Pascal Canfin pour la Fabrique Ecologique
ARTICLE PUBLIÉ – N°2
Alors que la nouvelle Commission européenne vient d’être nommée avec à sa tête Ursula von der Leyen, renouvelée pour un deuxième mandat, le Pacte vert pour l’Europe fête aujourd’hui ses 5 ans. Depuis 2019, ce plan ambitieux vise à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone en 2050 grâce à des réformes dans divers secteurs. Mais les nouveaux équilibres politiques au sein du Parlement pourraient entraîner un certain nombre de blocages et de rétropédalages. C’est l’une des raisons pour lesquelles Pascal Canfin, député européen du groupe Renew Europe, pense indispensable de développer un récit politique autour de la « souveraineté écologique » : témoignage.
Pourriez-vous nous retracer les grandes lignes du Pacte Vert pour l’Europe et de la démarche qui l’inspire ?
Depuis 2019, l’Union européenne a engagé une stratégie climatique d’ampleur pour faire de l’Europe une véritable puissance verte : le Pacte vert pour l’Europe, la loi européenne pour le climat et le plan « Fit for 55 » proposés en 2021, prévoient de réduire d’au moins 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Le Pacte vert c’est un ensemble de 70 textes sectoriels dont plus de 80 % ont déjà été adoptés lors de la dernière mandature. Les efforts engagés portent déjà leurs fruits : les émissions de gaz à effet de serre en Europe ont ainsi baissé de 8% entre 2022 et 2023 (-37% depuis 1990).
Intéressons-nous plus particulièrement au secteur de l’énergie. C’est une question stratégique s’il en est, où les politiques des Etats-membres sont marquées par des traditions différentes et qui est aujourd’hui très impacté par la guerre en Ukraine.
Le Pacte vert a posé les bases de la décarbonation du secteur de l’énergie, qui représente encore 75% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Le développement d’une électricité zéro carbone produite en Europe est indispensable pour renforcer notre indépendance stratégique. La guerre en Ukraine l’a montré, notre dépendance aux énergies fossiles, quasiment exclusivement importées, peut déstabiliser toute l’économie européenne. Les mesures pour réduire cette dépendance sont d’ores et déjà structurantes :
- Nous avons doublé les objectifs de développement des énergies renouvelables pour atteindre 42,5 % de la consommation d’énergie d’ici 2030.
- Nous avons réformé le marché européen de l’électricité pour stabiliser et faire baisser les prix, qui peuvent désormais être décorrélés des énergies fossiles, notamment du gaz russe.
Nous devons continuer à massifier les investissements en faveur des énergies sans les opposer par idéologie. S’opposer aux renouvelables ou au nucléaire revient à se priver d’une partie de la solution et mènerait à une impasse face à des besoins en électrification qui ne vont cesser de croître. Les débats entre pro et anti-nucléaire sont stériles. A mes yeux les données du problème sont claires : les énergies renouvelables ont vocation à devenir majoritaire, mais le nucléaire est indispensable pour apporter du volume et stabiliser le réseau. Les scientifiques du GIEC prônent d’ailleurs cette approche sur deux jambes.
Justement comment l’Europe peut-elle prendre en compte la concurrence croissante des autres puissances (Etats-Unis, Chine) sur ce front du verdissement de l’économie ?
L’Europe a pris des mesures concrètes pour accélérer le déploiement de solutions technologiques : véhicules électriques et infrastructures de recharge nécessaires à leur déploiement, ENR, carburants alternatifs, les batteries…bref toutes les technologies clés de la transition.
C’est essentiel car la course à la localisation des technologies vertes est lancée partout dans le monde. Les États-Unis se sont dotés de l’IRA (Inflation Reduction Act) qui leur permet de mettre sur la table autour de 1000 milliards de dollars pour soutenir l’implantation d’usines, le déploiement des ENR et des voitures électriques. De son côté, la Chine a misé depuis longtemps sur des technologies clés de la transition comme les batteries, les voitures électriques ou encore les panneaux solaires.
Cette concurrence acharnée est à la fois une bonne nouvelle pour le climat puisqu’elle permet de massifier les technologies vertes, mais aussi un véritable risque pour l’Europe : celui de remplacer une dépendance par une autre. C’est pourquoi nous avons défini des technologies vertes clés que nous voulons produire chez nous. Grâce à l’Alliance européenne des batteries, nous déployons des giga factories partout en Europe, et notamment dans les Hauts de France qui vont devenir l’un des hubs européens de la mobilité électrique. Rien que dans la région de Dunkerque, ce sont près de 40 000 emplois qui doivent être créés dans les secteurs de l’automobile et de l’énergie décarbonée.
Quels sont alors les impacts de cette nouvelle politique industrielle européenne sur la doctrine de libre-échange traditionnelle de l’Union ?
Aujourd’hui c’est la fin de l’Europe naïve. Avec un constat simple : il n’est pas possible d’exiger de nos industriels de réduire leurs émissions de CO2, sans lutter contre le dumping climatique de leurs concurrents, qui ne paient pas le même prix du carbone. C’est pour cela que nous avons mis en place un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » qui fonctionnera comme une écluse à l’entrée du marché européen. Si une tonne d’acier chinois a payé l’équivalent de 2 euros sur le carbone émis pour sa production et l’entreprise européenne 80 euros, alors la tonne chinoise paiera 78 euros lorsqu’elle entre sur le marché européen. Ce mécanisme, une première mondiale, commence déjà à porter ses fruits avant même son entrée en vigueur formelle en 2026 puisque des pays ont décidé d’adopter un prix du carbone par anticipation. La France défendait cette idée depuis 30 ans, nous en avons fait une réalité.
C’est une véritable bataille idéologique qui se joue en Europe entre les tenants du libre-échange et ceux qui mettent en avant l’autonomie stratégique. Les tarifs chinois sur les voitures électriques en 2024 ont été une autre occasion de montrer que nous étions prêts à réagir au risque d’importations massives de produits chinois, sur-subventionnés et parfois exportés vers l’Europe en dessous de leur cout de production !
Les transports sont le premier secteur émetteur de GES en France et à l’échelle européenne leur décarbonation nécessite d’être nettement accélérée. Comment le Pacte vert prend-il cette nécessité en compte ?
Les transports représentent un quart des émissions de gaz à effet de serre en Europe. Effectivement accélérer le rythme de leur décarbonation est crucial. La transition bas carbone est aussi une opportunité pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles à la concurrence, chinoise notamment.
Avec l’interdiction de la vente de voitures neuves non « zéro émission de CO2 » en 2035, l’Union européenne veut faire évoluer son parc automobile vers la neutralité carbone et des véhicules « zéro émission », tout en accompagnant les consommateurs et l’industrie automobile. L’Europe favorise également ’accélération du déploiement d’un réseau de bornes de recharge.
Les constructeurs européens ont d’ailleurs engagé la transition du secteur avec le lancement de nouveaux modèles de véhicules électriques abordables sur le marché en 2024. Nous devons désormais soutenir davantage la demande avec des mesures d’aide à l’achat (leasing social, bonus…), et de soutien pour l’électrification des flottes de véhicules d’entreprises, qui représentent près de 50% des ventes de véhicules neufs.
Nous avons également adopté de nouvelles normes de réduction des émissions de CO2 pour les véhicules lourds neufs (les poids lourds représentent 6 % des émissions de l’UE), qui devront être à 90 % zéro émissions en 2040 et pour les bus (100 % zéro émissions en 2035 avec un traitement spécifique pour les bus utilisant le biométhane). Nous avons ainsi voté sous la précédente mandature toutes les nouvelles règlementations pour décarboner le transport routier. Plus globalement l’Union s’est engagée dans une stratégie de verdissement du fret et de report modal vers le ferroviaire.
L’Europe a également engagé la décarbonation des secteurs maritime et aérien avec des objectifs d’incorporation de carburants alternatifs notamment produits en Europe, et des investissements en matière de recherche et d’innovation (avion bas carbone…). A partir de 2025, les avions au départ de l’Europe devront embarquer une part de carburants d’aviation durables, de 2 % dans le kérosène des vols au départ de l’Europe en 2025 à 42% en 2045). En ce qui concerne le transport maritime, les navires de 5000 tonnes devront réduire leurs émissions de 80 % d’ici 2050. Pour réduire la pollution de l’air dans les ports, les porte-conteneurs et les navires de croisière seront obligés d’utiliser l’alimentation électrique lorsqu’ils seront à quai à partir de 2030.
La diminution des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution générées par les transports permettra d’améliorer sensiblement la qualité de l’air et la santé des citoyens. Que ce soit dans les ports ou sur nos routes, les solutions d’électrification sont à la fois bonnes pour le climat et pour notre santé.
La question de la juste répartition des efforts entre les personnes et les territoires est régulièrement soulevée lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les transitions écologiques. Comment l’Union va-t-elle réaliser cette transition juste ?
Pour la première fois, l’Union s’est dotée d’instruments pour accompagner les ménages et les entreprises dans une logique de solidarité et de justice face à la transition écologique :
- Le fonds de transition juste (17,5 milliards d’€ pour 2021-2027) doit favoriser la modernisation de l’économie locale en atténuant les répercussions négatives sur l’emploi (technologies énergétiques propres, réhabilitation des sites industriels, reconversion des salariés…).
- Le fonds social pour le climat (86,7 milliards d’€) accompagne les ménages et les PME les plus vulnérables via le financement de dispositifs d’aide comme le bonus écologique à l’achat d’un véhicule électrique, chèque énergie, etc.
Si ces outils financiers sont indispensables, ils n’épuisent pas le sujet de la transition juste. Nous devons aller plus loin dans le fait de contraindre des usages réservés aux « ultra riches » à se décarboner plus vite que la moyenne. Le débat sur les jets privés est à mon sens très révélateur car il touche la question clé de “l’exemplarité des élites”. Je ne suis pas favorable à l’interdiction des jets privés car ils rendent un service utile, certes utile à une infime partie de la population mais utile. En revanche, je ne vois aucune raison pour ne pas exiger d’eux qu’ils soient zéro émission avant tous les autres puisque les clients ont, par définition, les moyens de payer plus chers ce service. Même si cela représente une partie infime de nos émissions de CO2, c’est un sujet symbolique qui permet à chacun de comprendre que l’on demande plus à ceux qui ont plus. Cette dimension est absente aujourd’hui du Pacte vert, ce qui peut nuire à son acceptabilité.
Qu’en est-il des enjeux de biodiversité ?
La loi sur la restauration de la nature prévoit des mesures inédites pour restaurer les écosystèmes naturels dégradés et crée pour la première fois en Europe une gouvernance de la restauration de la nature : 20% de l’intégralité des terres et espaces marins de l’Union européenne feront l’objet de mesures de restauration d’ici 2030, ce qui alignera l’Europe avec ses engagements pris lors de l’accord de Kunming-Montréal en 2022.
Chaque État devra réaliser un plan de restauration pour traduire les objectifs de restauration et de bon état des écosystèmes naturels (marais, forêts, zones humides, dunes, espèces protégées…) en 2030, 2040 et 2050. Des mesures pour protéger les pollinisateurs et leurs habitats seront obligatoires dans tous les états européens. Cette loi met fin à certaines incohérences pour la protection des écosystèmes marins en imposant des mesures communes de protection (par exemple la protection des dauphins dans le golfe de Gascogne s’imposera désormais aux pêcheurs espagnols). La première menace sur les rendements agricoles c’est le dérèglement climatique. Restaurer la nature, c’est protéger la biodiversité, mais c’est aussi lutter contre l’érosion des sols contre les inondations avec des zones tampons naturelles, et ainsi protéger les rendements donc les revenus agricoles.
Nous avons aussi adopté un règlement actant la fin de la commercialisation dans le marché intérieur de produits issus de la déforestation tels que le café, le chocolat, l’huile de palme, le soja, le bœuf, etc. En cas de non-respect de ce règlement les entreprises s’exposent à une amende atteignant au minimum 4 % de leur chiffre d’affaires annuel dans l’Union européenne. Ce texte, largement initié par la France, est la première loi au monde de cette nature et j’en suis particulièrement fier. Ce texte constitue aussi une clause miroir pour nos agriculteurs qui sont de fait en concurrence avec des importations responsables de la déforestation.Désormais, ces produits ne pourront plus accéder au marché européen.
L’entrée en vigueur de ce texte qui devait avoir lieu au 1 janvier 2025 sera finalement repoussée d’un an pour permettre à tout le monde, entreprises comme pays tiers, d’être prêts.
Avec le règlement sur la déforestation et les débats très âpres qu’il provoque ne sommes-nous pas sur une véritable ligne de tension entre la tradition libre échangiste de l’Union et les priorités de la lutte contre les dérèglements écologiques ?
Il s’agit en effet désormais de mettre en cohérence le commerce et le climat. L’Europe ne se contente plus de se doter de normes très ambitieuses en matière d’environnement. Elle utilise la puissance du marché unique au service de ces objectifs en imposant des exigences à ses partenaires, tout en s’assurant de créer les conditions d’une concurrence plus loyale au bénéfice de ses propres entreprises.
A titre d’exemple, l’UE a commencé à mettre en place des mesures miroirs pour assurer une réciprocité des normes. C’est ce que nous avons fait avec le règlement sur les batteries, avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou avec le règlement sur la déforestation importée. C’est le cas également avec les clauses miroirs en matière agricole, comme l’a démontré le récent contrôle de la commission européenne qui a conduit le Brésil à suspendre immédiatement une partie de ses exportations de viande bovine en Europe, faute de systèmes de traçabilité et de contrôle suffisants sur la présence d’hormones de croissance interdite en Europe.
Par ailleurs, nous avons mis en place une nouvelle doctrine sur les accords commerciaux qui font de l’Accord de Paris une clause essentielle, en incluant pour la première fois un mécanisme de sanctions (cf. Accord UE-Nouvelle-Zélande). Désormais, une violation grave des engagements sociaux et environnementaux, sera enfin suivie d’effets et pourra être sanctionnée. C’est pour cela que j’ai voté cet accord, avec l’immense majorité des députés socialistes et verts européens… à l’exception des députés français. Et c’est précisément parce que le texte de l’accord avec le Mercosur ne respecte pas cette nouvelle approche que j’y suis opposé.
Alors que la présidente de la Commission européenne vient de finaliser les négociations sur l’accord avec le Mercosur, rien n’est encore joué, puisque pour être ratifié, cet accord devra être adopté par le Conseil et par le Parlement européen dans les prochains mois. Ces votes seront d’ailleurs très serrés et dépendront en grande partie des pays qui rallieront le camp du non mené par la France, notamment l’Italie ou la Roumanie qui pourraient contribuer de façon décisive à constituer une minorité de blocage au Conseil.
Et maintenant, quelles perspectives ?