Pénurie d’eau potable : ce n’est que le début
A cause d’un déficit pluviométrique important, des communes ont subi des coupures d’eau potable cet hiver et leur situation demeure fragile. Le Plan eau, annoncé fin mars, prévoit de sécuriser l’approvisionnement de réseaux ruraux.
« On n’a jamais vu ça ! » est la phrase qui revient le plus souvent lorsqu’on discute avec les représentants des communes confrontées à la pénurie d’eau potable. Certes, certaines ont déjà connu des coupures d’eau pendant l’été, mais jamais aussi tôt dans l’année. Pour toutes, il s’agit d’une première.
Cette situation sur le terrain reflète bien les éléments factuels présentés lors du dernier comité d’anticipation et de suivi hydrologique (Cash) du 23 février, piloté par le gouvernement, qui a annoncé fin mars le lancement de son Plan eau. Ainsi, les volumes de remplissage des barrages sont beaucoup plus bas que d’habitude. Côté cours d’eau, 86 % ont un débit inférieur à la médiane.
L’enneigement et la pluviométrie sont également déficitaires.
Le Bureau de recherches géologiques et minières a annoncé mi-mars que la recharge des nappes phréatiques était 80 % au-dessous de la normale, avec des niveaux nettement inférieurs à 2022.
Déjà, il y a un mois, une quinzaine de départements se trouvaient placés en vigilance sécheresse, pour tout ou partie.
Parmi eux, quatre étaient en alerte et trois en alerte renforcée, c’est-à-dire que des restrictions de prélèvements d’eau s’appliquaient, comme dans les Pyrénées-Orientales. L’eau potable a brusquement cessé de couler dans la commune d’Oreilla (28 hab.). « Mon adjoint m’a appelé un dimanche de février pour m’informer qu’il n’y avait plus d’eau au robinet. C’était la mauvaise surprise ! » raconte Eric Rodriguez, le maire (SE). D’avril à novembre, cette commune de montagne est alimentée par un canal à ciel ouvert de
8 kilomètres, qui prend de l’eau dans la rivière de Cabrils. Le reste du temps, la source du village prend le relais. « Mais, cet hiver, la source s’est sûrement tarie et le château d’eau s’est vidé », explique le maire, qui a dû faire appel à une entreprise afin de livrer l’eau par camion-citerne. « Nous
en sommes à une dizaine de camions de 10 mètres cubes à 600 euros la rotation », indique l’élu.Comme l’agence régionale de santé estime que cette eau transportée n’est pas potable, Oreilla doit aussi livrer de l’eau en bouteille à ses habitants. Cet épisode qui perdure devrait coûter près de 10 000 euros à la commune, qui dispose d’un budget annuel de 40 000 euros. « Ce n’était pas prévu et notre crainte est que le problème revienne chaque année », s’inquiète-t-il.
Les techniciens constamment mobilisés
Même le « château d’eau de la France », le Puy-de-Dôme, n’est pas épargné. Le syndicat d’eau -Beurières-Chaumont-Saint-Just (6 communes, 2 600 hab.) est obligé d’importer de l’eau par camionciterne de 30 mètres cubes depuis octobre. Trois à quatre rotations quotidiennes approvisionnent le
château d’eau principal, relié aux autres.
« Avec le coût du transport, l’eau revient à 7,50 euros le mètre cube, alors qu’elle est facturée à 1,35 euro, ce qui représente un déficit de 16 000 à 20 000 euros par mois, détaille Bernard Faure,maire [SE] de Beurières [310 hab.]. Nous avons besoin de 400 mètres cubes d’eau par jour. Actuellement, il n’en arrive que 200 à notre source, alors que, d’habitude, à cette époque, c’est 1 200.» De fait, plus question de perdre une goutte d’eau et les techniciens sont constamment mobilisés sur la recherche des fuites. « Aujourd’hui, on se rend bien compte que l’eau devient vraiment rare et – précieuse », reconnaît-il.
Dans le même syndicat, la commune d’Arlanc (1 800 hab.) est aussi touchée. « Une centaine d’habitants ont été privés d’eau pendant une dizaine de jours, en février, ce qui a été difficile à vivre pour la population, même si la commune a livré de l’eau potable en bouteille », constate le maire (DVG), Jean Savinel. Afin de faire face au problème, la commune a décidé d’acheter d’occasion un
camion-citerne de 16 mètres cubes pour 45 000 euros.Il a poursuivi ses rotations en mars, notamment pour alimenter certaines communes du syndicat de Beurières – Chaumont-Saint-Just, « car le semi-remorque que loue le syndicat ne peut pas accéder partout ». « Notre camion fait actuellement environ 200 kilomètres par jour avec notre propre chauffeur », complète l’élu.
Cette organisation a un coût et la question financière n’est pas réglée entre les collectivités. « Il faudra savoir comment on refacture cette eau au syndicat. Car, avec le transport, l’eau revient à plus de 8 euros le mètre cube, calcule le maire. Dans les années futures, nous serons obligés de relever le prix de l’eau. Nous avons d’ailleurs déjà prévu des réunions sur ce sujet avec les autres syndicats. »
La chasse aux fuites sera lancée dans le cadre du plan national
Face à la grave sécheresse hivernale, Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique a rappelé, lors du Cash du 23 février, à Paris, que « la sobriété n’est plus une option ». Il a réuni l’ensemble des préfets début mars et les a appelés à signer « sans trembler » les arrêtés « sécheresse ». Le gouvernement a également missionné ses services pour analyser la sécheresse qui a touché la France l’été dernier.
Le rapport, rendu fin février, mentionne que ce ne sont pas une centaine de communes, comme cela avait été annoncé en août, mais 1 052 (soit 2,4 millions d’habitants), qui ont été en rupture d’eau potable et ont dû mettre en place des solutions dérogatoires en urgence. Sur ce total, 343 ont eu recours au citernage (transport d’eau par camion) tandis que 138 ont coupé l’eau au robinet et distribué des bouteilles d’eau. D’autres communes, 1 131, ont été « en tension sans atteindre la rupture ». Devant les difficultés de recensement, le ministre souhaitait mettre en place un véritable reporting en temps réel. Mais ce point ne figure pas dans le Plan eau annoncé par Emmanuel Macron, le 30 mars, à Savines-le-Lac, dans les Hautes-Alpes. La mise à disposition d’une
expertise d’urgence pour chercher et réparer les fuites, un temps envisagée, a aussi disparu de la liste des 53 mesures.
L’Etat reporte cette tâche d’assistance technique et financière sur les départements (mesure n° 35). Pour réduire les fuites, le Plan eau prévoit de concentrer son aide sur les 170 communes « points noirs » dont les réseaux perdent plus de 50 % de leur eau potable. Les agences de l’eau vont débloquer 180 millions d’euros d’aides supplémentaires par an afin de les aider à sécuriser leur approvisionnement.
« Cependant, dans certains territoires, même si le rendement est excellent, les ressources disponibles ne couvrent plus les besoins et les interconnexions ne sont pas toujours possibles, techniquement ou financièrement, estime Régis Taisne, chef du département du cycle de l’eau à la Fédération nationale
des collectivités concédantes et régies. Dans ce cas, outre les économies d’eau, l’approvisionnement par camion est la seule solution. »