Exploitation minière des fonds marins : les négociations patinent à quatre mois de l’échéance
La communauté internationale a jusqu’à fin juillet pour s’accorder sur un cadre réglementaire à appliquer à l’exploitation minière des fonds marins. Et compte tenu de la conclusion des dernières discussions, le calendrier sera serré. F. Gouty
© BenL’accord de fin juillet doit aboutir sur un code minier international et sur le choix entre la poursuite ou l’abandon de toute exploitation minière.
La question de l’exploitation minière des fonds marins n’est toujours pas tranchée. Après onze jours de discussion, tenue jusqu’au 29 mars à Kingston en Jamaïque, les délégations des trente-six membres du Conseil de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) des Nations unies ne sont pas encore parvenues à un consensus. « Cette nouvelle réunion s’achève avec des divergences d’opinion sur le développement d’un projet de code minier, a résumé la Coalition pour la conservation des fonds marins (DSCC). Cependant, la nécessité d’un moratoire attire une convergence croissante. »
Une échéance controversée
Le compte à rebours est désormais lancé pour trouver un terrain d’entente avant la fin du mois de juillet prochain. Le siège jamaïcain de l’AIFM y accueillera en effet la seconde partie de sa vingt-neuvième session. Celle-ci devra aboutir à un accord sur un code minier international et à un choix entre la poursuite ou l’abandon de toute exploitation minière. Deux décisions que devra prendre le Conseil, d’abord, d’ici au 26 juillet, puis que devra confirmer l’Assemblée (qui réunit les 169 pays de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer) d’ici au 2 août.
Une échéance qui, si elle n’est pas respectée, pourrait subir les conséquences d’une autre : celle promise par The Metals Company. Cette société minière canadienne s’est engagée publiquement à déposer une demande d’autorisation d’exploitation, à travers sa filiale Nauru Ocean Resources Inc (NORI), « à la fin de la réunion de juillet ». Le tout en promettant ainsi de démarrer son activité d’ici à la fin de l’année 2025. Pour rappel, la même entreprise avait ouvert, par cette intention, le débat en question en 2021 après une première demande présentée au gouvernement micronésien de Nauru. Une fenêtre d’examen de deux ans avait été ainsi ouverte, allongée d’un an en juillet dernier face au dissensus des membres de l’AIFM.
Les négociations se complexifient“ La nécessité d’un moratoire attire une convergence croissante ”DSCCEn ouverture de la réunion à Kingston, les représentants du Conseil de l’AIFM ont eu à s’exprimer sur un ensemble consolidé de propositions de mesures et de réglementations, glanées au fil des dernières réunions, à inscrire dans le futur code minier. Une sorte d’avant-projet de texte dont les deux tiers n’ont pas été abordés lors des discussions. D’autant plus que son contenu a été critiqué pour son manque d’exhaustivité. « Plusieurs délégations ont observé que certaines suggestions, qui n’avaient pas été contrées ou très peu, n’apparaissaient pas et, qu’à l’inverse, d’autres émanant d’entreprises minières étaient mentionnées alors qu’elles n’avaient pas été préalablement consultées par les membres du Conseil », résume l’équipe de l’Institut international pour le développement durable (IISD), l’une des ONG observatrices des débats.
Les critiques se sont étendues jusqu’au travail du secrétaire général de l’AIFM, Michael Lodge. Ce dernier a, par exemple, « soutenu l’idée d’imposer une distance de sécurité d’au moins 500 mètres d’un navire d’extraction, pour interdire ne serait-ce que toute mobilisation militante pacifique à l’encontre d’une industrie qui n’existe même pas encore », soulève Louisa Casson, chargée de mission sur l’exploitation minière des fonds marins chez Greenpeace. Une mesure sollicitée directement en réaction à l’action des militants de l’ONG envers un navire de The Metals Company, stationnée au-dessus de la zone de fracture de Clipperton (site d’intérêt pour l’entreprise minière en raison de la présence d’une grande quantité de nodules polymétalliques sur le fond) dans l’océan Pacifique, en novembre 2023. Michael Lodge, par ailleurs accusé de lobbying à la suite de fuites d’information révélées par le New York Times en 2022, arrivera au terme de son deuxième mandat à la tête de l’AIFM à la fin de l’année.
Les positions de la France
Membre du Conseil de l’AIFM cette année, la France a été représentée en Jamaïque lors de cette dernière réunion. Elle a notamment pris position sur trois des principaux sujets discutés, d’après les observations de l’IISD. Elle s’est d’abord prononcée contre l’idée (finalement non retenue) de poursuivre les négociations de manière informelle, entre les réunions officielles, pour accélérer vers l’élaboration du code minier recherché – au risque d’altérer la nature d’un texte qui « manque encore de la maturité nécessaire ». En cela, elle a rappelé que « rien ne peut être acté sans que le texte entier lui-même fasse l’objet d’un accord ». Ensuite, elle a proposé un nouveau critère réglementaire d’identification des sociétés dépositaires d’une demande d’autorisation qui n’auraient pas satisfait au bon respect des conditions environnementales que le futur texte se fixera. Une manière d’assurer un maximum de transparence et de rigueur de la part des entreprises intéressées. Enfin, la France s’est exprimée contre l’idée d’établir des zones d’exclusion autour des navires, soulignant le droit à la manifestation. Quelques propositions ont malgré tout été actées, comme la durée maximale d’une autorisation d’extraction confiée à une entreprise (trente ans). Du reste, les discussions restent ouvertes sur le niveau d’impact environnemental à juger comme raisonnable, sur les modalités de réparation ou de compensation financière en la matière (notamment sous la forme d’un possible fonds international alimenté par l’entreprise responsable), sur un éventuel régime de taxation pour toute activité minière ainsi que sur la création d’un organe d’inspection de ces activités au sein de l’AIFM. En l’état du rythme des négociations, Emma Wilson, spécialiste des questions politiques pour la DSCC, craint que les pays finissent par se retrouver face à un « faux choix : réussir à tomber d’accord sur un code minier encore plein de lacunes et de défauts ou autoriser l’exploitation minière sans avoir de quoi la réguler proprement ». Pour elle, la seule véritable option qui leur reste est celle « d’adopter un moratoire et d’attendre que la science comble les méconnaissances sur les véritables impacts environnementaux d’une telle industrie ».
L’option du moratoire de plus en plus prégnante
À l’heure actuelle, vingt-cinq pays approuvent officiellement une forme de moratoire. Le Danemark s’est ajouté à la liste dès les premiers jours des discussions à Kingston, soutenant une « pause de précaution » (d’une durée encore indéterminée) le temps « de pouvoir implémenter un cadre réglementaire robuste (et) d’accueillir suffisamment de données scientifiques sur les fonds marins et les impacts potentiels de leur exploitation minière ». Parmi les vingt-quatre autres pays concernés, seule la France milite actuellement pour une interdiction pure et simple. D’autant que, pour Matthew Gianni, cofondateur de la DSCC, le jeu n’en vaut peut-être même pas la chandelle : « Les trois millions de tonnes de métaux critiques, que nous pourrions extraire chaque année des fonds marins, nécessiteraient six cents années de travail et ne représenteraient ainsi qu’une fraction minime de plus au volume total d’approvisionnement par an. »
Félix Gouty, journaliste
Rédacteur spécialisé,Vu dans ACTU environnement: