Hausse du niveau de la mer : «Il faut choisir les zones côtières qu’on continuera à protéger et celles qu’on abandonnera» IT vu dans Libé
Le sort des villes côtières face à l’élévation de la mer est au menu du sommet One Planet Polar à Paris. Théophile Bongarts Lebbe, qui pilote un projet réunissant ONG et organismes scientifiques, estime qu’il reste beaucoup à faire pour adapter le littoral.
par Margaux Lacrouxpublié le 9 novembre 2023 à 13h02(mis à jour le 9 novembre 2023 à 13h07)
La fonte des glaces fait monter l’océan et menace en premier lieu les villes côtières. D’ici 2100, la hausse du niveau de la mer pourrait atteindre 1,10 mètre et rayer de la carte les lieux de vie d’un milliard de personnes. Mais encore peu de territoires s’y préparent. Ce jeudi 9 novembre à Paris, en plein sommet One Planet Polar pour lutter contre la fonte des glaciers et des glaces polaires, la Plateforme Océan & Climat, qui rassemble une centaine d’organismes de recherche et d’ONG, présente ses recommandations pour adapter les littoraux mondiaux aux bouleversements à venir. Les territoires doivent au plus vite planifier leur stratégie. Car il faudra relocaliser une partie des habitants, ce qui réclame des financements considérables et risque d’accroître les inégalités. Beaucoup reste à faire, estime Théophile Bongarts Lebbe, responsable de l’initiative Seat’ies, un projet mené par la Plateforme Océan & Climat en collaboration avec le CNRS et destiné à éclairer les décideurs politiques.
Les villes côtières devraient-elles se coordonner pour se préparer à ce qui les attend ?
L’adaptation des villes côtières au changement climatique est trop peu prise en compte à l’échelle internationale : pas d’institution onusienne qui travaille sur leur adaptation, ni même de programme et pas de fonds monétaire dédié à l’international. De manière générale, les risques qui viennent de l’océan ne sont pas identifiés comme des menaces prioritaires. Avec des scientifiques et le soutien du CNRS, nous avons donc travaillé pendant quatre ans sur la façon dont les villes côtières sont touchées, puis sur les solutions. Il faut une approche durable, pertinente à long terme, intégrée, sensible aux questions de justice sociale pour s’adapter de la meilleure des façons, plutôt que de faire vite et mal.
Quelles sont les principales conséquences de la montée des eaux pour les villes en bord de mer ?
D’abord, le phénomène lent de l’érosion, ce grignotage des côtes par la mer, menace les habitations. Mais aussi les ports, les aéroports, le système électrique ou encore les infrastructures d’assainissement telles que les stations d’épuration historiquement installées près des côtes. Il y a ensuite le phénomène violent des vagues de submersion lors des tempêtes. Elles pénètrent davantage à l’intérieur des territoires, peuvent avaler 150 mètres de plage d’un coup, causer des inondations et dégâts très importants. On l’a vu à La Rochelle lors de la tempête Xynthia en 2010. Lorsque le niveau de la mer sera plus élevé, les conséquences pour les côtes seront bien plus dévastatrices.La salinisation des terres agricoles et des nappes phréatiques constitue un autre danger. Outre les dommages économiques, la dimension sociale est importante. Dans les Etats de la zone Pacifique, il y a une vraie relation avec la mer : quand une zone côtière n’est plus accessible, une partie de la culture part à l’eau. Au Sénégal des cimetières sont déjà recouverts par les eaux, on doit déterrer les morts. Ne sous-estimons pas l’aspect traumatique de ces changements.
Les littoraux restent pourtant très prisés, notamment en France…
Oui, surtout en France métropolitaine. D’autres régions du monde sont restées plus humbles face aux éléments. En Polynésie française, on n’habite pas forcément en bord de mer mais dans des zones naturellement protégées car plus en hauteur. En Guyane, on ne s’installe pas dans l’embouchure des fleuves, dont le lit fluctue considérablement d’une année sur l’autre. En métropole, à l’inverse, la construction en front de mer ne ralentit pas malgré les risques. Environ 40 % des habitations sont des résidences secondaires. Tout l’enjeu est de sensibiliser les populations et de les accompagner pour leur faire comprendre qu’à terme il ne sera plus possible de vivre partout sur la côte. De manière générale, en occident, il y a un enjeu d’acceptabilité énorme car les populations ont pris l’habitude de s’installer sur le littoral. Maintenant que le niveau de l’eau monte de manière inexorable, il faut les inciter à se déplacer.A lire aussi
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Nous n’aurons d’autre choix que de battre en retraite face à la mer ?
Cela se fera au cas par cas, à l’aide d’une combinaison de solutions. Une chose est sûre : on ne pourra pas se maintenir partout. A long terme, il faut choisir ce qu’on continuera à protéger au moyen de digues, par exemple un centre-ville densément peuplé, et quelles seront les zones à abandonner. L’adaptation ne doit donc pas être seulement pensée à l’échelle de la ville mais du territoire. Par exemple, les digues protègent un lieu mais exacerbent l’érosion quelques kilomètres plus loin, il faut faire attention à ce qu’on nomme les «transferts d’impacts».
Ne pourrait-on pas s’appuyer davantage sur la nature pour former des barrières naturelles contre la mer ?
Oui, en redonnant de l’espace aux écosystèmes côtiers pour freiner l’érosion, comme les prés-salés ou les dunes qui bougent naturellement quand on n’a pas construit d’immeubles derrière elles. Au sud de La Rochelle, certaines digues ont été abattues et la mer entre à nouveau dans une partie des terres. Cela a permis de reconstituer une zone humide extrêmement intéressante : elle s’élève au même rythme que la mer car des sédiments s’y déposent et stockent même du CO2. Mais cela suppose qu’il y ait de la place dans le voisinage des villes. Dans d’autres régions du monde, on replante des mangroves [écosystèmes de marais maritime des régions tropicales composés principalement de palétuviers] qui tiennent les sols et freinent les vagues aussi bien que les digues. Surtout, le principe devrait être de préserver les zones encore naturelles plutôt que de restaurer la nature là où on a déjà artificialisé les sols.
Jusqu’ici, l‘adaptation mise en œuvre est-elle bonne ?
Partout dans le monde, les solutions mises en œuvre sont surtout de court terme : on construit des ouvrages de protection (digues, murs, épis) pour faire face à la mer. Ce qui paraissait normal à une époque où le niveau de l’océan était stable ne marche plus aujourd’hui. Malgré tout, de tels projets continuent à être financés par la Banque mondiale. Cela coûte une fortune et dans dix ou vingt ans, il faudra tout recommencer. Jakarta, la capitale Indonésienne qui est menacée par la montée des eaux, a de son côté commencé à relocaliser en urgence son quartier administratif, sans vraiment savoir ce qu’il adviendra des quartiers pauvres. Cette partie de la ville va être reconstruite sur l’île de Bornéo au détriment de la forêt. C’est une aberration écologique. Toute relocalisation, complexe par essence, risque de détruire des espaces naturels si elle n’est pas réellement anticipée.Reportage
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Et la France ?
Le pays compte de nombreux ouvrages de protection mais nous nous orientons vers une approche de recomposition spatiale où on hybride les solutions de protection, de relocalisation et les solutions fondées sur la nature. Plus récemment, la loi climat et résilience a instauré une réflexion sur l’évolution du trait de côte, cela va dans le bon sens à condition d’accompagner financièrement les territoires.
Le temps presse ?
Il reste un peu de temps mais il faut planifier dès maintenant, à 30, 50 et 100 ans. Tous les acteurs des villes côtières, la population et les secteurs économiques, doivent être concertés. C’est valable aussi à l’intérieur du territoire, qui va devoir accueillir des habitants et mettre la main au pot pour aider à l’adaptation côtière. Car une commune directement touchée ne pourra pas tout financer à elle seule. L’adaptation ne réclame pas forcément des solutions très technologiques mais elle aura un coût important.
Quelles sont les villes pionnières de l’adaptation ?
Aux Pays-Bas, la ville de Flessingue a réaménagé des rues perpendiculaires à la mer. Si celle-ci entre lors d’une vague de submersion, la rue végétalisée devient une sorte de canal qui freine le courant et conduit l’eau dans un marais plus lointain. C’est une autre piste d’adaptation : «faire avec» en créant une ville «waterproof» ou éponge, capable de continuer à fonctionner lors d’événements extrêmes.
La ville de Santa Cruz, au sud de San Francisco, en Californie, a conçu des solutions dites «dynamiques». Comme à Biarritz, avec une grande plage, beaucoup de tourisme et de surf, elle est très menacée par les tempêtes. L’idée est de prendre en compte les incertitudes futures, car il est compliqué de savoir exactement quel sera le niveau de la mer à l’avenir. La ville a construit différentes trajectoires d’adaptation et en fonction de la réalité, elle ajustera, bifurquera. Toute la population a été associée, les personnes les plus pauvres ont même été rémunérées pour prendre le temps de participer aux réunions de concertation.
Dans vos recommandations, vous insistez sur risque de gentrification climatique, est-ce déjà le cas ?
Oui. L’adaptation pourrait profiter d’abord aux plus riches, comme à Miami où les zones hautes, historiquement habitées par des populations pauvres, sont en train d’être rachetées par les promoteurs immobiliers pour y installer les riches, jusqu’alors installés sur le bord de mer. Les populations les plus vulnérables vont devoir déménager, parfois vers d’autres Etats car elles n’ont pas les moyens de se relocaliser à proximité. Il faut au contraire les intégrer pour penser un futur désirable pour tous. L’adaptation pourrait permettre de réduire les inégalités. A l’inverse, des personnes nous sollicitent pour édifier des îles flottantes en mer. Cela ne constitue pas une solution pour la société dans son ensemble.