le prosulfocarbe: un herbicide trop volatil
Vincent Gauvain, dans la Marne. Benoît Vallée, dans l’Yonne. Mathilde Popot et Amandine Dupuy dans l’Eure-et-Loir. Ou encore Christophe Bitault en Ille-et-Vilaine. Ces agricultrices et agriculteurs bio ont vu leurs cultures contaminées au moins une fois, depuis 2021, au prosulfocarbe. Cet herbicide très volatil, le deuxième le plus utilisé en France derrière le glyphosate, est mis en cause dans de nombreuses pollutions de cultures. Chaque automne, les agriculteurs bio qui ont planté du sarrasin, du quinoa, du chia, ou tout simplement des producteurs de pommes, ont la boule au ventre au moment de la récolte. Si celle-ci survient au même moment que les semis de blé ou d’orges de voisins conventionnels, qui traitent leurs parcelles au prosulfocarbe en même temps, leurs produits ont de grands risques d’être contaminés et invendables. A cela, s’ajoutent des suspicions pour la santé des enfants vivant à proximité des zones de traitement.
La France se révèle incapable d’atteindre les objectifs des plans successifs de maitrise des impacts des pesticides sur la santé que ce soit dans le sol, l’eau ou l’air.
Le recul sur le plan Ecophyto, il y a quelques mois, prouve encore une fois cette situation d’échec, qui a justifié la nouvelle Commission d’enquête parlementaire sur l’impact sanitaire des produits phytosanitaires. Le député et agriculteur Dominique POTIER en est le rapporteur. Il constate : «le plan ecophyto est un véhicule sans pilote sur une route sans radar. Nous demandons une mise en pause face au silence assourdissant du ministre de la santé. De diagnostic en diagnostic les questions de santé s’aggravent. »
Des études allemandes en 2023 ont confirmé l’effondrement de la biodiversité, des populations d’oiseaux, et la dégradation de l’état des sols. L’impact des substances dangereuses sur l’eau peut conduire au retrait de captages devenus impropres à la consommation humaine « et sur l’air, les ASSQA suspectent 400 substances, mais ne disposent pas d’instrument pour les mesurer.»
L’harmonisation européenne des données tant souhaitée par Eric Andrieu, ancien député européen, n’existe toujours pas. Impossible de dresser un bilan de la pollution de l’air par les pesticides.
A l’ANSES, Fabrizio Botta, chercheur en pharmacovigilance, rappelle que certes la France est le premier pays d’Europe en termes de publications juste derrière les Etats-Unis, mais que des recherches restent à développer. “On ne dispose toujours pas de valeurs réglementaires relatives à la protection de la santé humaine pour les pesticides dans l’air, seulement de seuils d’alerte et un renforcement de la surveillance. “
Pour répondre au défi, il ne s’agit pas de proposer une mesure mais toute une palette d’actions et dans plusieurs domaines. La première serait de financer des recherches d’alternatives. Il est clair qu’en trente cinq ans le glyphosate aurait pu trouver un remplaçant si on y avait mis le prix. Les mêmes outils pour l’air que pour l’eau sont à développer. Ils ne représenteraient que 3% du budget d’ATMO, soit 3millions € et 20 à 30M au niveau national. Une goutte d’eau !
Autant de propositions qui ne peuvent voir le jour sans une mobilisation de la société civile et qui ne laissent pas indifférent Benoit Biteau, député européen, familier des luttes citoyennes via les Class Actions. Avec l’association Secrets toxiques, il se bat à Bruxelles pour améliorer la réglementation sur les pesticides. “On néglige trop l’effet cocktail, on a peu de connaissances sur la décomposition et les métabolismes de ces décompositions, dans le cas d’une exposition dans la durée, ou sur l’effet cocktail des molécules qui accompagnent un produit vendu». En se référant aux informations qui remontent du terrain et se multiplient, on peut pourtant prouver rapidement l’effet volatil des pesticides, d’une culture où ils sont autorisés à un verger bio où ils sont interdits.
Depuis 2015 et la naissance du dispositif de phytovigilance à l’ANSES, on a vu apparaitre les premières mesures. Les substances interdites sont tombées à 10% même si certaines comme le lindane se retrouvent encore partout. Des cultures comme la vigne en ont révélé la suprématie; et comme la vigne pénètre les villages, 2000 riverains sont surveillés et suivis par PESTIRIVE. En 2018/2019, 50 sites étaient surveillés par les AASQA. On obtient une photographie homogène pour 65 substances et 100 000 données. « Chaque jour on en sait davantage mais rien ne se passe.»
Or la société civile est prête à se battre contre les pesticides. Elle le demande. Mais elle est aussi à l’écoute des agriculteurs, et pour répondre à la pression qui pèsent sur leurs finances, Benoit Biteau note que des études économiques du CNRS prouvent que l’on peut réduire de 30 à 50 % les engrais et les pesticides sans baisse significative des rendements; et même, cela augmente le revenu des agriculteurs par réduction des charges.