Suppression du ministère de la Transition énergétique : l’inquiétude des fonctionnaires
Lors du remaniement, le ministère de la Transition énergétique a été supprimé. Le portefeuille a été transféré au ministère de l’Économie. Une décision qui surprend, voire inquiète certains fonctionnaires.
Lorsque Mathilde [*] a appris que le domaine de l’énergie allait être transféré au ministère de l’Économie, elle reconnaît avoir été déçue. « Ça m’a donné l’impression d’un retour en arrière », raconte cette fonctionnaire qui appartenait jusqu’ici au ministère de la Transition énergétique.
Le 11 janvier, lors de la nomination du gouvernement de Gabriel Attal, Mathilde et ses collègues ont eu la surprise de découvrir qu’ils n’allaient plus dépendre d’un ministère de plein exercice, dirigé par Agnès Pannier-Runacher, mais qu’ils allaient être envoyés à Bercy pour rejoindre le grand ministère de l’Économie. Le secteur de l’énergie était pourtant sous le giron du ministère de l’Écologie (ou apparenté) depuis 2007, afin de centraliser les leviers de la transition énergétique tout en surveillant leur impact environnemental.
« Une reprise en main de l’énergie avec seulement un angle industriel et financier »
« Je trouve ça dommage, commente Mathilde. On avait expérimenté pendant dix-huit mois le fait d’avoir un ministère en propre, c’était un bon signal qui montrait que les sujets de transition énergétique étaient une priorité du gouvernement. Maintenant, je suis un peu perdue. Est-ce que ça veut dire qu’on ne va voir l’énergie que sous le prisme industriel et économique, et plus sous le prisme environnemental ? »
« On a l’impression qu’il y a une reprise en main de l’énergie avec seulement un angle industriel et financier, approuve Louis [*], qui travaille au ministère de la Transition écologique. Or l’énergie ce n’est pas que ça ! C’est aussi lié au climat, à la sobriété, à la transition, au monde qu’on cherche à avoir. »
Avec le déménagement des services de l’énergie, les fonctionnaires craignent de perdre cet « aspect global ». « La transition énergétique, c’est un tout, insiste Nicolas [*], qui appartient également au ministère de la Transition écologique. Elle se traduit par des documents : la stratégie nationale bas carbone, la programmation pluriannuelle de l’énergie… Pour ça, il faut avoir une vision globale du secteur énergétique. Donc ce découpage, cette vente par appartements, nous paraît très préjudiciable à la transition énergétique et écologique. »
Moins d’efficacité ?
Le décret du 24 janvier a précisé les attributions du ministère de l’Économie : il est compétent pour mener la politique de l’énergie (sécurité d’approvisionnement et d’accès à l’énergie, promotion de la transition énergétique, lutte contre la précarité énergétique, etc.) en association avec le ministère de la Transition écologique ; il représente le Premier ministre dans les négociations européennes et internationales sur l’énergie ; et il a autorité sur la direction générale de l’énergie et du climat, en cotutelle avec le ministère de la Transition écologique.
Dans une tribune publiée le 18 janvier dans le journal Le Monde, un collectif de hauts fonctionnaires et de chercheurs avait plaidé a minima pour cette cotutelle. « Si les attributions ministérielles sont aisément transférables politiquement, il n’en est pas de même des administrations, dont l’organisation se construit sur des années, avaient argué les auteurs. Ce remaniement risque de mettre à mal l’efficacité des administrations au service des politiques publiques énergie-climat de la France. »
« Dans les faits, je ne suis pas sûr que le basculement à Bercy va changer énormément de choses dans nos façons de travailler, relativise Louis. Peut-être que travailler avec des cabinets ministériels moins sensibilisés aux questions environnementales va nous créer des difficultés. Mais je pense que là où ce sera compliqué, ce sera surtout au niveau des arbitrages ministériels. »
Le Maire plus écouté que Béchu ?
Car Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, est en avant-dernière position de l’ordre protocolaire du gouvernement — sorte de hiérarchie des ministres. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, est lui en deuxième position. « Cet ordre protocolaire a des effets très concrets, explique Nicolas. L’écoute que reçoivent un ministre et les membres de son cabinet en réunion interministérielle, c’est lié à cet ordre hiérarchique. » Autrement dit, Bruno Le Maire sera davantage entendu que Christophe Béchu au moment de prendre des décisions.
« Sur les enjeux de conciliation de la politique énergétique avec la préservation de la biodiversité, on pense que l’arbitrage sera plus en faveur de l’énergie, prévoit Mathilde. On a aussi un peu peur que lorsqu’il y aura des arbitrages budgétaires à faire, on favorise le nucléaire plutôt que les énergies renouvelables. » Elle précise toutefois que si le gouvernement a parfois tendance à ne pas trop parler des énergies renouvelables « pour ne pas froisser une certaine partie de la classe politique », il pousse en interne pour accélérer leur développement.
De son côté, un haut fonctionnaire rappelle en grinçant que les grandes décisions de la politique énergétique de la France ne sont décidées ni par Agnès Pannier-Runacher, Bruno Le Maire ou Christophe Béchu, mais par Emmanuel Macron. Autrement dit : bien que symbolique, ce remaniement ne changera pas grand-chose aux orientations impulsées par l’Élysée depuis 2017.
La crainte de la censure
Les fonctionnaires vont quand même devoir se plier aux positionnements de Bruno Le Maire. « Quand les cabinets nous demandent une note de positionnement d’expertise, parfois il faut écrire quelque chose à un ministre, et pas tout à fait la même chose à un autre, confie Nicolas. Il est évident que les commandes passées à la direction générale de l’énergie et du climat seront des commandes pour répondre aux orientations de Bruno Le Maire, notamment industrialistes, qui sont par exemple la simplification des normes. » Soit les différentes façons de faciliter les démarches des porteurs de projet, quitte à alléger les études d’impact environnemental.
De quoi donner le blues à certains fonctionnaires. « Il y a des collègues au ministère de la Transition énergétique qui sont investis dans leur métier, qui croient en ce qu’ils font. Ils peuvent avoir un peu d’états d’âme à partir à Bercy, à se demander s’ils devront se censurer dans leurs propositions », poursuit Nicolas. Plusieurs personnes font remarquer que les changements de hiérarchie et de répartition peuvent perturber l’efficacité des services et le moral des agents, des éléments qui « comptent aussi » dans l’application des politiques publiques.
Reste une question : Bruno Le Maire gérera-t-il tous les dossiers énergétiques, ou (hypothèse plus probable) les confiera-t-il à un ministre délégué ? Le nom de Roland Lescure, ministre chargé de l’Industrie dans le précédent gouvernement d’Élisabeth Borne, circule. Mais, près de trois semaines après la nomination de Gabriel Attal, les fonctionnaires en ont assez des rumeurs : « On ne sait pas pourquoi ça traîne comme ça. »
Athena 21