélem, professeur de sociologie, Université Fédérale de Toulouse, CNRS UMR 5044