Analyse de la situation nationale par le Réseau Action Climat
Alors que se tiennent en ce moment1 les dernières concertations publiques sur la stratégie énergie climat française, le gouvernement (désormais démissionnaire) a publié les versions provisoires des deux documents majeurs de la planification écologique : la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE).
À la première lecture, beaucoup des solutions climat que l’on soutient sont mentionnées dans les documents. Le Fonds Chaleur, le soutien à l’électrification des véhicules, aux rénovations globales, la répartition territoriale des énergies renouvelables, le développement du train, ou encore le développement des filières de protéines végétales sont présentés comme des politiques publiques nécessaires à l’atteinte des objectifs fixés pour la France.
Mais paradoxalement, alors que ces documents de planification ont été rédigés par le gouvernement, ces orientations ne se retrouvent plus du tout dans les mesures politiques proposées par ce même gouvernement.
Dans cet article, nous passons en revue 5 exemples dans lesquels les actions du gouvernement ont été en contradiction avec les orientations issues de la planification.
Mobilité : Le report modal reporté
La SNBC mise en consultation fait le constat de l’importance de transformer la mobilité en France. Les voitures, camions et avions français consomment de grandes quantités d’énergie, notamment de pétrole, et le secteur des transports est le premier émetteur en France. La planification écologique française souligne l’importance de penser au long terme pour permettre “maîtrise de la demande, report modal, augmentation du taux d’occupation pour le transport de voyageur [ou de marchandise]…” (SNBC, p. 39).
Plus précisément, la SNBC s’appuie sur des leviers de politiques publiques, notamment le soutien à l’acquisition d’un véhicule électrique mentionné page 48 de la PPE, et l’idée d’une « nouvelle donne ferroviaire » (SNBC, p. 44).
Or dans les faits, on constate une première sortie des rails posés par la planification. Ainsi, le gouvernement démissionnaire avait souhaité diviser par deux les aides à l’électrification des véhicules (l’enveloppe dédiée aux aides à l’électrification passant de 1,5 milliard d’euros à 700 millions).
Même incohérence pour le train et le vélo, qui permettraient pourtant le report modal. Les crédits alloués au ferroviaire étaient en baisse dans la version du budget 2025 proposée par le gouvernement (démissionnaire), alors que la “nouvelle donne ferroviaire” évoquée dans la SNBC prévoyait au contraire un investissement massif dans le rail, de l’ordre de 100 milliards d’euros d’ici 2040. Quand au “fonds vélo”, doté de 250 millions d’euros par an, il était purement et simplement supprimé dans le projet de loi de finance du gouvernement (démissionnaire) pour 2025.
Rénovations : Une politique publique en ruine
Un autre secteur qui pèse lourd dans les émissions et la consommation d’énergie est celui des bâtiments. Les services de l’Etat le savent et inscrivent dans les versions provisoires de la planification un objectif très ambitieux de rénovations thermiques d’ampleur des bâtiments : 400 000 maisons individuelles et 200 000 logements en copropriété rénovés par an, en moyenne d’ici 2030 (p.71 de la SNBC). On lit même, p73, que « la rénovation des passoires énergétiques aux moments clefs du logement (notamment la mutation) devrait se généraliser, sur la base de dispositifs incitatifs ou plus contraignants restant à définir ».
Dans les faits, la proposition gouvernementale de budget pour 2025 était catastrophique. Ma Prime Rénov’, principal dispositif de soutien à la rénovation, perdait par exemple 1,9 milliard d’euros de budget.
De même, cédant à la pression des agences immobilières et des multipropriétaires, le gouvernement avait revu à la baisse son ambition sur l’interdiction de location des passoires énergétiques, en soutenant une proposition de loi au Parlement sortant 250 000 logements en copropriété de l’obligation de rénover en 2025.
L’énergie éolienne se prend un vent
D’ici le démarrage des nouvelles centrales nucléaires, c’est-à-dire au plus tôt 2035 et probablement pas avant 2040, les seules sources d’énergie supplémentaires hors énergies fossiles seront les énergies renouvelables, c’est-à-dire l’hydroélectricité, au potentiel limité, le photovoltaïque, très soutenu par l’état, ce que nous félicitons, et l’éolien. Si les prochaines vagues d’appels d’offres pour l’éolien en mer sont bien planifiées et ambitieuses, l’éolien terrestre se voit privé d’accélération, alors que le potentiel existe si les conditions sont réunies.
Ainsi, deux mesures très intéressantes sont mentionnées dans la PPE. Page n° 86, la PPE promet une meilleure répartition territoriale de l’éolien. De même, page 83, est mentionné un pacte industriel entre l’Etat et la filière éolienne sur le modèle des pactes éoliens en mer ou photovoltaïque.
Pourtant, malgré les rappels réguliers que nous leur adressons, les gouvernements successifs n’ont jamais pris de mesure à même de mieux répartir l’éolien dans les différentes régions, et n’ont pas endigué la concentration de la production dans les Hauts de France et dans le Grand Est. La modulation du soutien public pour compenser les productions plus faibles dans les zones peu venteuses, ou le recalibrage des taxes défavorisant les zones à plus faible production ne sont pas à l’ordre du jour, malgré les promesses de la PPE.
De même, aucun pacte entre la filière éolienne et l’Etat n’est prévu pour l’instant, malgré un potentiel d’emplois à créer et à sauvegarder déjà élevé dans la filière (~18 000 en 2022 d’après l’ADEME).
Agriculture : Cultiver l’ambiguïté
Deuxième secteur le plus émetteur après la mobilité, l’agriculture est un grand point noir de l’action écologique du gouvernement.
La SNBC met donc une emphase méritée sur l’importance d’accompagner des changements d’habitudes alimentaires vers des régimes plus sains et plus soutenables, ainsi que sur l’évolution des pratiques agricoles vers un meilleur respect de la biodiversité, une réduction de l’usage d’engrais azotés et de pesticides, ou encore sur l’accompagnement de la baisse structurelle de la taille des cheptels pour l’élevage.
Mais derrière les apparences très écologiques de la partie agricole de la SNBC, se cachent d’autres ambitions totalement contradictoires du gouvernement démissionnaire. Outre les coupes drastiques dans le projet de budget pour 2025 en matière d’agroécologie (suppression du plan protéines, -70 % sur le soutien à la plantation de haies), la France a également décidé d’utiliser les aides européennes de la Politique Agricole Commune d’une façon qui soutient peu les agriculteurs conservant des prairies, et qui n’encourage pas le pâturage.
Pire encore, le gouvernement Attal a annoncé en février 2024 le lancement d’un « plan de reconquête de notre souveraineté sur l’élevage », qui cache derrière un nom grandiloquent la facilitation de la construction d’élevages industriels par le rehaussement des seuils de soumission à un contrôle environnemental.
Territoires – Le fonds vert à moitié plein
En guise de dernier exemple, prenons celui, très transversal, du rôle des collectivités territoriales dans la transition écologique.
Selon le Réseau Action Climat, les collectivités, au plus proche des enjeux des territoires qu’elles administrent, sont l’espace le plus important pour mettre en œuvre la planification écologique en intégrant les citoyens. Nous sommes d’ailleurs ravis de voir la SNBC mentionner que « l’Etat a significativement renforcé les moyens dédiés au financement et à l’accompagnement en ingénierie des actions de transition énergétiques dans les territoires, en particulier celles conduites par les collectivités locales », en évoquant spécifiquement le fonds vert.
En la matière, le gouvernement démissionnaire faisait montre d’une certaine schizophrénie, puisque, malgré les louanges, le fonds vert devait passer de 2,5 milliards à 1 milliard d’euros en 2025, tandis que la dotation globale de fonctionnement, budget principal des collectivités, a été gelée.
Plus de responsabilités, mais moins de fonds, c’est la recette classique d’un échec de politique publique.
Bilan : Une planification qui ressemble à un rêve
A travers ces 5 exemples apparaissent les contradictions entre ce que le gouvernement écrit dans la planification, et ce qu’il inscrit dans la loi. D’un côté, les nouvelles versions de la planification énergie-climat tracent un chemin certes difficile, mais qui respecte (ou plutôt, s’en approche) nos engagements climatiques, tout en renforçant la souveraineté énergétique, industrielle et agricole. De l’autre, les décisions prises au jour le jour par le gouvernement semblent s’éloigner d’une vision globale de long terme pourtant tracée par la planification, en privilégiant les intérêts de court-terme et l’austérité à la préparation de la transformation écologique.
Pour l’heure, la 3e stratégie française énergie-climat ressemble plus à un scénario imaginaire qu’à une feuille de route. Pourtant, la France a été, et continue encore d’être un leader sur la planification écologique. Pour conserver ce leadership, et bénéficier de la visibilité qu’elle offre aux citoyens, aux administrations et aux entreprises, il ne faut pas que la PPE et la SNBC restent uniquement des exercices de prospectives.
[1] Du 9 novembre au 16 décembre 2024 : https://concertation-strategie-energie-climat.gouv.fr/