Analyses entre deux tours

Le président français Emmanuel Macron marche avant de voter lors du premier tour des élections législatives dans un bureau de vote au Touquet, dans le nord de la France, le 30 juin 2024.

©Yara Nardi / POOL / AFP

TAMBOUILLE/Atlantico, suivie de 8 analyses sciences Po

Analyse d’. Eric Deschavanne pour ATLANTICO

Atlantico : Après les résultats du premier tour des élections législatives, Gabriel Attal a appelé à la composition d’une assemblée plurielle qui serait composée de différents partis politiques, en vue de bâtir une coalition et pour faire barrage au RN. Au regard des forces que souhaite attirer Gabriel Attal vers la majorité (LR, centristes, PS, écologistes), cette assemblée plurielle est-il le dernier avatar ou exemple de la dérive du macronisme ? Le parti présidentiel et les forces politiques qui souhaiteraient rejoindre cette assemblée plurielle seront-ils assez nombreux en termes de députés et pourront-ils réellement peser politiquement ?

Eric Deschavanne : Après l’improbable plan A (le « sursaut » contre les extrêmes) et afin d’éviter d’avoir à mettre en œuvre le plan C comme cohabitation (avec le RN), Emmanuel Macron tente un plan B : il invite les électeurs du bloc central à voter « utile » contre le RN, quitte à voter LFI en se bouchant le nez, ce afin de rendre possible un gouvernement de coalition. Cette perspective paraît tout de même assez peu réaliste, compte tenu du poids que devrait avoir le RN et LFI dans la nouvelle Assemblée nationale. Il faudrait pouvoir compter sur la participation des députés LR et sur le « soutien sans participation » de LFI, deux improbables conditions de possibilité.

Le pari consiste à réaliser sous l’effet d’une double contrainte – le devoir moral de « faire barrage au RN » et la nécessité de former un gouvernement au sein d’une Assemblée sans majorité – ce qui n’a pu l’être lorsque le président avait une Assemblée à sa main (durant le premier quinquennat), ni, après 2022, lorsque disposant d’une majorité relative, celui-ci était encore en position de force pour proposer une coalition : à savoir, mettre en œuvre une véritable politique du « en même temps », et de gauche et de droite, sur la base d’un compromis entre des formations politiques de gauche et de droite. On verra ce qu’il en est, mais on a toutes les raisons de douter de la réussite d’un tel pari.

Le politologue Jérôme Jaffré disait du macronisme en 2017 qu’il était « une pyramide qui repose sur la pointe ». Lorsque la pointe craque, la pyramide s’effondre. Depuis sa réélection, Emmanuel Macron a toujours un coup de retard. Il lui fallait avant les législatives de 2022, notamment pour tenir compte de la « droitisation » de son électorat, nommer un premier ministre de droite : il a choisi, avec le résultat que l’on sait, le repli sur la macronie d’origine et l’inflexion à gauche. Après les législatives de 2022, il disposait encore d’une « Assemblée plurielle » qui lui permettait de former un gouvernement de coalition, à la condition toutefois de renoncer à « l’hyperprésidence » : il n’a fait aucun geste en ce sens, précipitant ainsi le désastre électoral actuel. Il affirme aujourd’hui consentir à une coalition dans laquelle les macronistes continueraient de jouer un rôle central alors que se reconstitue la bipolarisation gauche/droite. On assiste à la chronique d’un échec annoncé !

En quoi cette Assemblée plurielle n’a-t-elle pas réellement de sens politiquement au regard de la différence des projets politiques ou des réformes défendues par chaque parti qui sont parfois diamétralement opposées ?

Emmanuel Macron et Gabriel Attal proposent en réalité un retour de la macronie d’où elle vient, dans le bercail de la gauche. Le thème du « Front républicain » est un thème de gauche, un slogan que ce qu’il reste de droite de gouvernement ne peut plus se permettre de reprendre à son compte sans se suicider politiquement.

Le NFP et les macronistes sont d’accord sur l’idée de former un gouvernement de coalition dans le cadre d’une « Assemblée plurielle », mais il y a un obstacle majeur : les sociaux-démocrates du PS se sont engagés dans une alliance avec LFI et les écologistes (largement aussi radicaux, dans leur registre, que les insoumis), sur un programme économiquement délirant et, comme l’a dit le président lui-même, « immigrationniste ». Les modérés du NFP se trouveraient donc après l’élection face à un dilemme : trahir leurs engagements électoraux pour permettre à la France d’être gouvernée, ou bien exiger des centristes qu’ils se rallient aux axes du programme du NFP, ce qui exclurait d’emblée toute possibilité de compromis avec le centre-droit et LR. Il n’y aura à l’évidence pas d’accord « de LFI à LR », et la perspective de la reconduite d’une union des centres après l’effondrement électoral du bloc central paraît lunaire.

Ce projet d’Assemblée plurielle ne va-t-il pas apporter un sentiment de grande confusion chez les électeurs dans une période complexe au regard de la crise politique qui pourrait survenir en cas d’absence de majorité absolue ? 

Emmanuel Macron participe à son corps défendant à une « clarification » politique, laquelle n’est toutefois pas conforme à celle qu’il appelait de ses vœux. Il a dissous le bloc central en deux actes. Par la dissolution, il s’est « auto-bayrouisé » : conformément à ce qu’on pouvait attendre, les centristes se trouvent à l’issue du premier tour relégués à la troisième place, la place du mort dans une élection majoritaire à deux tours. Par sa proposition d’Assemblée plurielle, il renonce en réalité à l’alliance avec la droite. La seule traduction concrète possible de cette proposition est la reconfiguration d’une « gauche plurielle » élargie au centre. Une union de Mélenchon à Macron n’est après tout pas impossible : aux États-Unis, on appelle ça le Parti démocrate. La formation d’un gouvernement de coalition « anti-RN » aurait inéluctablement pour effet le retour à la bipolarisation de la vie politique, puisque le RN aurait alors le monopole de l’opposition. Avec ou sans majorité, le RN sortira vainqueur de ces élections : il apparaîtra, face à la nouvelle union de la gauche élargie au centre, comme le nouveau grand parti de droite.

C’est à mes yeux le grand paradoxe de cette démarche par laquelle Emmanuel Macron tente de sauver le bloc central : En solidarisant le centre avec la gauche, en cherchant à former une coalition dont l’épicentre serait le centre-gauche (l’aile droite de l’ex-PS donc), il referme la parenthèse ouverte en 2017, la parenthèse de la tripartition politique. On en parle encore peu, mais d’après les projections qui sont faites aujourd’hui, ce sont les survivants de la droite modérée qui seront en situation de jouer les arbitres. Il leur faudra choisir entre deux majorités : compléter la majorité relative du RN, ou bien s’agréger à la « majorité plurielle » que le président appelle de ses vœux.

La grande question est de savoir où est l’intérêt du pays. A mon sens, le président a raison sur ce point, il est dans la mise en place d’une politique qui s’écarte des « extrêmes ». Reste à savoir quelles sont les conditions politiques d’une politique « raisonnable ». Il existe deux voies possibles, le « cercle de la raison » et « la domestication des barbares ». La solution du « cercle de la raison » consiste à exclure les extrêmes du pouvoir, au moyen soit de l’hégémonie du centre, soit d’une coalition des modérés de droite et de gauche. L’inconvénient de cette voie est que l’opposition est ainsi confiée aux extrêmes, lesquels, en conséquence, incarnent les possibilités d’alternance.

L’alternative, à laquelle les sociaux-démocrates du PS se sont résignés en formant la NUPES, puis le NFP, et à laquelle se refusent pour l’heure encore les LR à droite, consiste à jouer le jeu de l’union des gauches et de l’union des droites. De telles alliances ne sont pas sans inconvénients, mais elles présentent aussi des avantages : réintégrer dans le jeu démocratique des pans de la société qui se sentent aujourd’hui exclus, et engager les populistes, les forces politiques qui se font écho aux mécontentements populaires, à modérer leurs ardeurs en intégrant les contraintes du réel.

ANALYSES SCIENCES PO

LÉGISLATIVES : LE DÉCRYPTAGE DU PREMIER TOUR PAR 8 CHERCHEURS
Les spécialistes des analyses électorales du CEVIPO, le Centre d’études politiques de Sciences Po, livrent huit angles thématiques pour mieux comprendre
ce scrutin historique. > Le dossier d’analyses est à consulter en intégralité sur le site de Sciences Po.
1. Analyse des cartes (voir site)
2. Les nouveaux équilibres partisans
En 2017, la domination macroniste renvoyait la gauche et la droite classique au plus bas. Sa chute en 2024 ne suffit pas à rétablir l’ordre ancien. La gauche – toutes tendances confondues – ne totalise que 31 % des suffrages exprimés. Elle est loin de retrouver ses niveaux de l’avant macronisme. Quant à la droite classique, rien n’arrête sa chute. Tout se passe comme si le RN, disposant déjà du suffrage des catégories populaires, avalait en sus une large partie des soutiens habituels de la droite classique. Et pourtant, lorsque l’on considère la grande droite (droite classique + extrême droite), leur total reste minoritaire dans le pays.Dans les nouveaux équilibres partisans, le RN domine le premier tour de scrutin. Il lui reste à démontrer qu’il peut transformer cette avance en voix en une majorité absolue des sièges. Ce sera l’enjeu du deuxième tour le dimanche 7 juillet. L’analyse de Jérôme Jaffré en intégralité.
3. Le Rassemblement national :
un parti dominant, national et… populaireLes candi-dats du Rassemblement national et des partisans
d’Éric Ciotti ont rassemblé au premier tour des élec- tions législatives plus de 10 millions et demi de voix (33,5 % des suffrages exprimés). Jamais cette forma-tion n’avait atteint un tel niveau. Elle connaît, en deux ans, une progression vertigineuse de plus de six millions de voix (soit +14,8 % des suffrages exprimés).D’un parti qui compte mais loin de pouvoir s’imposer comme premier rôle, le parti de Jordan Bardella est devenu un véritable parti dominant et national. Dans la vague 6 de l’Enquête Électorale Française, dans la perspective des élections législatives, il faisait la course en tête chez les hommes et chez les femmes, dans toutes les tranches d’âge (sauf les moins de 35 ans qui préfèrent les candidats du Nouveau Front Populaire) et dans toutes les catégories sociales (sauf les cols blancs qui mettent en tête la gauche). Après le premier tour des élections législatives, le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen est non seulement dominant et national, il est populaireL’analyse de Pascal Perrineau en intégralité.
4. Le vote RN :
un vote de reconnaissance sociale ?La plupart des gens développent un sentiment d’appartenance à des groupes sociaux. Lorsque les gens ont l’impression que leur groupe social est en train de perdre de sa position au profit d’autres groupes, ils ont tendance à éprouver un fort ressentiment et le désir d’y remédier. Ce sentiment de perte, appelé “frustration relative”, peut être lié aux conditions matérielles, mais pas uniquement. Il peut aussi résulter de la perception d’une perte de reconnaissance sociale.Pour explorer cette grille de lecture, deux questions spécifiques ont été posées dans l’Enquête Électorale Française 2024. Toutes choses égales par ailleurs, on enregistre une association étroite entre la frustration de nature économique et le vote RN, et dans une moindre mesure NFP. En revanche, la frustration liée au manque de reconnaissance sociale n’affecte pas les électeurs du NFP, et a fortiori ceux d’Ensemble, tandis qu’elle s’impose comme un facteur explicatif décisif de la probabilité de vote pour le RN. Ce dernier a su être l’exutoire de ces électeurs qui pensent qu’ils “ne reçoivent pas le respect qu’ils méritent”.L’analyse de Kevin Arceneaux en intégralité.
5. La délicate équation pour une majorité absolue du Rassemblement national
Malgré sa performance électorale historique, le RN ne dispose pas de garanties pour obtenir une majorité absolue dimanche 7 juillet au soir. Et ce pour trois raisons. En premier lieu, obtenir une majorité absolue signifie pour le RN et ses alliés de l’emporter dans 251 circonscriptions au second tour alors que le retrait des candidats Ensemble ou NFP arrivés en troisième position dans ces circonscriptions rend le pari difficile. En deuxième lieu, les réserves de voix pour le second tour restent très minces en raison d’une offre électorale rétrécie en 2024. Le RN doit donc viser les réserves de voix potentielles parmi les abstentionnistes du premier tour, ce qui est là encore une gageure. Enfin, dans l’hypothèse d’un nombre plus important de duels RN face à la coalition de gauche ou Ensemble (en raison des désistements républicains), nous savons, grâce à la vague 6 de l’Enquête Électorale Française, que les reports de voix se distribuent de manière hétérogène. La clé de cette équation repose donc sur l’écart de voix entre les candidats RN et leurs adversaires arrivés en deuxième position mais aussi, et surtout, sur la stratégie des candidats Ensemble, NFP et LR qui, arrivés en première ou deuxième position, restent menacés par le candidat RN arrivé en troisième position.L’analyse de Martial Foucault en intégralité.
6. La stratégie risquée de la gauche face au RN
L’alliance électorale adoptée par la gauche s’est tout de suite inscrite dans une perspective de radicalisation, prise en main par La France insoumise et son leader, Jean-Luc Mélenchon. Elle n’a pas tiré les leçons des élections européennes où l’on a vu la liste Parti Socialiste – Place Publique de Raphaël Glucksmann obtenir des résultats bien meilleurs que la liste LFI. En enfermant le second tour dans une opposition frontale entre le NFP et le RN, la radicalité va sans doute conduire bon nombre d’électeurs à s’abstenir en cas de duel entre un candidat RN et un candidat NFP venant de LFI. En cas de duel NFP-RN, l’Enquête Électorale Française nous apprend que 36 % des électeurs Renaissance aux européennes préfèreraient voter au second tour pour le candidat RN.La stratégie de radicalisation de la gauche et de revendication exclusive du pouvoir par LFI la rend donc très vulnérable pour le second tour, mais également lorsqu’il s’agira de s’allier à Renaissance à l’Assemblée nationalepour faire face à un grand bloc de droite souverainiste et nationaliste qui, lui, va jouer la carte de la modération et du recentrage, comme le fait le RN depuis 2022.L’analyse de Luc Rouban en intégralité.
7. L’échec d’Emmanuel Macron
C’est un échec clair et sans discussion que l’exécutif a subi lors du premier tour des législatives. Malgré un score honorable de 20 %, la majorité présidentielle est passée de la première à la troisième marche du podium de la tripartition politique. En quelques jours, le temps semble bien court pour redresser la situation et éviter la quatrième cohabitation de la Ve République ou le scenario d’une chambre ingouvernable, le contraire de la clarification recherchée par Emmanuel Macron. On peut d’ores et déjà mettre en exergue deux facteurs politiques de cet échec : l’impossibilité, pour l’exécutif, de convaincre des bonnes raisons d’avoir fait la dissolution, d’une part, et d’autre part, l’image détériorée du chef de l’État dans l’opinion, en particulier depuis l’annonce de la dissolution. Les données de la vague 6 de l’Enquête Électorale Française montrent clairement que la perplexité et l’incompréhension dominaient les sentiments ressentis à propos de la dissolution, vécue en revanche comme un espoir par les électorats de LFI et surtout du RN.L’analyse de Bruno Cautrès en intégralité.8. Chez les jeunes, le choix de la radicalité mais à gauche plus qu’à droiteLes votes des tranches les plus jeunes du corps électoral se sont répartis entre les trois blocs, mais en privilégiant clairement les candidats du NFP. Les 18-24 ans lui ont accordé 48 % de leurs suffrages et les 25-34 ans 38 %. Le Rassemblement national a capté un nombre de voix équivalent à celui qui est enregistré dans la moyenne du corps électoral. Enfin, Ensemble, recueille nettement moins de voix qu’à l’échelle nationale (respectivement 9 % et 14 % de leurs voix).Les enseignements de la vague 6 de l’Enquête Électorale Française, permettent de mettre en évidence trois singularités de ce tropisme de gauche juvénile. Tout d’abord l’existence d’un différentiel assez marqué entre les jeunes femmes et les jeunes hommes (pour les moins de 35 ans, 50 % des jeunes femmes contre 37 % des jeunes hommes ont voté NFP). La deuxième singularité est que ce tropisme concerne principalement la jeunesse étudiante (52 % des étudiants votent NFP). Enfin, troisième singularité, ce tropisme de gauche s’accompagne dans la jeunesse de moins de rejet envers LFI que dans le reste de l’électorat.L’analyse de Anne Muxel en intégralité.

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