La nouvelle stratégie nationale biodiversité face au défi de sa mise en œuvre
Le Gouvernement a présenté sa feuille de route pour la biodiversité à horizon 2030. L’enjeu est celui de la traduction effective de ce document théorique alors que les stratégies précédentes n’ont pas réussi à enrayer l’érosion du vivant.Biodiversité | 21.07.2023 | L. RadissonEnvoyer par e-mail
© Maren WinterNous allons réduire toutes les pressions qui s’exercent sur la biodiversité, a annoncé Elisabeth Borne
C’est en plein remaniement ministériel que le Gouvernement a présenté, jeudi 20 juillet, la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) à horizon 2030 aux membres du Comité national de la biodiversité (CNB). C’est donc la nouvelle secrétaire d’État à la biodiversité, Sarah El Haïry, qui va s’occuper de sa mise en œuvre après avoir occupé précédemment le poste de secrétaire d’État à la jeunesse dans les gouvernements Castex, puis Borne.
Le premier volet de cette stratégie avait été dévoilé en mars 2022 par sa prédécesseure, Bérangère Abba, dans l’attente de la 15e conférence des parties à la Convention sur le diversité biologique (COP 15). La stratégie aujourd’hui présentée prend en compte l’accord de Kunming-Montréal obtenu lors de cette COP et qui fixe un nouveau cadre mondial pour la biodiversité d’ici à 2030.
« Document plus précis »
« Partie intégrante de la planification écologique, notre stratégie nationale biodiversité suit une ambition forte : stopper, puis inverser en une décennie, l’effondrement du vivant », résume la Première ministre, Élisabeth Borne.
Suite à un travail interministériel, la structure de la stratégie a été simplifiée. Elle compte désormais 39 mesures, articulées autour de quatre axes (réduire les pressions, restaurer la biodiversité dégradée, mobiliser les acteurs, garantir les moyens d’atteindre ces ambitions), en lieu et place des 72 mesures présentées avec le premier volet. « Chaque mesure fait l’objet d’une fiche-mesure dédiée », vante le ministère de la Transition écologique. Des fiches qui précisent notamment le ministère ou l’opérateur pilote, l’objectif et la description de l’action, les indicateurs de suivi et une trajectoire.On a l’expérience de stratégies nationales qui sont validées et publiées, mais qui sont très rapidement amoindries et enlisées. Jean-David Abel, France Nature Environnement Il faut dire que les indicateurs en matière de biodiversité sont toujours dans le rouge alors que le bilan de la stratégie précédente (2011-2020), réalisé par l’Office français pour la biodiversité (OFB), était peu flatteur : insuffisance dans la mise en cohérence de l’action publique, absence de transformation des politiques sectorielles à l’origine des pressions, absence d’objectifs clairs, de cibles chiffrées et de plans d’action pour les atteindre, portage politique et gouvernance interministérielle faibles, absence de clarté dans la répartition des rôles, absence de dispositif de suivi et d’évaluation.
« Le document est plus costaud, plus systémique, plus précis que les précédentes stratégies, sur les cibles, les mesures, la prise en compte des objectifs de Montréal ou les financements nouveaux », salue Jean-David Abel de France Nature Environnement (FNE). « Mais la question est celle de la gouvernance : Comment est-ce suivi ? Par qui ? Quelles sont les phases de reporting ? Devant le CNB, le Parlement ? C’est Matignon qui pilote ? C’est l’OFB qui est son bras armé ? On n’a pas eu de réponse », regrette le représentant de FNE.
Le Gouvernement prévoit en tout cas de décliner cette stratégie nationale dans les territoires, sous le pilotage des préfets mais en synergie avec les Régions. Celles-ci ont été désignées cheffes de file biodiversité par la loi de reconquête de la biodiversité de 2016 et sont à l’origine, en lien avec l’OFB, des onze agences régionales de la biodiversité (ARB) existantes.
La réduction des dépenses dommageables dans le flou
En termes de financement, Bérangère Couillard, alors secrétaire d’État à l’Écologie, avait annoncé, le 12 juillet, 1 milliard d’euros (Md€) consacrés à la biodiversité en 2024, en cumulant le Fonds friches, le Plan eau, les crédits du Fonds restauration, auxquels s’ajoute une nouvelle enveloppe de 264 millions d’euros (M€). Une mission d’inspection, dont le rapport a été dévoilé en janvier dernier, pointait l’insuffisance de financement de la politique biodiversité. Une insuffisance sur laquelle avait déjà alerté les treize associations constituant le collectif CAP Nature et biodiversité.
Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France, salue aujourd’hui « le réel effort » que représente ces 264 M€ supplémentaires pour 2024, mais elle regrette l’absence de trajectoire financière jusqu’en 2027. Autre regret de la directrice du WWF : la réduction des subventions dommageables qui reste dans le flou. « Ils renvoient à une nouvelle mission sur ce point alors que l’on sait déjà qu’il y plus de 10 Md€ directs de soutiens publics ou de mesures fiscales qui concourent à dégrader la biodiversité, abonde Jean-David Abel de FNE. C’est un peu shadokien de continuer, d’un côté, à dégrader, notamment dans le domaine agricole, forestier ou des infrastructures, et, de l’autre, de mettre des fonds pour mieux préserver ou restaurer. Il est temps de mettre en cohérence l’ensemble des politiques publiques ».
« La révision du plan stratégique national, qui décline la politique agricole commune en France, n’est pas mentionnée alors que ce plan représente, toujours selon les inspections, 63 % des subventions dommageables à la biodiversité en France, soit 6,5 Md€ par an », pointe ainsi Véronique Andrieux. « Le travail actuel de Marc Fesneau sur les pesticides va complètement à l’encontre de la stratégie », relève aussi Jean-David Abel.
Après le jugement du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Paris, qui reconnaît la responsabilité de l’État dans l’effondrement de la biodiversité du fait de ses manquements en matière de gestion des pesticides, il est d’ailleurs intéressant de se pencher sur la mesure 6 de la SNB, qui vise la réduction des pollutions diffuses d’origine agricole. Cette mesure, dont le ministère pilote est celui de l’Agriculture, prévoit six actions, dont celle de « réduire les utilisations, les risques et les impacts des produits phytopharmaceutiques pour préserver la santé humaine et l’environnement ». Mais l’indicateur renvoie à ceux du futur plan Ecophyto 2030, dont les travaux n’ont été lancés que le 12 juillet dernier.
« Document théorique sans valeur réglementaire »
« On a l’expérience de stratégies nationales qui sont validées et publiées, mais qui sont très rapidement amoindries et enlisées parce que ce ne sont que des feuilles de route », déplore Jean-David Abel. « C’est un document théorique qui n’a aucune valeur réglementaire. On demande donc à ce que la SNB soit approuvée par le Premier ministre via un décret pour qu’elle puisse s’appliquer réellement à l’ensemble des départements ministériels ». « C’est tout le sens de la planification écologique », appuie Véronique Andrieux, qui, à cet égard, salue le fait que SNB soit placée sous la supervision du Secrétariat général à la planification écologique.
« Nous allons réduire toutes les pressions qui s’exercent sur la biodiversité. Nous travaillerons avec tous les acteurs et les professionnels, avec une attention particulière pour les secteurs qui ont le plus d’impact sur la biodiversité, notamment l’agriculture, la pêche, l’énergie ou la construction », assure de son côté Élisabeth Borne. Mais si l’intention de la Première ministre est sincère, encore faut-il qu’elle soit suivie d’effet et que la pérennité de son action soit assurée.
et l’analyse de LOCALTIS
Au terme d’un accouchement d’une durée inhabituelle, la nouvelle stratégie Biodiversité 2030 est enfin connue. Le travail avait débuté lors du précédent quinquennat, mais n’avait pu aboutir dans les temps. À l’approche du scrutin présidentiel, l’ancienne secrétaire d’État Bérangère Abba s’était résolue, la mort dans l’âme, à n’en présenter que « le premier volet » en mars 2022 (voir notre article du 16 mars 2022), en précisant qu’il serait complété « fin août-début septembre ». Il n’en a rien été. En octobre, la nouvelle titulaire du poste, Bérangère Couillard, reportait même l’échéance « au printemps prochain » (voir notre article du 11 octobre 2022), puis à nouveau « à l’été » (voir notre article du 30 mai). Finalement, c’est donc seulement ce 20 juillet que le texte a été présenté devant le Comité national de la biodiversité (CNB). Décidément maudit, il l’a été en plein remaniement ministériel (voir notre article du 20 juillet). Lequel ne permettra pas à Bérangère Couillard d’assurer le service après-vente, puisque remplacée par Sarah El Haïry, qui devra à son tour y mettre sa patte. Car l’aventure n’est pas terminée. Outre le CNB, le Conseil national de l’eau, le Comité national de la mer et des littoraux et le Conseil national de la protection de la nature doivent encore rendre leur avis fin septembre sur la version dévoilée, avant une publication définitive de la stratégie espérée à l’automne prochain.
Une nouvelle nouvelle stratégie
Sur le fond, en fait de volet complémentaire, c’est une stratégie entièrement remodelée qui a été dévoilée. C’était attendu, Bérangère Couillard ayant eu l’occasion de déplorer « beaucoup de manques » dans la version élaborée par sa prédécesseure (dont quantité de mesures sont toutefois reprises). Mais aussi du fait de la nécessaire transcription des engagements de la France pris lors de la COP 15 de Kunming-Montréal en décembre dernier (voir notre article du 12 juillet).
In fine, cette stratégie se compose de 39 mesures – dont plusieurs sont déjà connues, voire en cours d’exécution – qui s’articulent autour de quatre axes (contre cinq axes et 72 mesures affichés dans la version présentée par Bérangère Abba) : « réduire les pressions qui s’exercent sur les biodiversités » (18 mesures) ; « restaurer la biodiversité dégradée partout où c’est possible » (8 mesures) ; « mobiliser tous les acteurs » (8 mesures) ; « garantir les moyens d’atteindre ces ambitions » (5 mesures).
Collectivités en première ligne
Les collectivités devraient logiquement être en première ligne. Le rapport présenté aux instances souligne que « la biodiversité est par nature un sujet très local ». Il est ainsi prévu que la stratégie soit « territorialisée sous le pilotage des préfets, en synergie avec les stratégies régionales » que les régions doivent définir et mettre en œuvre depuis la loi du 8 août 2016 (voir notre article du 1er août 2016). On relèvera toutefois que la création d’un groupe permanent Régions de France/État sur la biodiversité et la mise en place d’une conférence annuelle ou biannuelle État/collectivités sur les politiques de biodiversité, prévues dans la précédente version, ont disparu.
Le rapport précise encore que pour sa mise en œuvre, la stratégie devra « être déclinée en plans opérationnels, en coordination avec les collectivités ». Il faudra donc se montrer patient pour rentrer pleinement dans le concret. L’accompagnement de l’action des collectivités territoriales fait néanmoins déjà l’objet d’une « fiche-mesure » spécifique, laquelle détermine trois actions à conduire.
• D’abord, « mieux intégrer les enjeux de biodiversité dans le cadre de la planification territoriale ». La nouvelle génération de contrats de relance et de transition écologique (CRTE) devra ainsi comprendre systématiquement un volet biodiversité (dans les diagnostics et les plans d’action). Il devrait en être de même dans la future génération des contrats de plan État-région (CPER). L’objectif est en outre de « renforcer la prise en compte des continuités écologiques dans les documents de planification (Sraddet, PLU(i) et Scot) ». Il en va de même avec la biodiversité dans les documents de gestion des sites patrimoniaux remarquables (PSMV et PVAP), qui sera considérée « comme un volet du patrimoine à protéger et à valoriser, notamment par le renforcement de la présence de la nature dans les centres urbains ».
• Ensuite, « accompagner les collectivités pour mieux connaître la biodiversité sur leur territoire, à travers les atlas de la biodiversité communale ». Leur généralisation sera promue, « sans toutefois rendre obligatoires ses démarches ».
• Enfin, « renforcer les leviers à la main des collectivités pour faire émerger et mener à bien des projets territoriaux ambitieux en matière de biodiversité ». Le gouvernement entend ici développer le recours à la démarche paysagère via un appel à projets, le renforcement des atlas paysage et le déploiement d’une formation aux élus. Il vise également à déployer un dispositif d’appui « pour l’émergence de récits territoriaux co-construits ».
… et en deuxième ligne
Nombre d’autres mesures présentées (ou rappelées) concernent également plus ou moins directement les collectivités. Il en va par exemple ainsi avec la lutte contre les espèces toxiques envahissantes, avec la formation aux enjeux de la biodiversité de 30.000 élus (maires en priorité, mais aussi élus départementaux) et de 3 millions d’agents des collectivités d’ici 2030, avec « la généralisation de l’approche du budget vert pour les financements publics » (s’y ajoute un accompagnement des collectivités qui souhaiteraient développer un tel budget à compter de l’exercice 2024) ou encore avec la « mobilisation des citoyens tout au long de la vie », ne serait-ce que par ce qu’ »un établissement scolaire sur trois (niveaux école et collège) disposera d’au moins un projet d’aire éducative qui permet aux élèves de comprendre et protéger un petit bout de territoire proche » d’ici la fin du quinquennat. Il en va naturellement de même avec les mesures spécifiques visant à « restaurer les continuités écologiques » et à « ramener de la nature en ville » (un renforcement du plan Nature en ville est prévu). Par exemple, chaque région devra identifier d’ici 2025 les principaux obstacles à ces continuités (les « points noirs » prioritaires), qui devront être résorbés d’ici la fin de la décennie.
Des volets financements et gouvernance réduits à la portion congrue
Au-delà de ces mesures, le principal ajout attendu avait trait au volet financement. En l’espèce, le document se fait peu disert. Le rapport se borne à rappeler que « dès 2024, le budget de l’État et ses opérateurs augmente de 264 millions d’euros pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale biodiversité 2030, en sus de la pérennisation des moyens mobilisés sur le fonds friche (300 millions d’euros par an) et la renaturation (100 millions par an) dans le cadre du fonds vert, le renouvellement forestier porté dans le cadre de France 2030 et la résorption des décharges littorales ». Un montant récemment annoncé par la Première ministre (voir notre article du 12 juillet). Il précise la répartition de cette somme : 114 millions d’euros pour renforcer l’effectivité des aires protégées, 80 pour les écosystèmes, 18 pour la protection des espèces, 15 pour la biodiversité des milieux forestiers, 6 pour les milieux marins et 6 pour la restauration des sols. En revanche, aucune trajectoire n’est fixée jusqu’en 2030. Relevons que si le rapport souligne que « l’essentiel des financements actuels provient de l’État et de ses opérateurs » (1,3 milliard d’euros sur le périmètre des politiques de biodiversité et 1 milliard sur les « politiques connexes »), les collectivités sont loin d’être en reste. Selon le rapport, leurs dépenses directement favorables à la biodiversité représentaient en 2021 près de 900 millions d’euros– « avec une part prépondérante des départements (430 millions d’euros) » –, auxquels il faut ajouter 400 millions d’euros pour les politiques connexes.
De même, le « volet gouvernance » promis en 2022 par Bérangère Abba se fait plus que succinct. Pour l’essentiel, le rapport évoque « une gouvernance innovante, pleinement interministérielle et supervisée directement par Matignon » – spécifiquement par le secrétariat général à la planification écologique.