Cela va rester à l’ordre du jour: le Rassemblement national reste incompatible avec l’écologie
VU Dans ACTU ENVIRONNNEMENT: Bien que son programme ne donne pas la part belle à l’écologie, ce n’est pas par désintérêt. Le rejet d’une transition écologique par le Rassemblement national serait constitutif de ses valeurs historiques, selon politologues et sociologues.| Gouvernance | 04.07.2024 | F. Gouty
S’il n’est pas (ou plus) contre toutes les énergies renouvelables, hormis l’éolien, et souhaite défendre les énergies nucléaires, hydrauliques et géothermiques, le parti lepéniste entend renoncer à l’interdiction européenne de vente des voitures thermiques neuves en 2035, supprimer les zones à faibles émissions (ZFE) et s’opposer à toute autre politique d’écologie « punitive » – en particulier, n’importe quelle mesure à la hauteur de l’urgence climatique actuelle. Et ce, alors même que celle-ci pourrait accentuer l’immigration que le parti nationaliste entend pourtant combattre.
Autrement dit, « l’écologie défendue par le RN reste très superficielle », « très technophile » (notamment à l’instar de la politique conservatrice menée par Giorgia Meloni en Italie) et « se résume à la préservation du patrimoine visuel, des paysages », mais sans « jamais défendre les zones humides pour protéger (localement) la biodiversité », atteste Stéphane François, historien à l’université de Mons, dans The Conversation (. Et l’on peut dire la même chose d’un autre parti français d’extrême droite, Reconquête, avec lequel Éric Zemmour souhaitait, lors de la campagne présidentielle de 2022, lutter contre la pollution plastique au nom de la « pureté des paysages » ou soutenir le développement de la « robotique agricole », tout en s’attaquant également aux ZFE et aux éoliennes. « Dans le même temps, les eurodéputés Front national, puis RN ont toujours tenu des propos très agressifs à l’encontre des rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat(Giec) », complète Stéphane François.“ L’écologie défendue par le RN reste très superficielle ”Stéphane François, historienCe positionnement « superficiel », historiquement issu du localisme et du « national-écologisme » prôné par Jean-Marie Le Pen dans les années 1990, s’inspire également des nouveaux mouvements d’extrême droite ailleurs en Europe. Comme l’esquissait une enquête (du journal Le Monde d’août 2023, Andréa Kotarac, localiste et conseiller parlementaire de Marine Le Pen, l’orienterait sur les questions environnementales dans la lignée de l’agrarisme du Mouvement agriculteur-citoyen (BBB). Ce parti néerlandais fondé en 2019 s’est plus particulièrement fait entendre face au Plan azote lancé aux Pays-Bas pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole, puis en réaction à la nouvelle Politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne. Il a entamé une vague de contestations agricoles dans toute l’Europe, qui atteindront un pic en France et en Allemagne en janvier 2024 – non sans l’appui du RN dans l’Hexagone. Devenu deuxième force politique après les élections législatives néerlandaise de mars 2023, le BBB a fini par soutenir le Parti pour la liberté (PPV) de Geert Wilders, également d’extrême droite, désormais à la tête d’une coalition gouvernementale.
Climatosceptique ou relativiste, par nature
Cette réussite électorale, surfant sur le clivage d’une politique écologique « antirurale », inspire aujourd’hui l’orientation environnementale du RN, qui ne s’est néanmoins pas manifestée par hasard. L’idée « d’opposer le bon sens de la terre, du paysan, contre l’idéologie urbaine bobo », comme l’analysait Le Monde, se nourrit d’un terreau de « demandes provenant assez largement de l’intérieur de leur coalition électorale originelle ». Ce constat, Jean-Yves Dormagen, chercheur en science politique à l’université de Montpellier, l’a très finement caractérisé pour Le Grand Continent (en novembre 2023.
Avec son institut de sondage Cluster 17, le politologue a pu très clairement rapprocher et corréler les valeurs idéologiques de l’extrême droite aux idées climatosceptiques (ou climatorelativistes) et au refus de toutes politiques environnementales contraignantes. En recoupant plusieurs enquêtes sociologiques, il atteste d’abord que la réalité du réchauffement climatique et de la nécessité d’une transition écologique pour l’enrayer ne font pas exactement consensus. Si le « climato-négationnisme » reste marginal (seulement 2 à 3 % des Français réfute la réalité du réchauffement), le climatoscepticisme (qui rejette la cause humaine du phénomène) et le climato-relativisme (qui minimise sa gravité) sont partagés par 21 à 24 % de la population.
Or, au contraire d’une conception horizontale de la question climatique (et, de surcroît, écologique), ces deux courants ne sont pas l’apanage de n’importe quel « cluster » sur l’échiquier politique. « Plus un groupe se situe à gauche sur l’axe identitaire qui organise l’espace des clivages [et forme les clusters politiques étudiés, NDLR] et plus il sera « climato-convaincu », c’est-à-dire enclin à reconnaître l’origine humaine du dérèglement climatique, explique Jean-Yves Dormagen. Ce constat signifie que le rapport au climat s’inscrit dans des systèmes d’opinions plus vastes et, en l’occurrence, que le fait d’être ouvert à la diversité culturelle et progressiste sur les questions sociétales va de pair avec un soutien au consensus scientifique sur le changement climatique », et avec lui, un soutien aux politiques nécessaires en la matière.
« À l’opposé, les positions climatosceptiques et climato-relativistes atteignent des niveaux significatifs dans des groupes situés sur la droite et l’extrême droite de l’espace des clivages, donc des groupes caractérisés par un fort conservatisme sociétal et des positions identitaires prononcées, continue le politologue. Ce clivage est, en effet, bien aligné avec les autres lignes de clivages déterminantes pour eux : anti-immigration, anti-islam, anti-élites et même pour une part antisystème », comme certains « narratifs écocomplotistes » dénonçant une « dictature climatique ».
Des idées partagées à droite
Vers un écofascisme ?
L’extrême droite ne s’est pas toujours désintéressée ou n’a pas toujours relativisé les questions écologiques. Plusieurs courants positionnés à l’extrême droite s’en sont saisis au fil de l’histoire : de l’éthnonationalisme allemand de la fin du XIXe siècle au bionationalisme américain des années 1960, liant chacun protection de l’environnement et protection de la race, en passant par le terrorisme écofasciste, appelant à contrer une « surpopulation non blanche » pour sauver la planète. Si le Rassemblement national ne se réclame d’aucune de ses idéologies, Jordan Bardella, président du Rassemblement national, soutenait par exemple que « le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière », en amont des élections européennes de 2019.Clivages remarqués également par Corin Blanc, du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), en décembre 2023, sur la base d’une étude sociologique internationale (4) . Selon lui, les électeurs d’extrême droite sont non seulement moins sensibles aux questions environnementales, mais « expriment une confiance plus faible que les autres vis-à-vis du reste de la société et des institutions en général, (de nature à) les empêcher d’adhérer aux politiques et attitudes en faveur de l’environnement ». C’est notamment le cas pour ce qui est de la confiance dans les institutions de recherche, pourtant indispensables pour rendre compte du réchauffement climatique ou des atteintes humaines à l’environnement. Ce à quoi Jean-Yves Dormagen ajoutait que de tels clivages offrent, par ailleurs, un « avantage majeur » aux idées pseudoécologiques de l’extrême droite : « Favoriser la jonction avec la plupart des clusters de la droite traditionnelle, (…) en raison de leur conservatisme culturel et de leur attachement à des modes de vie qui peuvent sembler stigmatisés par les discours écologistes. »
En somme, les valeurs intrinsèques de l’extrême droite, d’un parti comme le Rassemblement national et de ses électeurs, demeurent en réalité incompatibles avec tout programme de transition écologique digne de ce nom. Pire encore, cette même incompatibilité, rendue sourde par la discrétion ou le désintérêt coupable du RN sur ce sujet, serait aisément recevable, voire convenable pour des groupes de droite traditionnelle comme Les Républicains ou une partie des partis d’Ensemble. De quoi alimenter des possibilités de coalition antiécologique à l’avenir dans l’Hémicycle ?