Marc Ambroise Rendu nous a quitté
Marc était LE journaliste du Monde quand j’y fis un stage avec Jacques Grall, après une fin de contrat au trimestriel du Canard Enchainé .
Je dis « LE « parce qu’à l’époque les postes environnement dans les rédactions se comptaient sur les doigts de la main, et la rubrique dont il fut le créateur était née en 1971. Déjà les choses allaient mal : « Né « au cul des vaches », j’étais attiré par les sujets touchant à la vie animale et végétale et je m’inquiétais de voir la nature foutre le camp et j’ai constaté que ce qui était désastreux ou en tout cas inquiétant pour la nature l’était aussi pour la ville. » dira -t -il dans un entretien avec un autre journaliste reporter visionnaire, Claude Marie Vadrot.( Cairn en 2015).
En 1971, Jacques Fauvet alors patron du Monde « voulait que l’actualité de l’écologie soit couverte mais sans avoir aucune idée des modalités de cette couverture, il s’en foutait au fond. » raconte -t-il « Je lui ai exposé mon projet : des papiers qui puiseraient à 50 % dans les informations fournies par les associations et leurs activités et à 50 % dans celles des institutions. C’est ainsi que Fauvet accepte de donner la parole aux associations, ce qu’elles n’avaient jamais eu au Monde, c’était une vraie révolution. ».
Alors, Marc Ambroise Rendu, militant ou journaliste ? Cette question adorée en France , posée aux journalistes en charge de l’environnement ? Plutôt involved comme disent nos amis anglo saxons : « Honnête oui, objectif ça ne veut rien dire…On voulait informer pour faire changer les choses, et peut-être faire changer les gens. On n’était pas des journalistes militants ; nous étions concernés, directement. »
Avec la campagne de René DUMONT suivie par Marc Ambroise Rendu, (parce que la rubrique politique ne veut pas s’en charger) l’écologie politique entre dans le premier journal de France. C’est aussi une première.
Et Marc Ambroise Rendu a gouté au poison : la signature du programme nucléaire par Messmer l’engage dans un nouveau combat. Longtemps il analysera les conséquences de cette décision qu’il récuse sur le plan de la décision économique, technologique et sociale. En 1980, il écrira un long papier dans le Monde sur le travail conduit par Alain Touraine sur « le mouvement antinucléaire »(texte intégral à lire ici pour les abonnés à ce quotidien) Il restera méfiant à l’égard des « combines » politiques et dubitatif sur le rôle des journalistes environnement « le sujet n’est toujours pas porteur politiquement et pas vraiment pris au sérieux. Nous n’avons pas trouvé le biais qui aurait mobilisé les gens. » dira-t-il en 2015 « Pour susciter l’attention il faut des catastrophes et nous en avons eu, mais ça n’a pas suffi….Il était plus facile de nous considérer comme des rigolos et des empêcheurs de tourner en rond. » Quittant Le Monde en 1995, Marc Ambroise restera journaliste dans l’âme et deviendra un infatigable militant.
Réalisatrice pour le magazine « GAIA » sur France 5, j’envisageais de faire un portrait de lui, il accepta et j’eus la chance de découvrir d’autres facettes. Descendant du peintre orientaliste Henri Emilien Rousseau il restait admiratif de cette école, collectionnant les toiles, mais aussi les petits soldats de plomb, une de ses lubies qui prend racine dans son amour de l’histoire et de la correspondance de guerre (Paris en guerre 1914/1919). Ce goût pour l’histoire il l’a transmis à l’une de ses deux filles, Anne Claude professeure à l’Université Paris Nanterre. Il me raconta alors ses craintes liées à l’inondation centennale de Paris après avoir travaillé sur celle de 1910 , son espoir de voir la rivière Bièvre rendue au jour, un combat qu’il avait entrepris aux côtés de Serge Antoine. Il aimait Paris et son 13°, arrondissement.
Il a écrit de nombreux ouvrages dont le fameux « Des cancres à l’Élysée : cinq présidents de la République face à la crise écologique, Paris, Jacob-Duvernet, 2007, 358 p.
Président d’honneur de France Nature Environnement, il restera proche des associations de terrain contre la parole officielle, et assurera la rédaction en chef de Liaison, mensuel de l’union Île-de-France Environnement.
Outre sa leçon de grand journalisme, nous retiendrons de l’un de ses derniers interviews ces paroles « un contentieux est toujours utile. Jamais gagné d’avance, il entre dans l’histoire d’un mouvement juridiquement fort…..si on ne s’accroche pas, on est perdu…Nous devons rester agressif car le monde est agressif , rester impitoyables ».
Dominique Martin Ferrari