ST Joseph (Martinique) problèmes d’eau
Yann Monplaisir ne mâche pas ses mots au lendemain de la mobilisation de plusieurs de ses administrés en panne d’eau depuis plus d’une semaine. Pour le maire de Saint-Joseph, « ce n’est pas la France, ce n’est pas le gouvernement, c’est notre autorité locale qui a été défaillante ».Guy Etienne • Publié le 14 mai 2024 à 16h43
La tension est au maximum dans tous les foyers, commerces et institutions en restriction d’eau depuis le début de la rude sécheresse qui frappe la Martinique actuellement. Cette année encore, le débit des rivières de captation est au plus bas, d’où les restrictions draconiennes décidées par les acteurs de la gestion de la ressource, en lien avec l’Etat.
Par exemple plusieurs écoles privées d’eau sont contraintes à la fermeture, tandis que des établissements de santé touchés par la pénurie, peinent à assurer l’hygiène quotidienne de leurs patients. C’est le cas en particulier à l’hôpital de Saint-Joseph où le personnel est en mode « système D ». Les particuliers eux, sont excédés à l’image de Gisèle, à cause de tours d’eau éphémères.
J’ai 75 ans, je suis en galère, j’ai des pathologies, j’ai toutes les difficultés… ce n’est pas normal que les piscines se remplissent au sud et qu’à Saint Joseph où il y a des réserves d’eau, il faut que je fasse caca rapidement pour tirer la chasse, quand je me douche c’est tout aussi rapide. Après il faut vite brancher la machine à laver… Je suis stressée depuis une semaine.Gisèle, une riveraine joséphine
Après s’être mobilisé aux côtés de ses administrés lundi 13 mai 2024 sur le site de stockage de la ville (au quartier Rivière-Blanche) en compagnie de quelques membres de l’association écologique (l’Assaupama), le maire de la commune s’interroge et ne contient plus ses critiques à l’endroit des responsables de la gestion de l’eau en Martinique.
13 millions dus au délégataire du service de l’eau
Selon Yann Monplaisir, un arriéré de dette de 13 millions d’euros de la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) dû à la SAUR – Société d’Aménagement Urbain et Rural (l’opérateur délégué du service public de l’eau potable sur le territoire), serait un des nœuds du problème, pour « une distribution plus équitable ».
Je considère qu’il faut être transparent avec la population. Quand on ne paye pas son fournisseur, ce dernier a nécessairement des difficultés. De ce fait, la SAUR ne pratiquait pas les travaux d’entretien pour lesquelles elle s’était engagée contractuellement. Cela remonte à 2023. Conséquence, le chantier a été différé pour être engagé en pleine période de carême (…). Ce n’est pas la France, ce n’est pas le gouvernement, c’est notre autorité locale qui a été défaillante.Yann Monplaisir, maire de Saint-Joseph
Au lendemain des deux réunions consécutives, d’une part entre le président du conseil exécutif de la CTM (Serge Letchimy) et le président de Cap Nord (Bruno Nestor Azérot), et par ailleurs entre d’autres acteurs politiques et les fermiers, des décisions ont été arrêtées.
En raison de travaux à réaliser sur un dessableur, l’usine de Vivé au Lorrain « ne peut assurer la livraison que de 20 000 m3 d’eau potable par jour ». Mais Serge Letchimy promet une amélioration du débit de la principale unité de production de l’île.
Les travaux à réaliser sur le dessableur débuteront dès la fin du mois de juin 2024, pour une durée d’un mois, afin de porter les capacités de livraison à 24 000 m3 d’eau potable par jour, [et] le lancement d’études techniques portant sur l’augmentation de la capacité de production maximale de l’usine de Vivé à 35 000 m3 d’eau potable par jour, permettant ainsi d’améliorer la distribution d’eau potable en Martinique.Serge Letchimy, PCE de Martinique
Le président de la communauté d’agglomération Cap Nord, a quant à lui annoncé « la recherche de solutions pérennes consistant à exploiter de nouvelles sources souterraines » au Lorrain et à Grand Rivière notamment.
Bruno Nestor Azérot précise toutefois qu’« en dépit de l’exploitation des capacités maximales de production de la source Morestin, la ressource disponible à l’heure actuelle ne permet pas de subvenir à l’ensemble des besoins des habitants du Nord de la Martinique ».
L’EPCI prévoit le renouvellement complémentaire de 44 kilomètres de réseau entre 2024 et 2026. Les travaux de remise à niveau de l’adduction du Galion à Trinité devraient également débuter en fin d’année 2024.Bruno Nestor Azérot
Un arrêté préfectoral à venir
Du son côté, le préfet du territoire a annoncé ce mardi 14 mai 2024, à l’issue de la rencontre de la veille avec les autres acteurs sur la situation, un arrêté imminent (prévu vendredi 17 mai). Les professionnels devront réduire leur consommation d’au moins 20%.
La situation que connaît la Martinique est effectivement exceptionnelle. Elle tend à rejoindre celle qui était la sienne en 1973, l’année de référence en matière de sécheresse, des températures supérieures à la moyenne, une pluviométrie inférieure de 70% par rapport à la moyenne des 30 dernières années au mois d’avril (…). Il était nécessaire que nous dépassions les contingences territoriales, qu’en concertation avec les élus et les opérateurs d’eau, nous puissions examiner les axes d’efforts sur lesquels nous allons travailler dans les prochains jours. L’arrêté va essentiellement consister à formaliser la solidarité territoriale qui doit être la nôtre, c’est-à-dire mettre à contribution les acteurs économiques pour optimiser la production d’eau d’une part et mieux la répartir d’autre part.Jean-Christophe Bouvier, préfet de la Martinique
(au micro de Marc-Francois Calmo et Ronan Bonnec)
« Je suis révolté »
Mais ces concertations à la chaîne auraient dû se tenir bien en amont des problèmes de sécheresse regrettent les usagers impactés, qui considèrent que « le problème est politique », Yann Monplaisir le premier.
On vient nous expliquer que parce qu’on s’est réuni hier soir [lundi 13 mai], on aura de l’eau car on va augmenter la productivité (…). Moi, je suis révolté de constater qu’on ne veut pas connecter des réseaux, qu’on confie à une entreprise privée la politique de l’eau de la Martinique, alors que des élus ne sont pas capables de se rencontrer malgré tous les appels qui sont lancés par les uns et les autres, martelant que les experts martiniquais sont mieux à même de gérer les affaires martiniquaises.Y. Monplaisir
« Une autorité unique ne changera rien »
On prie pour qu’il y ait un jour une autorité unique de la gestion de la ressource, mais cela ne changera rien fondamentalement, parce que si on met à la tête de cette autorité son copain politique, son cousin, sa cousine ou son obligé politique avec qui on aura fait une transaction électorale, ça ne marchera pas.Yann Montplaisir, 1er magistrat de Saint-Joseph
Quant à la société Odyssi laquelle se plaint d’être sous-alimentée sur ses 4 communes (Schoelcher, Fort-de-France, Lamentin et Saint-Jospeh), son président ne mâche pas ses mots lui non plus : « le préfet a accédé aux demandes de la SME ».
Sur toute la Martinique, le rendement réseaux est à améliorer, pas seulement sur le territoire de la CACEM [Commuanuté d’Agglomération du Centre de Martinique), c’est un faux problème. Mais j’insiste sur le partage de l’eau de la Rivière Blanche. Le préfet veut limiter notre prélèvement sur cette rivière à 21 000 m2. A ce niveau, on ne peut pas livrer Lamentin et Saint-Joseph. Donc si nous limitons notre prise, on nous oblige à aller acheter de l’eau que nous pouvons produire nous-même. En d’autres termes, on nous dit ne prenez pas plus d’eau ; achetez plutôt au niveau de la SME pour leur permettre de faire du chiffre d’affaires. Je trouve que ce portage est tout à fait inique et je ne suis pas le seul à le dire. Nous constatons tout simplement que le préfet a accédé aux demandes de la SME.Yvon Paquit, président du conseil d’administration d’Odyssi (interrogé par Eddylia Eugène-Mormin sur Martinique 1ère télé)
Pour rappel, la Société Martiniquaise des Eaux (la SME) est le distributeur de 30 communes sur 34 dans l’île.