Maïouri nature: le Conseil d’Etat donne raison/ Lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane
Objet : Quand une décision du Conseil d’Etat cache une belle victoire !
Le 20 décembre, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité du pouvoir reconnu au préfet de délivrer aux opérateurs miniers légaux des autorisations d’exploiter des
gisements aurifères sur un site orpaillé illégalement. Malgré le rejet de la demande
d’annulation de cette disposition, le Conseil d’Etat émet une réserve quant à la
procédure applicable, précisant que l’autorisation au terme d’une procédure de
sélection, est soumise à une évaluation environnementale et à l’accomplissement
d’une procédure de participation du public. Une précision qui devrait calmer les
ardeurs des exploitants qui pensaient pouvoir se passer d’étude d’impact et de l’avis
de la population, ce que redoutait l’association Maiouri Nature Guyane compte tenu
du flou entretenu par le nouveau code de l’environnement.
En janvier 2023, l’association Maiouri Nature Guyane avait déposé une requête en
annulation visant l’ordonnance n° 2022-1423 du 10 novembre 2022 portant diverses
dispositions relatives au code minier et plus précisément l’article 5 point 18°) dudit
document, concernant l’implantation d’opérateurs miniers légaux sur des sites illégalement orpaillés.
Au regard des pressions exercées par les professionnels du secteur sur les instances
politiques régionales et nationales pour se voir autoriser à exploiter des sites clandestins, l’association avait fait valoir que le gouvernement avait à la fois outrepassé la compétence à légiférer sur le sujet, mais aussi que l’adoption de cette procédure particulière était un détournement de pouvoir dès lors que, en adoptant l’ordonnance litigieuse, l’autorité administrative n’a poursuivi aucun but d’intérêt général. Elle a en réalité obéit à des préoccupations d’ordre privé, en cherchant à satisfaire les demandes des opérateurs miniers légaux qui réclament la possibilité de s’installer sur les sites clandestins depuis de nombreuses années.
Cette dernière demande n’a pas été retenue par les juges, à notre regret car l’association avait pourtant fourni de multiples preuves et témoignages au soutien de son argumentation
Cependant, ce refus du Conseil d’Etat se révèle être un véritable atout caché dans la
manche des associations de défense de l’environnement en Guyane.
En effet, les opérateurs miniers qui souhaiteront bénéficier d’une autorisation préfectorale pour exploiter un site orpaillé illégalement, devront mener à leur frais une évaluation environnementale présentant l’état du site et les incidences de leur projet sur la biodiversité, l’eau, les sols, etc…
De plus, la décision rappelle l’obligation de mener une procédure de participation du public, ce qui, aux yeux de l’association Maiouri Nature Guyane, ne peut être assuré par la simple consultation électronique prévue par le nouvel article L 621-4-1 du code minier. Il s’agit en effet d’une aberration étant donné le difficile accès à internet sur le territoire de Guyane et le fait que bon nombre des habitants ne dispose pas des moyens techniques pour accéder à ces informations. Cette décision du Conseil d’Etat devrait être un rappel à l’ordre pour l’Etat français quant à ses obligations constitutionnelles en matière de droit à l’information et la participation du public découlant de la Convention d’Aarhus.
Maiouri Nature Guyane tient à rappeler qu’installer des orpailleurs légaux sur les sites clandestins est tout sauf une bonne idée. Les légaux ne chassent pas les illégaux, c’est tout le contraire. Les orpailleurs illégaux, attirés par les infrastructures construites au profitdes orpailleurs légaux, s’engouffrent à leur suite, ce que Systext, association spécialisée dans l’étude des impacts humains, sanitaires, sociaux et environnementaux de l’industrie minière, appelle l’effet « Boite de Pandore ».
Il s’agit d’une situation connue depuis les origines de l’orpaillage en Guyane, à la fin du XIXe siècle où les compagnies minières disposant de concessions légales avaient déjà autour d’elles, les “bricoleurs” et les “maraudeurs”, des chercheurs illégaux, qui n’avaient pas de permission des propriétaires, mais qui finissaient par acheter à prix d’or leurs vivres aux commerçants installés sur les concessions minières.
Ce système bien installé perdure encore aujourd’hui. Il est donc absolument nécessaire de prendre en considération ces mécanismes crapuleux, pour enfin endiguer le phénomène de l’orpaillage illégal.
L’Etat français doit tirer toutes les conclusions de la décision du Conseil d’Etat et
revoir sa copie pour sortir de cette spirale infernale qui n’apporte aucune réponse au fléau de l’orpaillage en Guyane.
Annexe
Pour rappel, extraits des experts cités dans les conclusions du rapport de la commission d’enquête sur l’orpaillage illégal de 2021 :
“À l’image du site de Darlin, où l’installation d’activités légales a été suivie du
développement d’une dizaine de sites clandestins, plusieurs personnes auditionnées par la commission d’enquête ont témoigné du caractère non dissuasif de la présence d’activités d’orpaillage légal sur les garimpeiros :
– pour M. Frédéric Mortier, l’analyse de la période 2010-2012 fait apparaître une
certaine porosité entre les activités légales et illégales, qu’il s’agisse des flux logistiques, de l’approvisionnement en carburant et en matériel, de l’exploration de site au profit d’exploitants légaux par des illégaux, du développement d’activité illégale à proximité de sites légaux, ou même « de revendications d’exploitants légaux pour faire baisser le niveau des exigences administratives et environnementales du fait de l’orpaillage illégal ». ([65])
– D’après les autorités du PAG, la comparaison des surfaces faisant l’objet de titres
miniers aux chantiers illégaux identifiés par l’Observatoire des activités minières fait
apparaître une proximité entre les deux. Pour le PAG, il existe même des cas « où l’octroi de titres miniers ou d’autorisation d’exploitation dans des secteurs jusqu’alors exempts de toute activité aurifère a été suivi par l’arrivée dans la zone d’orpailleurs illégaux. » ([66])
– Le président de Guyane Nature Environnement (GNE), M. Rémi Girault, a
rapporté que l’Observatoire des activités minières avait évalué à 10 % ou 20 % la proportion des sites exploités par les orpailleurs illégaux situés dans un rayon de 5 km des sites légaux « l’activité légale ne fait donc pas fuir l’activité illégale. Le contraire est même plutôt vrai. » ([67])
La délégation de la commission d’enquête en mission en Guyane a constaté que
les orpailleurs illégaux pouvaient bénéficier indirectement des infrastructures mises en place pour les activités légales d’orpaillage, comme l’ouverture de pistes. Par ailleurs, l’arrêt de l’exploitation légale à l’épuisement du gisement est souvent suivie d’une exploitation illégale en repasse.”