Ressources en eau: une observation sur le long terme est nécessaire car nos connaissances sont encore minimales
Par Arnaud Garrigues • dans : actus experts technique, France
Comment faire face aux sécheresses qui sont amenées à se répéter de plus en plus fréquemment en France ? C’était l’un des enjeux abordés lors d’un colloque organisé par la FNCCR, le 1er juin, à Paris, et qui a mis l’accent sur la nécessite de mieux connaître localement l’état de sa ressource en eau.
L’été se rapproche et, avec lui, la crainte d’une nouvelle crise de l’eau pour l’Etat comme pour les collectivités territoriales. Mais, au-delà de la gestion de crise, c’est toute une série de réflexions qu’il faut mener à
plus long terme pour améliorer la gestion de l’eau, comme l’ont montré les débats lors du colloque organisé le 1er juin, à Paris, par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), intitulé
« Sécheresse : quelles stratégies d’adaptation ? »
Les pluies, facteur de démobilisation
« Cet hiver, nous avons eu 32 jours sans précipitations. Avec les pluies qui sont tombées dernièrement, certains territoires ont vu la situation revenir à la normale, mais d’autres sont encore en crise », a expliqué
Hervé Paul, vice-président référent « eau » de la FNCCR et viceprésident de la métropole Nice Côte d’Azur. Il estime même que ces pluies ont laissé croire que l’alerte était passée et entraîné une démobilisation sur ce sujet, alors qu’il « est nécessaire de faire face aux urgences et de travailler à plus longue échéance pour nous adapter à la ressource et changer nos comportements », a-t-il déclaré.
Améliorer la connaissance
L’un des principaux problèmes réside dans le manque de connaissances sur la ressource en eau. Rares sont les collectivités qui disposent de moyens avancés pour en faire le suivi et mesurer l’impact des conditions
météorologiques sur leurs ressources. La métropole Nice Côte d’Azur est l’une de celles-ci : sa régie Eau d’Azur a développé un outil de suivi en temps réel sur la nappe du Var, pour suivre ses huit champs captants
et ses deux sous-bassins hydrographiques.
Nous sommes encore loin de « l’écowatt de l’eau » promis par Emmanuel Macron dans le Plan eau, a reconnu Patricia Blanc, de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd). Cet outil a pour mission de connaître l’état de la ressource et d’adapter les prélèvements et les consommations d’eau à la situation. « Malheureusement, les sècheresses vont se reproduire, et de manière plus fréquente, ajoute-t-elle. Nous avons besoin que la technique et l’organisation nous apportent des solutions plus robustes, notamment sur la prévision des étiages, pour avoir quelques jours ou mois d’avance.» Cela passe par le fait d’installer plus de capteurs piézométriques pour suivre l’état des nappes et de suivre également le débit des rivières.« Des outils sont en train de se développer pour prévoir l’état de la ressource », confirme-t-elle.
La météo des nappes
« Quand on parle de changement climatique, on est sûr de pas grandchose, hormis que le climat change », estime, pour sa part, Benjamin Lopez, directeur Ile-de-France du Bureau de recherches géologiques et
minières (BRGM). « Va-t-il y avoir plus de sécheresse, plus de précipitations ? On ne sait pas trop », ajoute-t-il.
Le BRGM dispose d’un outil de suivi en temps réel et de prévision du niveau des nappes, baptisé « MétéEAU nappes ». Il intéresse de plus en plus les collectivités et permet une anticipation à trois ou six mois. « Mais
il ne marche pas tout seul et nous avons besoin de caler nos modèles hydrauliques avec des données historiques, indique Benjamin Lopez. Actuellement, il comporte 50 à 60 points (correspondant à des forages
modélisés). C’est peu au regard des 170 aquifères que nous considérons comme stratégiques et que nous aimerions pouvoir mieux suivre. »
L’idée est de passer à 600 points dans dix ans, en s’intéressant notamment aux communes qui ont été en rupture d’eau l’été dernier. « Mais leur liste est confidentielle », explique l’expert, le BRGM ayant
cependant demandé à y avoir accès pour les aider à mieux utiliser les ressources en eau disponibles. Ces communes pourraient ainsi savoir s’il est possible de faire un forage plus profond que celui existant ou de
mobiliser une autre nappe, ou alors de faire une interconnexion avec un autre réseau. Le BRGM se dit de plus en plus sollicité par les collectivités sur ce type de questions visant à éclairer un choix et à
étudier la pérennité des ressources en eau d’un territoire.« Un millier de communes ont pu être identifiées comme étant en rupture d’eau et dans la nécessité de mettre en place des solutions de secours (distribution de bouteilles d’eau ou citernage). Un autre millier sont passées près de la rupture » – Patricia Blanc
Après avoir réalisé une étude, « Explore 2070 », le BRGM travaille aussi à se projeter à l’horizon 2100, en utilisant les projections du Giec. « Cela reste compliqué de prévoir l’avenir, reconnaît Benjamin Lopez. Mais cela permet de faire tourner des modèles suivant plusieurs scénarios, ce qui est intéressant. »
Manque de données sur les prélèvements
Savoir comment les pluies rechargent les nappes représente une autre difficulté. Mais il est aussi difficile de savoir exactement ce qui est prélevé dans ces nappes par les multiples forages. C’est pour répondre
à ce problème que le Plan eau demande à installer des compteurs télérelevés sur ces pompages. « Dans notre bassin, la moitié des prélèvements n’est pas connue, surtout les plus petits », confirme Guillaume Choisy, directeur général de l’Agence de l’eau Adour-Garonne (AEAG). Ce qui implique que les redevances pour prélèvements ne sont pas payées, mais « le coût pour faire payer les redevances peut être supérieur aux recettes générées », ajoute-t-il.
« Sur les territoires côtiers, les prélèvements réalisés sans demande d’autorisation se sont développés, pour le tourisme, les petites industries ou des forages individuels. Nous prévoyons de faire des contrôles »,
révèle Guillaume Choisy. Pour le maire, qui dispose d’un pouvoir de police et pourrait faire contrôler ces forages individuels, le sujet est sensible.
Dans la commune de Saint-Martin-du-Var (2 900 hab., Alpes-Maritimes), dont il est maire, Hervé Paul reconnaît que seulement quelques forages ont été déclarés, alors que le village en compte plus d’une centaine. Et la situation ne devrait pas s’arranger, puisque les entreprises de forage tournent actuellement à plein régime. Sans forcément faire les démarches administratives, en piochant parfois dans la même réserve
d’eau que les collectivités et en pouvant avoir aussi un impact sanitaire ou sur la quantité de réserves disponibles.