Jean patrick Leduc nous a quitté le 4 janv 2023. Nous avons beaucoup travaillé ensemble. CI joint l’hommage de France Nature Environnement
Publié le 16 février 2023
Le décès de Jean-Patrick Le Duc, ancien secrétaire général de la fédération, le 4 janvier 2023 crée un grand vide chez sa famille fédérale qui le remercie de son engagement sans faille et témoigne toute sa sympathie à sa femme Chantal, ses 3 enfants et ses petits-enfants. Hommage à ce militant à qui France Nature Environnement et la protection de la nature doivent beaucoup.
Jean-Patrick Le Duc disait parfois de lui qu’il était un chimiste qui avait mal tourné. Ses 3 années d’élève-professeur de l’Institut de préparation aux enseignements du second degré de Paris IV et sa maîtrise de physique-chimie le destinaient en effet à enseigner dans ce domaine.
Mais c’était sans compter sur le virus de l’ornithologie, contracté à 12 ans, qui transforma petit à petit son plaisir d’observer les mouettes sur les plages de Bretagne où il est né à Fougères (Ille-et-Vilaine) le 23 juin 1950, en passion pour la protection de la nature au point qu’il choisit d’en faire à la fois son métier (notamment en entrant en 1973 au Muséum national d’histoire naturelle où il passe aussi sa maîtrise en biologie, puis en 1988 au Secrétariat de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction – CITES) et son engagement bénévole.
DE L’ÉTUDIANT ENGAGÉ AU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA « FÉDÉ »
Cet engagement débute très tôt, dès 1967, lorsque Jean-Patrick et plusieurs jeunes adhérents de la SNPN, révoltés par la marée noire causée par le naufrage du Torrey Canyon, initient la création de l’association « Jeunes et Nature » (où il côtoiera notamment un certain Thierry Coste). Celle-ci voit officiellement le jour en 1969 et intègre dans la foulée, la récente Fédération française des sociétés de protection de la nature (FFSPN, dont le nom usuel devient par la suite France Nature Environnement, et qu’il appelle la « fédé »).
C’est au titre de cette association que Jean-Patrick est élu au Conseil d’administration de la FFSPN en 1972. Il entre ensuite au Bureau de la fédération en 1979 au poste de Secrétaire général adjoint, aux côtés de Jean-Pierre Raffin (qui occupe la fonction de secrétaire général depuis 1972 si bien qu’il est appelé « Secrétaire général perpétuel »). Il devient Secrétaire général en 1982 lorsque Jean-Pierre prend la présidence de la FFSPN et occupe ce poste jusqu’en mai 1987.
Si la connivence entre les 2 hommes leur vaut d’être affublés du doux surnom de « Raduc et Leffin », elle permet surtout d’asseoir les modes d’action de la fédération et d’engager son développement.
Jean-Patrick s’attelle en effet au Secrétariat général de la « fédé », à développer le lien fédéral et la vie associative en utilisant plusieurs leviers :
- la formation des cadres bénévoles : il contribue à lancer en 1979, les 3 premiers stages de formation organisés par la FFSPN sur fonds propres avant d’obtenir à partir de 1982, des financements dédiés du ministère de l’environnement permettant d’engager un programme de formation cohérent, aussi bien en écologie qu’en vie associative ;
- la communication interne : il met en place la Lettre du Hérisson dont il signe l’édito du premier numéro le 30 avril 1984 et veille dès lors à sa parution régulière tous les 15 jours (en n’enregistrant que très peu de retard dans la parution de cet outil qui sera ouvert plus tard à abonnement) ;
- l’organisation interne : il contribue à la mise en place des premiers réseaux thématiques fédéraux en 1984 que sont les réseaux Tourisme et Forêt, rapidement suivis des réseaux Agriculture et Éducation, ainsi que des chartes d’objectifs pour les administrateurs chargés du suivi de thématiques particulières. C’est à ce titre qu’il prendra en charge la commission Chasse ainsi que la commission Faune de la FFSPN et qu’il co-présidera la Commission « Vie sauvage » du BEE jusqu’en 1988 ;
- le lancement de campagnes : il engage en mars 1982, une campagne nationale pour la sauvegarde des milieux naturels, consistant en un appel à dons pour l’acquisition foncière d’espaces naturels remarquables. L’un des premiers souscripteurs sera Jacques Hamelin, président de l‘Union des présidents de fédérations de chasseurs, avec qui il effectue une mission en Irlande pour la sauvegarde de zones humides. Cette campagne, qui est par la suite coordonnée par Daniel Béguin, voit d’ailleurs s’organiser la première Fête de la nature le 20 mai 1984 sur les bords de la Loire. Si Jean-Patrick estime cinq ans plus tard qu’elle n’a pas eu le succès escompté, elle a tout de même permis l’acquisition par la FFSPN de 3 sites (dont le premier est un marais tourbeux alcalin de 40ha en Isère acquis à la fin 1984 pour la somme de 200 000 francs).
Il est également soucieux de donner plus de moyens d’actions à la « fédé » et à ses membres au travers :
- de financements : il lance en février 1985 une réflexion prospective sur le mécénat pour la protection de la nature avec appel à remonter des projets (mais qui ne rencontre au final que peu d’échos puisque seuls deux dossiers remontent des membres) et encourage la commercialisation de divers produits dérivés (dont plusieurs T-shirts « Sauve Kipik » et des peluches « Manchots » en avril 1986 dans le cadre de la campagne « Terre Adélie ») ;
- d’appui salarié : Il fait le pari de recruter en 1981, sur le premier poste salarié de la fédération à Paris, une attachée de presse qui contribuera à la renommée médiatique de la fédération (signalons par exemple l’intervention de Jean-Patrick dans l’émission « Le téléphone sonne » le 17 décembre 1984 sur le thème de la pollution de l’environnement) puis d’un chargé de plaidoyer en 1983 (avec réalisation d’un manifeste pour les élections législatives de 1986 envoyé à plus de 100 candidats) ;
- de services dédiés : il crée et alimente le service juridique proposé aux associations à partir du 1er septembre 1985.
Jean-Patrick a réellement le souci de l’unité et l’efficacité de la fédération. Aussi lorsque celle-ci commence à s’interroger à partir de 1985 sur son rôle et son avenir (notamment face à la montée en puissance des conservatoires régionaux d’espaces naturels) et envisage de changer de nom (pour se débarrasser du sobriquet « La fesse qui peine » et illustrer l’unité fédérale), il engage avec Jean-Pierre Raffin à l’été 1985, la première grande enquête interne sur la vie associative permettant de recenser à cette date, 1 109 associations affiliées, 850 000 adhérents (contre 500 000 estimés en 1979) et 145 permanents. Les résultats sont présentés lors d’une conférence de presse le 17 janvier 1986.
L’ENVIE DE SENSIBILISER ET DE MOBILISER POUR LA FAUNE
Sans doute à cause de sa formation et de son engagement étudiant, Jean-Patrick veut aussi transmettre et sensibiliser pour mieux mobiliser la population. Il est ainsi à l’origine de plusieurs productions et évènements marquants dans la vie fédérale :
- Il co-rédige avec Jean-Pierre Raffin la brochure « Connaître les espèces protégées » (1981) qui présente, comme son nom l’indique, les espèces bénéficiant du récent statut de protection. Cette brochure est écoulée à 40 000 ex. et est suivi de la brochure « Connaître les plantes protégées » publié en deux volumes en 1986.
- Il obtient de la RATP, en compensation morale d’une campagne publicitaire contre la fraude utilisant des figurations d’animaux sauvages comme exemples à ne pas suivre, la mise en place en avril 1983, d’une exposition consacrée à la protection de la faune à la station de métro Auber, station alors la plus fréquentée à Paris. Celle-ci eut une « suite » avec l’installation sur les quais de la ligne 10, à la station Sèvres-Babylone, d’une série de vitrines permanentes (aujourd’hui enlevées) sur les différents aspects du champ d’action du ministère de l’Environnement tout proche.
- Il coordonne une escalade mémorable de Manchots sur la façade du siège des Terres Australes et Antarctiques Françaises lors de la manifestation du 29 juin 1984 organisée dans le cadre de la campagne de défense de la Terre-Adélie menacée par une piste aérienne.
Jean-Patrick ne cesse également de dire que la FFSPN se doit d’avoir un rôle politique (au sens large et noble du terme). C’est ainsi qu’il :
- fait partie du quatuor de bénévoles qui arpente des heures durant, les couloirs du Sénat et de l’Assemblée nationale, pour convaincre les parlementaires de voter la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature. Il refera l’exercice 40 ans plus tard, mais en tant que directeur de cabinet adjoint de Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, pour obtenir le vote de la loi du 8 août 2016 sur la reconquête de la biodiversité ;
- convainc, avec Michel Brosselin, en 1979, Michel d’Ornano, alors ministre de l’Environnement et du Cadre de Vie, d’appeler Jacques Hamelin, président de l’Union des présidents de fédérations de chasseurs, pour le persuader du bien-fondé de la directive Oiseaux. Jacques Hamelin donne son accord et la directive est adoptée au Conseil des ministres européens du 2 avril 1979 ;
- siège au nom de la fédération dans plusieurs commissions nationales, dont le Conseil national de protection de la nature et son Comité permanent. Il retrouve des années plus tard, certaines de ces instances en tant que personnalité qualifiée (dont le Conseil national de la chasse et de la faune sauvage et le Conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité puis de l’Office français de la biodiversité).
Dans son engagement en faveur de la nature, Jean-Patrick a deux marottes :
- le trafic animalier : il rédige une brochure de la FFSPN sur le sujet en 1983, fait éditer 2 affiches en octobre 1985, incite la même année les bénévoles qui visitent des zoos à remplir une fiche d’information pour évaluer le respect de la réglementation, contribue à la création du bureau français de TRAFFIC conjointement par la FFPSN et le WWF le 16 mars 1987 et représente la « fédé » aux conférences des parties de la CITES, de la CoP4 (1983) à la CoP6 (1987).
Il est d’ailleurs débauché à Genève de mai 1988 à juin 1998 par le Secrétariat de la CITES, qui le nomme Chef de l’Unité de lutte contre la fraude et de la confirmation des permis. Dans ce cadre, il organise des dizaines de formations, notamment en Afrique, pour des agents en charge de la protection des espèces ou des services de police. Il participe à nouveau aux négociations CITES à partir de 2016 dans la délégation française et joue un rôle déterminant dans l’organisation par la France de la 74e réunion du Comité permanent de la CITES à Lyon en mars 2022.
- la chasse : toujours plein de verve sur le sujet (même quelques jours avant sa mort lors du dernier entretien qu’il a eu avec Jean-David Abel en préparation d’une audition sur le domaine de Chambord), il faudrait un livre entier pour raconter ses actions en la matière. Retenons simplement que ses retrouvailles avec son complice Jean-Pierre Raffin en 1998 au cabinet de la Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, Dominique Voynet, auront permis de limiter les dégâts des multiples lois et rapports sur la chasse qui émergent à cette période. Jean-Patrick continuera d’ailleurs son rôle dans le cabinet d’Yves Cochet.
UN NEGOCIATEUR INTERNATIONAL QUI RESTE MILITANT
Après son passage aux Cabinets Voynet puis Cochet, Jean-Patrick retrouve le Muséum national d’histoire naturelle en tant que Chargé de relations internationales puis Directeur des relations européennes et internationales. Il fait dès lors partie de la délégation française dans nombre de réunions internationales (à Johannesburg pour le Sommet de la Terre en 2002, à Paris pour la Conférence UNESCO « Biodiversité, science et gouvernance » de 2005, à Nagoya pour la COP10 en 2010, etc.) et devient Point focal pour la France de l’Organe subsidiaire de conseil scientifique, technique et technologique (SBSTTA) de la Convention sur la Diversité biologique.
Il n’en oublie pas pour autant ses engagements associatifs et en ce début des années 2000, avec d’autres membres du « réseau Nature » de l’époque de FNE, il phosphore sur le projet d’une grande agence de la Nature, qui regrouperait tous les établissements publics et organismes œuvrant dans le domaine de l’Eau et de la Nature. Ces réflexions, constamment portées au niveau des responsables politiques, aboutiront près de deux décennies plus tard à la création de l’Agence française pour la biodiversité puis de l’Office français de la biodiversité, suite à la fusion de celle-ci avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage.
Il s’engage également quelque temps dans la vie politique locale, en devenant conseiller municipal de Saint-Michel-sur-Orge, conseiller communautaire pour l’agglomération du Val-d’Orge et secrétaire départemental d’Europe Ecologie-Les Verts pour l’Essonne.
Mais c’est son engagement associatif qu’il privilégie et intensifie, une fois à la retraite où il regagne sa Bretagne natale en s’installant à Elven (Morbihan). Il s’engage ainsi à l’échelle :
- locale puisqu’il devient référent de la biodiversité d’Elven et pilote à ce titre la mise en place de l’Atlas de la biodiversité communale, à partir de 2019. Il s’implique auprès de l’association Eco nature Elven, qui gère l’écopâturage et la valorisation de la vallée du Kerbiler. Il crée l’association Patrimoine Elven-Lanvaux, dont il devient le trésorier, et siège au comité consultatif de gestion de la réserve naturelle des marais de Séné ;
- régionale puisqu’il intègre le Conseil d’administration de Bretagne Vivante ;
- nationale puisqu’il intègre en janvier 2019 le directoire du réseau Biodiversité, dont il est toujours demeuré correspondant.
Cette vie au service de la protection de la nature vaut à Jean-Patrick d’être élevé aux rangs d’Officier de l’Ordre national du mérite et d’Officier de la Légion d’honneur.
Jean-Patrick a une image de bon-vivant et d’un gouailleur, un peu désorganisé, voire maladroit (certain.e.s se souviennent peut-être qu’il avait failli mettre le feu au local, situé dans l’appartement de Valois dans le Pavillon Chevreul au Muséum que Jean Dorst avait mis à disposition de la fédération et que Jean-Patrick lui-même avait réaménagé avec l’aide notamment de Gille Benest, en jetant son cigare mal éteint dans une corbeille) mais doté d’une très bonne mémoire et toujours disponible pour raconter une anecdote succulente issue des méandres de ses engagements.
Jean-Patrick est surtout un naturaliste engagé, passionné, passionnant, pédagogue, convaincant et innovant. Outre les « happening » qu’il a pu organiser, il parle déjà de « capital nature » dans son édito de la Lettre du Hérisson n°36 du 1er janvier 1986.
Alors oui, la fédération et la protection de la nature lui doivent beaucoup. Merci Jean-Patrick.
et en tant que journaliste , sensibilisée à bien des problèmes de la biodiversité grâce à lui , je me joins à l’hommage de la FNE. D Martin Ferrari