Méditerranée 2050, IT Dominique Martin Ferrari le 11/02/2025

Denis Lacroix , vous étiez jusqu’à très récemment prospectiviste à IFREMER Parallèlement vous assuriez vos responsabilités  de secrétaire général du Plan Bleu. Un long travail de recherches  a conduit à l’élaboration de six scénarios pour la Méditerranée.Ils  viennent d’être rassemblés dans un ouvrage « Méditerranée 2050 ». A ce titre, accompagné de Guillaume Sainteny président du Plan Bleu, vous présenterez ce travail au Gazette café mardi 18 février à 18h à l’initiative de l’association en métamorphose et du laboratoire d’idées Montpellier 20/50

Avant d’aborder vos travaux : comment va la Méditerranée ? Les uns disent qu’elle va mieux, les autres que « ça craint ». Votre avis ?

Nos travaux portent surtout sur des tendances à long terme de la mer et du bassin méditerranéen. Ils ont été lancés en Décembre 2019 à la demande des pays mandataires de la Convention de Barcelone. Ce qui nous intéresse surtout ce sont les dimensions du futur : les pressions directes des activités humaines, les dynamiques écologiques, la géopolitique, le contexte économique, les changements culturels ou sociétaux, les modes de gouvernance, les nouvelles technologies, etc. Donc vous voyez, il ne s’agit pas seulement pour nous de parler de l’état de la mer. 

Il faut souligner que de grandes améliorations ont vu le jour : les transports, importants dans la région, se dotent de mécanismes antipollution sur les eaux de ballast, les carburants se débarrassent du soufre (accord SECA) . On prend mieux en compte  la présence des cétacés grâce à des mesures acoustiques. On constate le retour des posidonies, ces algues indispensables à la fixation du rivages et absorbantes de CO2.Les mesures de l’été dernier ont révélé des plages globalement plus propres et une mer moins polluée.  

Mais d’autres dangers apparaissent, parfois plus sournois : l’envahissement des eaux fluviales et marines par le plastique, les pesticides, les métaux lourds, l’arrivée des espèces exotiques envahissantes qui profitent du réchauffement général, des perturbations de l’écologie du plancton et par conséquence de la pêche, la prolifération des méduses, la mort des coraux…On va devoir prendre en compte la montée des eaux et de nouveaux échanges mer/rivières ou mer/étangs, l’extension de la salinisation dans les terres côtières basses…

Autant de nouveaux dangers souvent liés au réchauffement, à une mer trop chaude qui n’iront pas en s’arrangeant, mais vont obliger à un nouvel aménagement du territoire pour garantir la survie des espaces agricoles et ruraux à l’intérieur des terres

La Méditerranée est un cas à part dans l’étude des mers et des océans. Parce qu’elle fût le berceau d’une partie de nos civilisations occidentales, parce que c’est une mer fragile et fermée et surtout parce que c’est un site majeur de l’action du réchauffement climatique ?

C’est vrai, la Méditerranée se réchauffe plus vite que les autres mers du globe (+ 20% par rapport à la moyenne mondiale) parce qu’elle est quasiment fermée (elle ne se renouvelle complètement que tous les 80 ans). Elle concentre 60% de la population mondiale pauvre en eau et la plupart des stocks de poisson de cette mer sont surexploités. Selon toute vraisemblance , la hausse des températures en Méditerranée dépassera les 2° dès 2040, pour atteindre 2,3° dès 2050 ce qui, il y a vingt ans, était prévu pour la fin du siècle. On se trouve face à un pronostic de montée du niveau de la mer de 40cm qui va poser des problèmes de protection des côtes dès les prochaines décennies. La cour des comptes vient d’ailleurs de rappeler à l’ordre les élus qui font encore preuve de déni. 

Parlons maintenant du Plan bleu. IL existe depuis plus de 40 ans , et tente de mettre en œuvre les objectifs de la Convention de Barcelone. Il produit des études socioéconomiques pour éclairer les décideurs, observe, informe , facilite l’interface science/politique/société civile… C’est beaucoup de missions ?

Le Plan Bleu a été créé en 1977 comme une des pièces maitresses du Plan d’action pour la Méditerranée ( le PAM). Il est le résultat d’une volonté du PNUE (programme des Nations Unies pour l’Environnement) de créer un programme à échelle d’une mer régionale mis en place par des états. Sollicités par le PNUE,  les Français ont été procréatifs et ont proposé les CAR (centre d’action régional) avec d’autres pays en les spécialisant. Le Plan Bleu est donc le résultat d’un croisement de la volonté politique d’états riverains d’une mer quasi fermée, de la volonté de visionnaires comme Serge Antoine, de quelques personnes alarmées par l’état de la Méditerranée, rassemblant des pays volontaires

Notez-vous des progrès chez les décideurs ? Voyez-vous monter l’attention aux questions d’environnement et du développement durable dans la région ?

Tous les pays riverains ont le souci de l’environnement et du développement durable. Des rapports stratégiques pour la Méditerranée voient le jour, légitimement, et proposent des actions. La volonté politique est au rendez-vous. 

Malheureusement le Plan Bleu n’est pas un organe dépendant de l’ONU, et il souffrer de son statut d’association loi 1901 : statuts des personnels, salaires, financements…le Plan Bleu faut beaucoup avec peu, avec surtout, beaucoup de bénévolat. 

De plus, l’Europe ne s’est pas suffisamment impliquée ; elle oublie son flanc sud, comme la France qui se soucie davantage de sa façade nord et Atlantique. L’Allemagne a refusé de soutenir le développement d’une région dont elle n’était pas riveraine ; elle s’est polarisée sur l’Est. Mais le plan bleu instille des idées, des plans ambitieux

J’ai gardé le souvenir d’un bel exemple d’accueil culturel : une commune du Sud de l’Italie a voulu transmettre son savoir faire à des réfugiés sénégalais et des septuagénaires dont les enfants étaient partis travailler dans les grandes villes industrielles du nord, transmettre leur savoir faire dans la fabrication de crèches italiennes . Un métissage par la transmission et le culturel.

Le slogan du Plan bleu c’est « construisons ensemble l’avenir de la Méditerranée « , la participation citoyenne est- elle sensible ?

Aujourd’hui, on se penche sur le court terme ; A moyen terme va se poser la question de nourrir et alors on s’intéressera au futur des pêcheries et à l’aquaculture qui fournit déjà 17% des protéines mondiales , à la salinisation des terres et à la montée des eaux ; et à long terme on se heurtera à la grande question du plastique. 

La participation citoyenne est importante mais pas assez institutionnalisée pour durer. Soumise à la pression des réseaux sociaux , elle devient une niche émotionnelle, communautarisme. Il faut une structure pérenne, des gens informés, compétents déterminés à agir collectivement pour des enjeux de long terme

Passons aux scénarios : IL y en a six comment se sont-ils construits ? Je suppose que votre raison va au scénario médian ?

Non, j’évite ce choix. Les scénarios doivent être présentés sans préjugés. Ils ont été construits à partir de 37 variables, selon une méthode scientifique éprouvée. Ils ne sont ni pessimistes, ni optimistes . Ils ouvrent des  formes d’avenir possible avec des avantages et des inconvénients dans chacun.

Bien sûr mon choix va vers le scenario 6 « faire de la mer un bien commun mondial » restaurer la mer. C’est très intéressant, très stimulant et même ambitieux. IL est porteur d’une vision et sera la conséquence, de nos choix, de nos décisions, ou non décisions. Même s’il est ambitieux, il n’est pas irréaliste. IL force à un travail politique.

Ce que l’on sait avec certitude c’est qu’il faudra  prendre en compte ce qui nous est imposé : le réchauffement  qui va « tropicaliser » l’écosystème marin et les canicules marines, la concentration sur le littoral et la transition démographique. Les espaces urbains seront-ils capables d’accueillir ces nouvelles populations ?

Alors quels sont vos scénarios ?

Le premier est celui de la prolongation des tendances actuelles. Nous l’avons nommé :inertie, marginalisation et pragmatisme. Une inertie due à la procrastination des décideurs, avec dégradation constante des écosystèmes, fragmentation des sociétés et conflits d’accès aux ressources malgré quelques mesures symboliques (eau et énergie) et encouragement à l’économie bleue. Le moment pour moi de mettre en garde sur ce terme : l’économie bleue ce n’est pas l’économie verte. Elle n’a rien d’écologique. C’est simplement l’économie de la mer. 

Le second , chocs des crises et adaptations forcées. La succession de crises ou de chocs forcent les pays à s’adapter dans l’urgence. Face à ces évènements extrêmes, les pouvoirs politiques se montrent de moins en moins capables de réagir, favorisant ainsi l’émergence de régimes autoritaires se présentant comme « salvateurs ». Les économies du bassin se replient sur elles-mêmes. Les sociétés font face comme elles le peuvent à des urgences à répétition. S’adapter et accroître la résilience deviennent une nécessité – ce qui n’exclut pas des replis nationalistes ou régionalistes et de fortes tensions entre des communautés pouvant aller jusqu’à la sécession de territoires.

Le troisième , croissance à tout prix dans une Méditerranée éclatée, L’économie est considérée comme l’objectif central du développement et le levier à privilégier dans tous les domaines : énergie, agriculture et ressources alimentaires, tourisme, transports, eau, risques environnementaux, ou même gestion de la mer. Ces logiques étatiques ou privées de puissance économique s’appuient sur des alliances et des coopérations hors de la Méditerranée, ce qui est source de compétitions voire de conflits. Cela ne suffit pas à  éviter le heurt frontal avec les limites planétaires ou locales bien avant la fin de la période.

Le quatrième, partenariat euromediterranéen pour une transition bleue-verte, Le cadre de ce scénario est celui d’une coopération multilatérale réussie entre l’Union européenne et les autres pays méditerranéens, qui permet à la région d’atteindre en 2050 à la fois la neutralité carbone dans la majorité des pays et une bonne insertion dans la mondialisation. Ce choix succède à une période de fortes dégradations environnementales, suivie de pressions sociales pour un réveil politique régional. Cependant, ces politiques fondées sur le techno-solutionnisme et les perspectives de marchés ne répondent qu’à une partie des enjeux écologiques.

Le cinquième, un autre modèle de développement durable spécifiquement méditerranéen. Comme le précédent, ce scénario est l’un des chemins possibles vers un développement durable de la Méditerranée.. Mais, ici, les moteurs de changement sont moins l’Europe, l’insertion dans la mondialisation et les technologies Dans un contexte de démondialisation valorisant un développement endogène des régions, un partenariat équitable se met en place, s’appuyant sur un renforcement des coopérations Sud-Sud et sur une gouvernance renouvelée.                                                                            

Le sixième, la méditerranée : un bien commun mondial. Le point de départ de ce dernier scénario est une dégradation si rapide de la mer Méditerranée qu’elle suscite à l’échelle mondiale une forte réaction . À partir des années 2030, émerge l’idée que cette mer, hotspot de la biodiversité à l’échelle planétaire, ne pourra être sauvée que si elle est considérée comme un bien commun mondial. La protection de la Méditerranée qui était de la responsabilité des institutions devient celle de tous, y compris au niveau mondial. Les activités humaines ayant un impact sur la mer, sont très fortement régulées, en partant des activités maritimes et des zones côtières, puis en s’étendant à l’ensemble des bassins versants.

En fait , on découvre que la géopolitique va influer grandement l’avenir . Depuis Montpellier on pense à l’Espagne, à l’Italie, à la Grèce, au Maroc, ou à la Tunisie mais la Méditerranée c’est aussi à l’Est la Turquie et le moyen Orient , si bouleversé actuellement. 

Peut- être irons-nous vers une gouvernance en mer sous régionales : Maroc Espagne à l’ouest, Italie, Montenegro , Albanie pour l’Adriatique ; Grèce et Turquie en mer Egée ; , Egypte,  Gaza, Liban, Syrie et Turquie en Méditerranée -Est. Il ne faut surtout pas se laisser impressionner par la dictature du court terme  comme par ex le mandat de Trump, mais réfléchir à 20 ans.

En Juin à Nice , va se tenir la 3° conférence onusienne sur l’océan avec une tentative de réglementer le far west qu’est la grande mer . Le Plan Bleu sera-t-il présent ?

Nous serons concernés par nombre des questions abordées : les transports, les aires marines protégées, l’exploitation des grands fonds, la protection de la biodiversité….Et puis le 10 juin sera la journée de la Méditerranée, Donc forcément on en parlera.. La Méditerranée n’est-elle pas le modèle réduit de ce que l’UNOC aura à définir à échelle mondiale ? Cette image est profondément juste, une bonne raison pour considérer que sauver la Méditerranée est une urgence d’importance mondiale.

Dominique Martin Ferrari

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